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Marseille, port gastronomique

La cuisine phocéenne sera célébrée toute l'année au "MPG 2019". L'occasion de revenir sur le combat des chefs marseillais pour faire reconnaître leur cuisine et leur territoire à leur juste valeur

Il faut du temps pour bousculer les clichés. En ce qui concerne la gastronomie marseillaise, ils sont coriaces : sous le vocable usé de « cuisine du soleil », l’aïoli, la bouillabaisse et autres petits farcis ronronnaient dans leur tradition. Réduire la cuisine phocéenne à ces quelques plats incontournables, même délicieux, serait ignorer le vent nouveau qui souffle sur les assiettes marseillaises, avec la force du mistral. Il sera célébré lors du « MPG 2019 » (Marseille Provence gastronomie), un événement qui mettra (enfin) en lumière les efforts des chefs locaux pour valoriser leur territoire: pour l’ouverture ce week-end, le public peut saliver dans une halle à ciel ouvert sur le Vieux Port; un cours de cuisine étoilé avec le chef Lionel Levy ou encore une parade-pique-nique.

Sortir le patrimoine culinaire de ses stéréotypes

Marseille, port gastronomique

Lorsque Gérald Passédat décroche ses trois étoiles Michelin au Petit Nice, en 2008, il se sent pourtant bien seul (voir interview). Le regain culinaire est pourtant déjà en route, sur la Canebière, depuis les années 2000 : « Avant, il y avait des tables d’exception mais très traditionnelles, comme au Jambon de Parme, à la Côte de Bœuf ou Chez Rose, estime le cuisinier Emmanuel Perrodin, marseillais de coeur et figure gastronomique locale. En plus de Gérald, qui est essentiel pour la ville, quelques chefs ont changé la face de la ville. » Lionel Levy, chef de l’Alcyone à l’Intercontinental (Une étoile), a apporté une vision moderne de la gastronomie, tout comme Guillaume Sourrieu, chef de l’Epuisette. Arnaud Carton de Grammont a, lui, implanté la bistronomie à Marseille avec son Café des Epices.

Ces quatre chefs ont emmené d’autres cuisiniers comme Christian Ernst, Roland Schembri, Sylvain Robert ou Philippe Zerah dans un projet visant à sortir le patrimoine culinaire de ses stéréotypes. Ainsi, l’association Gourméditerranée naît en 2012 : « Une grande partie des villes de France ont connu le même problème, celui d’être des symboles non reconnus de la cuisine française, poursuit Emmanuel Perrodin. Le but de cette association est de réhabiliter la cuisine du sud à l’instar de la grande cuisine de Bourgogne des années 1970-80. »

 

Une cuisine à la fois provençale et méditerranéenne

Marseille, port gastronomique
Carpaccio de homard par Gérald Passédat

La gastronomie marseillaise tient sa singularité grâce à sa double orientation. A la fois provençale, tournée vers l’intérieur des terres, et méditerranéenne, grâce à son port ouvert vers le sud, elle se nourrit de métissages. Comme les Grecs, qui y rencontrèrent les Celtes il y a 2600 ans, Marseille accueille encore le monde entier. Elle est portée par des recettes historiques mais évolutives (à l’origine, celle de la bouillabaisse ne comptait pas de tomates!) et par des maisons emblématiques. Elle est aussi servie par un terroir vivant, fait de pêcheurs de ligne durables, fournissant les chefs en poissons « oubliés » et de néo-agriculteurs travaillant en permaculture.

 

Une nouvelle génération de chefs sur la brèche

Une nouvelle génération de chefs répond aussi présente pour inventer l’avenir. Ils s’appellent Julia Sammut (L’idéal), Ludovic Turac (Une table au Sud), Julien Diaz (Saisons), Jean-Claude de Lanfranchi et Pierre Lamour (La Table Cinq), Coline Faulquier (Signature), Eric Maillet (Cédrat), Sébastien Richard (le panier de Sébastien)… Parmi eux, celui qui a tout bousculé il y a cinq ans avec son restaurant AM : Alexandre Mazzia. Après un parcours atypique, fait de voyages et de basket, le chef de 43 ans s’implante à Marseille contre l’avis de tous : « j’ai tout entendu, se souvient-il. On m’a dit que j’étais fou, qu’il n’y avait rien à faire ici, que ma cuisine ne pouvait exister qu’à paris ou New-York… Mais moi, j’aimais la luminosité vivifiante de cette ville, l’énergie qui se dégage entre ses deux mondes, urbain et sauvage. »

