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“Le plaisir de la table ne va pas disparaître”

Le cuisinier livre sa vision de l'alimentation du futur, indissociable des enjeux écologiques et sociaux actuels

Interview

Dans 70 ans, notre assiette sera-t-elle très différente de celle d’aujourd’hui ?

Nous n’avons que des hypothèses… Au CFIC (Centre français d’innovation culinaire, à l’Université Paris Sud), nous réfléchissons déjà, avec le chercheur en physico-chimie Raphaël Haumont, à l’alimentation en 2050. Les données sont claires : nous serons 9,7 milliards d’individus, dont 70 millions en France, avec une problématique : le manque d’eau. A partir de là, il nous faut dire « mangeons moins, mangeons mieux » et déterminer quels seront les bons modèles agricoles et sociétaux pour nourrir autant de monde.

Le contenu de notre assiette sera-t-il choisi en fonction de nos choix écologiques ?

On peut très bien imaginer avoir un bon équilibre alimentaire en mangeant de la viande et du poisson une seule fois par semaine. Et en végétalisant davantage nos assiettes. Il faut donc redéfinir ce qu’est un bon produit. Pour moi, il devra être bio « à 200% » : on devra pouvoir mesurer son impact social et environnemental, en plus de sa qualité. L’agriculteur qui le produit devra être correctement payé, pour qu’il puisse entretenir les terres qu’il transmettra aux générations à venir, en travaillant des sols vivants, donc sans intrants chimiques.

La science peut-elle aider à cette transition ?

Il existe déjà des recherches intéressantes sur l’agriculture en terre aride, à travers la technique du « hors-sol » par exemple. Pourquoi ne pas réintroduire la culture du pois chiche ou de la lentille, qui consomment peu d’eau et produisent une farine riche en protéines et qui remplacent avantageusement certains tensio-actifs dans une mayonnaise.

Nous ne mangerons donc pas des pilules, comme l’imaginaient les films d’anticipation catastrophistes ?

Non, évitons les fantasmes technologiques. L’alimentation permet encore d’être dans le monde du réel, pas dans le virtuel. Personne ne veut être nourri par un robot. On se dirige plutôt vers une formule de repas raccourcie, avec entrée-plat ou plat-dessert et nous allons végétaliser notre assiette à 80%. Nous serons « flexitariens »: nous mangerons moins de viande mais de meilleure qualité.

Le plaisir de la table existera toujours ?

L’humain est transgressif et saura toujours accéder au plaisir. Vous n’avez pas besoin d’un pâté en croûte ou d’une religieuse : vous en avez le désir. Aujourd’hui, je sais encapsuler un des ingrédients dans une membrane et vous les faire ingérer pour vous maintenir en vie : je peux nourrir des humains sans qu’ils passent à table mais ainsi je les robotise… car il n’y a plus d’émotions. Sans cuisine, il n’y aurait plus de lien social : le plaisir de la table ne va donc pas disparaître.

Cette approche globale de notre alimentation sera-t-elle possible sans une grande remise en question de l’industrie agro-alimentaire ?

Comme disait Coluche : « il suffirait qu’on l’achète plus pour que ça ne se vende pas » ! Donc si l’on éduque les gens, qu’on apprend aux enfants, dès l’école, comment bien se nourrir, ils n’achèteront plus ces produits industriels et l’industriel n’en produira plus. La théorie du low-cost nous a fait beaucoup de mal : les pauvres ont ainsi le « droit » de manger mal et les riches, de manger bien. Entre les deux, les agriculteurs ont payé le prix fort… Il faut revoir toute cette chaîne : l’alimentation du futur naîtra de l’éducation dispensée aujourd’hui.

 Charlotte Langrand

Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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