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Frenchies de Londres

De nombreux chefs français ouvrent des restaurants dans la capitale britannique, devenue une scène gastronomique de référence

Article paru dans le JDD en juin 2016: l’article en pdf: frenchies a londres

Fay Maschler a encore frappé. La redoutée critique gastronomique du London Evening Standard n’a fait qu’une bouchée du restaurant Ours à Londres, dont elle a qualifié la cuisine de «plats pensés pour Instagram mais pas pour la bouche». Le chef Grégory Marchand n’en revient toujours pas, lui qui a eu la délicatesse de plaire à Miss Maschler: après avoir mangé trois fois chez «Frenchie», son restaurant ouvert il y six mois à Covent Garden, elle a écrit: « La cuisine est, ces temps-ci, comme diraient les Français, «déracinée», et parfois, comme ici, c’est pour le meilleur.»

Le jeune et talentueux chef a réussi son pari: « Frenchie », dont le premier opus a ouvert à Paris en 2009, est désormais adopté par les Anglais. Comme lui, de nombreuses toques françaises décident de tenter l’aventure londonienne. « Ici, c’est l’eldorado, la cour des grands, estime Pierre-Charles Cros, co-fondateur du bar l’Expérimental Cocktail Club, à Paris puis à Londres. C’est un gros défi mais quand on réussit, on peut presque tout faire ensuite.»

Nos étoilés dans les hôtels londoniens

Les pointures de la gastronomie ont déjà ouvert la voie, s’appuyant parfois sur les palaces, comme Hélène Darroze à The Connaught et Alain Ducasse chez The Dorcester ou se lançant seuls, comme Pierre Gagnaire avec Sketch. Fin 2016, Anne-Sophie Pic installera ses fourneaux à l’hôtel Four Seasons: « Je n’y vais pas pour ouvrir un restaurant de plus, explique-t-elle. Je suis excitée d’aller dans un pays aux codes différents des nôtres. Il faut être modeste dans son approche, arriver avec son style mais avoir une ouverture d’esprit suffisante pour s’adapter, découvrir les produits, échanger avec l’autre culture.»

La tâche est risquée en-dehors de l’hexagone, même pour les chefs les plus doués. Inaki Aizpitarte, brillant chef du Chateaubriand, en a fait l’amère expérience: une mésentente avec son associé et des défauts d’infrastructures l’auraient amené à se faire éreinter par la critique et à fermer deux mois après son ouverture…

“Il ne faut pas arriver ici en terrain conquis”,  PierreCharles Cros, cofondateur du bar-speakeasy l’Expérimental Cocktail Club

Les britanniques égratignent volontiers ces français si prompts à l’arrogance en matière de cuisine.  L’humilité est donc de mise, pour qui veut leur plaire: « C’est la première chose à savoir, confirme Grégory Marchand. Nous avons été très bien accueillis car nous maîtrisons la langue et la culture: parler le slang, pratiquer l’humour anglais, connaître les chefs… Il existe du french bashing mais en fin de compte, on s’adore. » Le chef a été à belle école: trois ans dans les cuisines de Jamie Oliver, qui le surnommait « frenchie », puis des expériences à Hong Kong ou New-York ont achevé de rendre sa cuisine aussi française qu’internationale.

Ce parcours est idéal pour s’implanter dans le melting-pot culinaire londonien, devenu la scène gastronomique de référence en Europe: « Aujourd’hui, il ne faut pas arriver ici en terrain conquis, ce n’est plus les années 1980, poursuit Pierre-Charles Cros, qui a aussi implanté sa Compagnie des Vins Surnaturels à Covent Garden et envisage d’y monter un hôtel. Les Anglais ont un palais très ouvert.»

Les Français ont donc appris à s’adapter au terroir local et à modifier l’ADN de leurs restaurants parisiens: chez Frenchie, on cuisine la viande et les fruits de mer du coin. On cuisine des «beans», du «Cornish Pollock» autant que du foie gras aux asperges blanches et du cheesecake au brillat-savarin. Seuls les légumes viennent de chez Terroir d’Avenir, fournisseur des meilleurs chefs en France, qui a aussi une succursale dans la capitale britannique. Frenchie a aussi dû renforcer son service, généralement plus haut de gamme à Londres qu’à Paris et renoncer à faire dîner un Anglais au bar… « On trouve ici des épiceries avec des produits inconnus, comme l’herbe de pandan, proche de la noix de coco et différents basilics ou épices, parfaits pour créer de nouveaux cocktails, explique Pierre-Charles Cros. Surtout que les gens ici boivent beaucoup et dès 18 heures.»

Menu et vin au verre

Avant d’arriver, mieux vaut aussi prendre son temps, pour trouver le bon emplacement. « Nous avons cherché six mois avant de trouver cette ancienne banque», témoigne Laurent Gardinier, propriétaire du restaurant Taillevent, qui vient d’installer une version de leur brasserie, les 110 Taillevent, à Cavendish Square. Pour adapter ce concept de menus avec vin au verre, son sommelier a prospecté dans le sud de l’Angleterre à la découverte des vins britanniques, pour rallonger leur carte, déjà bien fournie. « Londres est un marché difficile car il y a plusieurs ouvertures de restaurants par jour!, poursuit Laurent Gardinier. Elle est aussi très cosmopolite. » Parfaite pour y loger ce restaurant, dont raffole la clientèle d’affaires… La paix gastronomique entre les «cuisses de grenouilles » et les « rosbifs » semble bien engagée.

Charlotte Langrand

Carnet d’adresse

Les 110 de Taillevent, 16, Cavendish Square. www.les-110-taillevent-london.com

L’Experimental Cocktail Club Chinatown, 13, Gerrard St. www.chinatownecc.com

Frenchie, 16, Henrietta St, Covent Garden. www.frenchiecoventgarden.com 

Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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