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Restos festifs : Saturday food fever

Des restaurants hybrides où l’on peut à la fois bien manger et faire la fête, font salle comble. Même en semaine.

 

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Le geste est ample et rythmé. Les doigts se lèvent à hauteur de visage, s’ouvrent pour laisser dégringoler les épices et le sel sur les plats, en cadence, comme un chef d’orchestre sur les pulsations de la musique. La tête et les jambes battent la mesure. Sur cette petite scène-cuisine surplombant les tables du restaurant, le chef-cuisto fait le show. Disons plutôt, pour parler comme lui, qu’il « ambiance » ses clients, dans la salle tamisée de « Chez Oim », au premier étage du Bus palladium à Pigalle. Les serveurs, agiles, sont au diapason, portant haut les plateaux, tandis que le chef en personne cuit le saumon directement à table, au chalumeau. Vers minuit, c’est incontournable : le ventre flatté par de bons petits plats et des nectars qui les accompagnent, les convives pousseront les tables pour danser (parfois dessus), au son de tubes des années 1990.

“Fériériser le mercredi”

Restos festifs : Saturday food fever
Le chef Julien Sebbagh de Chez Oim au Bus Palladium
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Les plats à partager / Chez Oim
Restos festifs : Saturday food fever
Un dessert de Chez Oim

Le restaurant « Chez Oim » a ainsi décrété qu’il allait « fériériser le mercredi » : chaque mardi soir, le chef Julien Sebbagh et ses équipes investissent les cuisines (et la sono) pour redonner des couleurs aux soirées parisiennes. Nous ne sommes pourtant pas samedi soir mais l’endroit est complet. Nous ne sommes pas dans une boîte de nuit mais les gens font la fête. Nous sommes dans un restaurant mais les clients dansent jusqu’à 1h30 du matin. « Pour moi, un resto, c’est la nourriture mais aussi le service et l’expérience globale, explique ce passionné de cuisine à domicile, qui adore mitonner des petits plats chez les particuliers via son entreprise « Je cuisine chez toi ». Je veux faire passer aux gens une soirée différente avec une playlist déjantée et un service particulier. »

Le concept est inspiré d’un restaurant de Tel Aviv, le Saloon. Là-bas, la cuisine se mue en scène de théâtre, la bande-son claque, les verres sont remplis et les doigts picorent joyeusement dans des plats à partager. Le lieu est un happening permanent, social et branché, faisant monter le buzz, aspirateur à « happy few » et à fêtards en manque de nouveau concept. Paris la Belle Endormie, traumatisée par les attentats, mais aussi Marseille ou Bordeaux, replongent avec plaisir dans la fureur de la nuit. De nouveaux restaurants festifs y proposent un deux-en-un libérateur : bien manger et faire la fête au même endroit, avec sa bande de potes, de la musique et des plats à partager, souvent d’inspiration méditerranéenne.

Manger et faire la fête au même endroit: un deux-en-un libérateur

A Marseille, on s’encanaille au rythme des soirées « accords mets et son » de Maison Vauban, propriété du producteur du groupe d’électro Synapson, avec street-food et vins de producteurs locaux ; à Bordeaux, chez Volume II, on mange frais et fait maison et on met soi-même la musique au juke-box. Chez Perruche, sur le toit du Printemps du Goût à Paris, le chef Alexandre Giesbert organise des soirées dansantes avec DJ à partir du jeudi soir. Dans le 13e, la Félicita, l’autoproclamé « food and teuf market » de la station F (et de la team Big mama), joue le vintage en dégainant des « roller disco parties », des DJ sets ou des karaokés géants, autour de trois bars et cinq cuisines.

