Deux salles, deux ambiances. Entrez chez Marcore, le nouveau restaurant du duo formé par le chef Marc Favier et sa compagne Aurélie Alary, directrice de salle et sommelière, et vous trouverez une carte de bistrot au rez-de-chaussée et à l’étage… celle d’un restaurant gastronomique. Un même lieu pour un chef, deux brigades et deux cuisines séparées.
Le décloisonnement des genres culinaires en action
Depuis la rentrée, le décloisonnement des styles culinaires s’enracine et prend une forme très concrète. Si vous poussez aussi la porte de Fleur de Pavé, la nouvelle adresse de Sylvain Sendra, ancien étoilé à Itinéraires, un grand comptoir unique avec vue plongeante sur la cuisine vous accueille d’emblée ; à l’étage, vous serez servis à table, dans une ambiance plus classique et cosy. Autre exemple à l’entrée de La Scène, le nouvel écrin de Stéphanie Le Quellec : un bar à cocktail et quelques couverts vous ouvrent les bras pour grignoter un croque ou une salade. Il faut descendre quelques marches pour s’attabler au « gastro », devant la grande cuisine ouverte.
Quand bistronomie et gastronomie cohabitent
Si cette tendance transpire aujourd’hui chez des cuisiniers établis, le concept séduit surtout les jeunes chefs propriétaires, ravis de s’affranchir des définitions culinaires figées : « Aujourd’hui, tout va très vite, au bout de cinq ans, les clients comme les chefs ont envie d’autre chose, témoigne Marc Favier chez Marcore. Il faut se renouveler rapidement et avoir un bon outil de travail. Le nôtre aide à combattre la frustration : nous avons pris à la fois le gastronomique à l’état pur, avec des produits nobles et le bistrot, avec ses plats confortables. » Ainsi cohabitent, avec authenticité et harmonie, l’œuf aux girolles et le fish’n chips avec le caviar, le homard et de jolis flacons.
Le retour du comptoir
Ces « gastro » décontractés » sont-ils l’avenir des restaurants haut-de-gamme, coûteux à tous points de vue et dont certains hôtels de luxe se séparent ? Le comptoir est ainsi la figure centrale du nouvel opus de Yannick Alléno, Pavyllon. Hélène Darroze, elle, envisage d’ouvrir une « table d’hôtes » au rez-de-chaussée de Marsan, son restaurant gastronomique. « Les restaurants de palaces auront toujours leur mot à dire, grâce à leur sourcing ou à des partis-pris comme la saisonnalité, poursuit Romain Raimbault. Mais le mélange des genres permet de découvrir d’autres formes de cuisine : des jeunes amateurs de cocktails essayeront des plats plus sophistiqués et une clientèle plus classique découvrira le monde du cocktail. »
le mélange des genres permet de découvrir d’autres formes de cuisine
Romain Raimbault, directeur du festival Omnivore
Cette nouvelle strate de restaurants hybrides vient s’ajouter aux nombreux autres concepts qui bousculent le monde de la restauration, avec plus ou moins de succès. Dans un autre genre, la bistronomie aussi se fait bousculer par les « caves à manger », qui proposent des produits bruts bien sourcés avec du vin nature et une offre d’épicerie à emporter. Elles ont monté en gamme et répondent à une demande de décontraction qui ne transige pas sur la qualité de l’assiette, comme au Bel Ordinaire (deux adresses à Paris) ou à l’épicerie-comptoir de Mathieu Viannay à Lyon. A paris, le chef David Rathgeber projette ainsi d’ouvrir une épicerie-charcuterie-traiteur, juste à côté de l’Assiette (14e).
Des commerces de bouche qui mutent en restaurant
A l’heure où les questions sur les conditions de production de notre nourriture deviennent cruciales, les chefs de la bistronomie choisissent eux aussi de sortir de leurs rôles, pour proposer une autre éthique. Ainsi, Antonin Bonnet, le chef de chez Quinsou (Paris 6e) est devenu… boucher. Elevé à la campagne auprès des bêtes, il avait à cœur de remettre du sens dans ce commerce de proximité troublé par les polémiques : « J’ai racheté la boucherie Grégoire un peu par hasard, mais elle a soulevé chez moi une vraie question existentielle sur l’impact écologique et sociologique de la viande, explique-t-il. Nous mangeons trop souvent des animaux malades et mal nourris, abattus dans des conditions aberrantes. Je veux faire de la boucherie différemment, en respectant l’animal. »
Même les commerce de bouche se prennent pour des restaurants : chez Bidoche (Paris 11e), les clients choisissent leur morceau de viande dans la boucherie et peuvent s’installer au restaurant attenant pour la déguster. A Canari, dans le Cap Corse, la boucherie « Chez Carmen » ferme boutique le soir venu, pour se transformer en restaurant de grillades. Même le poisson se prête au jeu : la poissonnerie Ebisu à Paris sert sur place des assiettes de sushis et des fruits de mer. Les poissons vivants, dans l’aquarium de la boutique, sont abattus sur place selon la méthode japonaise Ikéjimé… Le mélange des genres ouvre décidément le champ de tous les possibles.
Charlotte Langrand