 

j’aimais la luminosité vivifiante de cette ville, l’énergie qui se dégage entre ses deux mondes, urbain et sauvage. »

Le chef Alexandre Mazzia

 

Le chef est poète, autant dans le verbe que dans ses assiettes, qui sont travaillées, pensées, libérées des contraintes de présentation. Elles intègrent à la fois les épices découvertes pendant ses voyages, la torréfaction qu’il affectionne et surtout le terroir local qu’il juge incroyable : « c’est le potager de la France ! Je me suis approprié ce territoire pour montrer ma propre écriture culinaire : on rigole quand je dis que ma cuisine est provençale mais c’est vrai, même si ce n’est pas au sens strict du terme. »

La deuxième étoile qui est venue récompenser son audace et son travail cette année, l’a ému aux larmes. Tout comme ces Marseillais qui lui ont envoyé des fleurs pour le remercier ou les félicitations des grands chefs comme Jacques Maximin ou Olivier Belin. « Je réalise avec joie que j’ai porté une lumière sur Marseille alors que les faisceaux étaient toujours braqués sur Paris ou Lyon. » Après avoir goûté sa cuisine, à Shanghai, des journalistes chinois ont décidé de voyager pour lui, jusqu’à Marseille. « Ils ont fait la tournée de toutes les tables de la ville ! ». Marseille, ville du soleil et bientôt de la gastronomie mondiale.

Charlotte Langrand

 

Marseille, port gastronomique

Interview

Gérald Passédat

Parrain de MPG 2019 et chef du Petit Nice à Marseille

 

Marseille est aujourd’hui célébrée pour sa gastronomie, alors que votre père y avait déjà décroché deux étoiles en 1981 et vous, trois en 2008… Pourquoi cette reconnaissance aussi tardive ?

Marseille est sulfureuse et mythique à la fois. Cette ville a été décriée, à juste titre, car à un moment, nous n’étions pas bon… Dans les années 1970-80, la Nouvelle Cuisine était plus démocratisée sur le lyonnais, le charolais ou la Côte d’Azur, dont Marseille ne faisait pas partie : dans l’esprit des gens, c’était une zone de non-droit. Quand j’ai eu trois étoiles, j’ai été très critiqué. Quand je n’ai mis que du poisson à ma carte, on a crié aussi. Il a fallu s’accrocher contre vents et marées.

Les années noires sont derrière vous ?

Il se passe quelque chose, la transmission que j’ai insufflée porte ses fruits. Nous voyons poindre la reconnaissance de notre diète méditerranéenne et du régime crétois. J’ai profondément voulu, depuis les années 1970, revaloriser ce territoire. Ma troisième étoile a été une étape qu’il a fallu faire fructifier en créant Gourméditerranée, afin de créer cet élan de passation envers mes confrères. L’association est née d’une blessure : je ne comprenais pas pourquoi cette ville que j’aime tellement, ne serait pas une scène gastronomique mondiale. Mes tripes ont parlé.

Marseille se résume-t-elle à la cuisine provençale ?

Marseille a du caractère, c’est un port tourné vers l’Orient et le monde. Nous accueillons, nous recevons et nous partageons. La mixité est très importante ici, elle donne aux cuisiniers une ouverture d’esprit, moins codée qu’ailleurs. Nous travaillons à 95% les produits du terroir, marin ou de l’arrière-pays. Je prône une cuisine territorialiste qui défend ses valeurs, ses ressources et ses racines au détriment des modes actuelles.

La présence d’une nouvelle génération de chefs vous apaise-t-elle ?

Je suis heureux avec ces jeunes chefs. Au début, c’était un peu la galéjade, maintenant nous arrivons vers quelque chose de plus sérieux : des bistrots se sont montés, des étoilés sont arrivées. C’est un élan positif, c’est un bon début !

Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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