Brasserie de palace. €€. Paris 6e.
Après des années de travaux, le seul palace de la Rive Gauche renaît enfin. Et avec lui sa brasserie mythique, celle des artistes, des écrivains et de leurs éditeurs, des intellos en veste en velours, des acteurs… A quelques encablures du Bon Marché, à l’angle du Boulevard Raspail et de la rue du Four, ils discouraient au-dessus d’une sole meunière ou d’un steak frites, bien avant que le quartier ne devienne un repaire à boutiques de luxe. Les communicants le répètent, le nouveau Lutetia n’a eu de cesse de “retrouver sa forme originelle, celle des années 1910”. Et ce, non seulement dans l’hôtel (et ses 47 suites) mais aussi à la brasserie, qui dispose d’une nouvelle verrière, noire sur une façade crème éclatante. Le but: faire pénétrer davantage de lumière dans le restaurant, initialement un peu sombre.
Jean-Michel Wilmotte est passé par là et n’a rien gardé de l’ancien lieu. Cent couverts au rez-de-chaussée, quatre-vingt à l’étage (ré-ouvert pour l’occasion), avec une terrasse privée en sus, au-dessus des cuisines. Celles-ci justement se sont élargies et font le show, ouvertes sur la salle, en jeu de miroirs, face à la verrière, à l’opposé; Le palace a cédé à la mode du bar à cocktail très design et à celle du comptoir de l’écailler ou “sea-bar” avec une carte à part, sans plats chauds, sauf cette langoustine cuite minute sur un galet chaud.
Marseille Rive Gauche
Côté brasserie, exit les plats de… brasserie. On a fait le choix du décalé, avec Gérald Passédat, chef marseillais étoilé au caractère bien trempé, étoilé pour son très réputé Petit Nice. La carte sent bon la marée et le Vieux-Port; les poissons arrivent en direct, trois fois par semaine, de Sète ou à défaut d’Italie et de Bretagne. Le chef a voulu exporter sa cuisine “territorialiste” dans un environnement parisien plus large, à la clientèle pressée. Tout l’inverse de Gérald Passédat qui clame : “les parisiens vont apprendre à prendre leur temps et à respecter la Méditerranée car on ne cuisinera pas 300 portions de bar. Quand il n’y en aura plus, il faudra prendre autre chose!”
On ouvre donc sur une planche de charcuterie marine (rillettes de sardines, thon en deux façons, fumé et séché, assez fort en bouche), un fritto misto (réjouissant), une (sage) Nantua de potimarron et quenelle de crustacés et un très à la mode avocat cru; on goutte aux tranquilles boulettes de poissons à la Marseillaise, à un parmentier de poulpe (un peu léger en poulpe). La viande, rare sur la carte, se manifeste par de savoureux cannellonis de veau. Plus parisiens, les desserts lorgnent du côté du soufflé, de l’ile flottante et du Saint-Honoré.
Là, un pied dans le sud et un autre dans le 6e arrondissement de Paris, on goûte à l’extrême fraîcheur des produits de palace. Seul clin d’oeil à l’univers de la brasserie, Passédat a donc revisité le parmentier avec du poulpe, remplacé les frites par de bons panisses, le tartare par un charolais de boeuf et il a mis les rougets en saucisse. La première semaine, quelques clients nostalgiques râlaient devant ce changement drastique. Mais Passédat en a vu d’autres: “si c’était pour faire du steak frites, c’est pas la peine, et une sole meunière, je sais déjà faire.” Tout comme il maîtrise la vraie belle bouillabaisse, servie uniquement au service sur soir.
Charlotte Langrand
Le Lutetia
45, boulevard Raspail, Paris 6e.
Menu déjeuner à 42€.
Carte: entrées 19-31€, plats 26-47€, desserts 11 à 17€. Bouillabaisse à 95€.
www.hotellutetia.com