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Quand le vin commande

Des restaurants aux caves prestigieuses organisent des dîners « à l’envers » : on choisit d’abord le flacon puis les plats s’accordent à lui

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Sous le lustre en fourchettes renversées de sa cave aux mille bouteilles, Cédric Maupoint est tout sourire. Aujourd’hui, c’est lui, le sommelier, la star de la soirée. Comme chaque mardi, il mène la danse du dîner du « Vin du Prince », organisé au Prince de Galles (Paris 8e). Inversant les usages, c’est lui qui annonce à la chef de cuisine, Stéphanie Le Quellec, que la vedette de la table sera le vin, en l’occurrence, ce jour-là, le domaine Huet de Vouvray. Et c’est elle qui devra imaginer son menu en fonction de ce nectar. Et non l’inverse.

Le chef de cuisine s’efface pour laisser la place au chef de cave 

D’habitude, le sommelier passe après le chef: il est de coutume de parler du vin après avoir choisi ce que l’on mange, pour «accompagner » les plats. Mais les dîners en accords vins-et-mets, où l’on décide, avant le reste du vin que l’on va boire, font leur chemin. Régulièrement, les chefs de cuisine s’effacent le temps d’un dîner pour laisser leurs maîtres de cave prendre la lumière: « Cela permet d’avoir un discours global sur un domaine, pour démontrer qu’il peut produire différents grands vins et pas un seul, explique Cédric Maupoint. On peut vraiment raconter de belles histoires. Les clients viennent pour manger mais surtout pour vivre une expérience unique. »

“Avec ce type de dîner, je peux m’autoriser à être plus original sur l’un des accords”, Cédric Maupoint, sommelier du Prince de Galles

Ce soir-là, le sommelier s’est amusé à jongler avec les dates, pour prouver qu’un même vin pouvait être singulier selon son année de «naissance»: la belle vivacité et la droiture du Vouvray sec «Le Haut Lieu» de 1985 se mariait à merveille, en apéritif, aux tartelettes foie gras-porto ; son successeur, daté de 2015, répondait davantage au jaune d’œuf tiède servi en entrée avec des asperges et des noisettes torréfiées et celui de 1995, avec le lieu jaune aux endives. La version moelleuse de ce vin blanc, le Vouvray Le Clos du bourg Huet 2007, s’acoquinait étonnement bien avec une poitrine de volaille fermière… « Avec ce type de dîner, je peux m’autoriser à être plus original sur l’un des accords, à proposer des histoires de goûts moins évidentes, plus frontales, mais qui resteront un beau souvenir autant en bouche que dans la tête des clients. »

Echanger avec les novices

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Le classique pain-vin-saucisson

Les dîners œnologiques existent depuis longtemps mais les habitudes de consommation du vin sont venues réhabiliter ces dîners, s’adressant à des passionnés mais accessible à des novices: « les gens doivent reprendre le volant, c’est donc devenu très rare de les voir boire une bouteille à deux, constate Jérôme Faure, chef cuisinier du Domaine de Fontenille, qui met en valeur les crus produits sur place. La consommation au verre permet d’échanger avec les clients, de leur faire découvrir des producteurs qui travaillent bien tout en restant dans un repas très digeste. »

Ces soirées exceptionnelles donnent lieu à des échanges directs entre les vignerons et les convives: à l’hôtel du Castellet (83), le chef étoilé Christophe Bacquié organise, l’été, des soirées grillades et tapas, où les vignerons alentours servent et racontent eux-mêmes leur métier et leurs vins. Une fois par an, le chef prépare aussi un dîner autour du champagne, qui mettra en lumière, cet automne, trois jeunes vignerons indépendants : « Les yeux fermés, on confond largement leurs champagnes avec ceux des plus grandes maisons champenoises, souffle-t-il. Leurs beaux accords avec ma cuisine me donnent de nouvelles idées: en fonction du cru, on enlève le superflu d’un plat, on rajoute une note d’agrume pour lui répondre, on le relève ou on change sa cuisson, pour que l’accompagnement soit réciproque ».

Surprendre les chefs cuisiniers

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Le sommelier prend les choses en main

L’exercice peut même encore surprendre les plus grandes toques  étoilées. Comme ce vin moelleux autrichien, le Grüner Veltliner, que Bernard Neveu, le sommelier du Bristol, a proposé un jour au chef Eric Fréchon pour leurs repas «des livres, des vins», qui rassemblent des vignerons et des écrivains. « Au départ, il était ronchon car il n’apprécie pas tellement les vins sucrés, se souvient le sommelier. Mais, associé à son poireau aux huitres, ce plat caméléon qui bouscule aussi les codes, cela fonctionnait parfaitement, mieux qu’avec un Riesling allemand ou alsacien, qui auraient été plus attendus. » Une belle entente entre les deux corps de métiers permet de supporter le grand impératif de ces soirées: faire honneur à ces bouteilles de luxe, tant par leur prix que par leur rareté: « Parfois on nous débouche des crus vieux de cent ans, raconte Eric Fréchon. Il ne faut pas se tromper dans l’accompagnement, c’est une grande responsabilité… Donc, loin d’être en compétition, nous nous entraidons. Et puis, nous savons aussi que l’accord parfait n’existe pas ! »

Charlotte Langrand

« Des vins, des livres » au Bristol, 190€ par pers. www.lebristolparis.com

« Vin du Prince », au Prince de Galles, 140€ par pers. www.hotelprincedegalles.fr

www.domainedefontenille.com

www.hoteducastellet.net

Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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