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La gastronomie des cîmes

Distingués par les étoiles, les chefs de montagne savent magnifier les produits environnants dans une cuisine d'altitude remarquable

[ A lire aussi : Beaufort, prince des alpages, avec la recette de croûte au Beaufort d’Emmanuel Renault ]

Les montagnards ne se nourrissent pas que de reblochon fondu. C’est en 2015 que les restaurants de montagne ont tapé un grand coup dans les estomacs d’altitude: cette année-là, les cimes ont récolté une belle moisson d’étoiles au palmarès du Guide Michelin : une troisième pour la Bouitte à Saint-Martin-de-Belleville, une deuxième pour l’Atelier d’Edmond à Val d’Isère et une première étoile pour l’Auberge du Bois Prin à Chamonix, l’Ekrin à Meribel et l’Epicurien à Val Thorens.  En tout, les stations de sports d’hiver cumulaient 23 macarons.

Une réelle identité régionale

Ce n’est pas un hasard si la gastronomie de montagne a atteint des sommets. « Les chefs y font une cuisine qui témoigne d’une vraie identité, explique Julian Caspar, rédactrice en chef du Guide. Ils travaillent les produits de leur région : les poissons du lac, les écrevisses, le gibier… » Bien avant que les villes ne s’emparent de la mode «locavore», qui est devenu le leitmotiv obligatoire pour tout chef à la conscience “durable”, ils ont mis en valeur des produits locaux et de saison pour déployer une cuisine fine, loin des clichés roboratifs.

Plats typiques mais réinterprétés

La croûte au fromage d’Emmanuel Renaut

C’est le cas de la bien-nommée famille Meilleur, avec René, le père et Maxime, le fils, triplement étoilés en 2015. Chez eux la popote savoyarde se transmet depuis des générations : « Nous faisons une cuisine toute simple, pas prise de tête et hyper identitaire, confirme Maxime Meilleur. C’est un pari, qui clive ou qui rassemble, mais nous ne savons faire que cela ! »Construit par les grands-parents sur un champ de pomme de terre en 1976, le petit chalet devenu grand exploite le patrimoine culinaire savoyard à travers des plats typiques (mais revisités) comme la raclette, la fondue ou des crozets cuisinés façon risotto, au beaufort et champignons ou l’omble chevalier du lac Léman au citron-bergamote… A part la truffe et le foie gras, tout est élaboré avec des produits d’altitude : lait de pleine montagne, ris de veau fumé au hêtre, pommes des vergers…

Ici, les plats du restaurant sont des recettes familiales transmises oralement: « on a la polenta que ma grand-mère préparait le soir à mon père, avec du lard blanc poêlé et du lait infusé et juste moussé ; ou la truite cuisson au bleu, dans un bouillon avec du vinaigre, de mon père, poursuit le chef. Ma grand-mère n’a jamais noté ses recettes alors je lui apporte tous les ingrédients au kilo et je relève les doses utilisées en fonction de ce qu’il reste à la fin! »

 

Attachement à leur terroir

La gastronomie des cîmes
L’oeuf croquant coulant sauce poulette aux champignons d’Emmanuel Renault

Dans la lignée de Marc Veyrat, chef controversé de La Maison des Bois à Manigod (qui a récupéré ses trois étoiles l’année dernière avant d’en reperdre une cette année, en février 2019) les chefs de montagne cultivent un attachement quasi-viscéral à leur terroir. « J’ai tout le temps besoin d’aller me balader, avoue Emmanuel Renaut, le chef du triplement étoilé Flocons de Sel à Megève. J’aime la montagne, le lieu, les gens qui y vivent, je suis un rustique. » Une fois, René Meilleur est parti travailler chez Lenôtre, en pâtisserie. Il y est resté… cinq jours, avant de repartir dans ses alpages.

Ces chefs peuvent aussi se gausser d’avoir la montagne elle-même en guise de garde-manger : « nous avons une belle diversité de produits et une saisonnalité encore plus forte qu’ailleurs, poursuit Emmanuel Renaut. L’été surtout, les produits sont sans limites. » (Lire sa recette de croûte au Beaufort ici). Cette variété les pousse à réinventer totalement leur carte d’une saison à l’autre et décuple leur créativité. Mathias Marc, originaire du Jura mais parisien d’adoption, qui vient d’ouvrir le restaurant Substance à Paris, n’hésite pas à convoquer le sapin dans ses glaces; Jean Sulpice, qui a quitté Val Thorens pour le lac d’Annecy, n’oublie pas non plus d’utiliser les ingrédients de la montagne environnante pour parfumer ses plats.

Gibier, sapin et Beaufort

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La traditionnelle raclette

Grand amoureux de la cuisine transalpine, Emmanuel Renaut exploite autant le lard italien du Mont-Blanc que le gibier de montagne, qu’il souligne avec d’étonnantes eaux de bois de sapin infusées ou qu’il fume avec des écorces de bois d’épicéa, de bouleau ou de tilleul… En bouche, un beignet de lait fumé au foin paraît comme sorti de la grange : « La clientèle veut découvrir notre terroir, poursuit-il. Nous devons leur faire goûter un morceau de montagne, qu’ils en gardent l’émotion. » 

Charlotte Langrand

 

Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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