Restos festifs : Saturday food fever
Chez Edern, près des Champs-Elysées à paris

Restos festifs : Saturday food fever

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Les plats d’Edern

Chez Edern, près des Champs-Elysées, un DJ est aux platines du jeudi au samedi et le chef Jean-Edern Huster, passé par des restaurants étoilés (Louis XV, Lucas Carton…) et par Top Chef, est aux fourneaux. « Quand on vient manger à Paris, on a le choix entre un gastronomique sans ambiance ou des restos festifs où l’on mange rarement bien, estime ce dernier, sans ambages. Je voulais faire un restaurant gastronomique mais cool, avec le bar à l’entrée. » L’endroit propose des prestations dignes du triangle d’or parisien (fumoir à cigares, décoration moderne et branchée, voiturier), et attire une clientèle huppée de producteurs de comédies musicales, de responsables de grandes marques de mode ou des footballeurs (Anelka, Drogba, Mbappé…) On danse aussi après le spectacle, chez Noto, le restaurant de la salle Pleyel, chez Roxo, le bar-resto des Bains, au Piaf ou chez Froufrou, le restaurant du théâtre Edouard VII…

Une tendance au dîner informel

Ainsi, chaque établissement a son empreinte, tantôt chic et bling, tantôt rock et bohème, ou encore disco et vintage… Mais toutes revendiquent une cuisine (enfin) savoureuse, selon le cliché qui voudrait que les endroits de fête, d’habitude, ne soignent pas les assiettes. Au final, elles sont inégales, selon les adresses, mais celles qui ont opté pour la cuisine méditerranéenne remportent la mise, comme à Chez Oim, où Julien Sebbagh pioche sans complexe dans des inspirations israéliennes, italiennes, libanaises… Au restaurant israélien Balagan (littéralement « joyeux bordel » en hébreu), des tapas gouteux et addictifs s’offrent à profusion et au dessert, les serveurs balancent gaiement crème, coulis et autres gourmandises à-même la table (sur du papier sulfurisé, comme chez Oim) et musique à fond. « Le modèle de la restauration trois étoiles s’est relâché. Il y a d’abord eu la bistronomie puis une tendance actuelle à l’informel, à une souplesse plus grande par rapport au déroulement un peu rigide des repas gastronomiques, analyse Claude Fischler, sociologue de l’alimentation et auteur de L’Homnivore (Odile Jacob). On mangeait aussi chez Régine ou chez Castel il y a quarante ans, mais les gens arrivaient plus tard dans la nuit. »

Des fêtes de plusieurs centaines de personnes

Les plats d'Edern
Chez Yaya, à la Halle Secrétan, avant l’ouverture officielle
Les plats d'Edern
Les mezzés grecs très réussis de chez Yaya

Aujourd’hui, les fêtards franchissent allègrement le périphérique, pour aller se déhancher à Saint-Ouen chez Yaya, le restaurant d’inspiration grecque des Frères Chantzios (des huiles d’olive Kalios) et du chef colombien Juan Arbalez. « Je ne suis pas dans cette bataille de chefs parisiens, dont on a l’impression qu’ils cherchent à montrer qui est le plus fort, estime ce dernier. L’essentiel de la table est de se nourrir et de partager, comme en Grèce, où les repas sont toujours un moment de joie. » Après avoir dégusté de très réjouissants baklavas, poulpes rôtis, un agneau confit à la braise ou une daurade entière en croûte de sel, on monte le son et la fête commence.

La « Yaya party » mensuelle, est même devenue une institution. « Au départ, on a lancé l’idée d’inviter nos amis le jeudi soir, car c’était plutôt calme, poursuit le chef. Nos amis ont invité des amis et ainsi de suite… On s’est retrouvé à 600 personnes et ça continue toujours. J’ai vu tellement de chefs passer 40 ans à courir derrière des prix et ouvrir sur le tard un petit bistrot pour profiter de la vie… j’ai décidé de faire l’inverse ! » A Chez Oim, près de 600 personnes sont également sur liste d’attente pour goûter au caviar d’aubergine à la mélasse de grenades, à la foccacia aux courgettes, au thon flambé ou au confit d’agneau à la fleur de rose… Et un nouveau Yaya ouvrira le 18 février prochain à la Halle Secrétan à Paris. Alors, on monte sur les tables et on lève les bras bien haut.

Charlotte Langrand

Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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