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Jamais vache n’a eu plus belle allure. Il faut la voir, la gracieuse tarine, avec sa robe brune, ses yeux de biche ourlés de noir assortis à ses sabots et à ses cornes, s’approcher pour saluer les randonneurs de passage. Reine des pâturages en été, la tarentaise (son nom officiel) passe l’hiver à l’étable et fait l’objet de toutes les attentions : on bichonne cette créature devenue l’emblème de la Savoie, pour sa beauté mais aussi en sa qualité de « mère » du beaufort. Cette pâte pressée cuite au lait cru et entier est le fromage symbole et la fierté de la région. « Le lingot d’or de nos montagnes », dit Julien Machet, chef une étoile du restaurant Le Farçon, à La Tania (Courchevel).
« Le beaufort a une grande diversité de goûts et d’arômes en fonction du moment et de l’endroit où les vaches ont pâturé, explique Maxime Mathelin, du Syndicat de défense du beaufort. Ici, la tarine est considérée comme humaine, voire immortelle, et sans le soutien de la filière du beaufort, elle disparaîtrait, car elle ne sert à personne d’autre… » L’attachante vache n’est pas bêtement productiviste comme la prim’Holstein, sa lointaine parente : son petit gabarit ne produit que 5.000 litres de lait par an mais lui permet de s’adapter aux reliefs et de gambader jusqu’à 2.500 mètres d’altitude pour se nourrir d’herbe rase, de gentiane et de myrtilles. Cette vie au grand air se retrouve dans son lait et fait toute la richesse du beaufort.
Son ancêtre le « vachelin », une monnaie d’échange
Surnommé « prince des gruyères » par le célèbre gastronome Brillat-Savarin, ce fromage à la croûte orangée et au talon concave appartient à la même vaste famille suisse, sans lui ressembler complètement : son apparence lactique, son parfum fruité, son attaque ferme puis fondante en bouche le distinguent des cousins gruyères helvètes. Le beau- fort a toujours été un fromage de choix : au Moyen Âge, son ancêtre le « vachelin » servait de monnaie d’échange sur la route du sel.
Pourtant, il a bien failli disparaître dans les années 1960. “Si quelques producteurs fous n’avaient pas résisté, il n’y en aurait plus, affirme Maxime Mathelin. L’exode rural et les conditions en montagne, qui rendent difficiles l’élevage et le fourrage, ont mis à mal la production, qui était au plus bas. » La résistance, menée par l’agriculteur Maxime Viallet, a sauvé de l’extinction cette filière qui compte aujourd’hui sept coopératives, 18 fabricants individuels et 400 producteurs de lait. « Ce système coopératif où chaque producteur est propriétaire de son outil de travail permet à chacun d’être vraiment acteur de sa filière », poursuit le spécialiste.
Pour faire une meule : 400 litres de lait
AOC depuis 1968 et désormais AOP, le beaufort est élaboré selon les règles d’un cahier des charges très strict. Il est fabriqué à partir du l
ait des vaches tarines et abondances des vallées de la Maurienne, de la Tarentaise, du Beaufortain et de quelques communes du val d’Arly. Il faut 400 litres de lait pour faire une meule de 40 kg.
Trois types de beaufort sont distingués. Le plus prisé est le Chalet d’alpage (6,5 % de la production), ré
alisé de façon artisanale de juin à octobre avec le lait des vaches d’un même troupeau. Le beaufort d’été est fabriqué à la même période, mais à partir de lait de différents élevages. Quant à celui d’hiver, à la pâte plus blanche, il est conçu tout le reste de l’année et provient du lait de vaches nourries à l’étable, au foin.
Plus fruité, le beaufort d’été et sur- tout le Chalet d’alpage sont très recherchés par les restaurateurs, qui surveillent de près son affinage. Il est de cinq mois minimum pour être labellisé AOP, mais mieux vaut être plus patient : c’est plutôt entre huit et douze mois que les arômes libèrent tout leur potentiel. « La palette de goûts de ce fromage est extraordinaire, certains vont jusqu’à vingt-quatre ou trente-six mois, ce qui donne beaucoup de complexité de saveurs, constate le chef Emmanuel Renaut, trois étoiles pour son restaurant Flocons de Sel, à Megève. Pour moi, trois ans d’affinage, c’est trop : je préfère le Chalet d’al- page entre dix-huit et vingt-quatre mois, qui garde sa douceur. » Il l’accommode aux plats traditionnels comme aux plus gastronomiques : « La croûte au beaufort est un plat rustique et gourmand qu’on a envie de manger en revenant du ski. Et le risotto aux cardons est meilleur au beaufort qu’au parmesan italien ! », assure-t-il.
Avec une roussette ou un chignin-bergeron
Ce produit d’exception est d’abord un vrai fromage de plateau à savourer nature. Avec des vins blancs de Savoie vifs et tendus pour équilibrer le gras, comme la roussette et le chignin-bergeron. Ou, plus frontal, avec une mondeuse rouge. Il n’est pas sacrilège de le cuisiner : on dit d’ailleurs qu’une fondue au fromage sans beaufort n’est pas une vraie fondue savoyarde… « J’adore le servir en apéritif, à sa sortie de cave, loin du frigo qui le tue, lance Julien Machet, du Farçon. J’en fais aussi des allumettes panées aériennes et croustillantes. »
Né à Bourg-Saint-Maurice et « élevé aux coquillettes au beau- fort » de son grand-père, le chef se souvient qu’il volait des morceaux pour les griller sur le feu. Il ressuscite cette madeleine de Proust dans son restaurant à 1.400 mètres d’altitude, où il sert du beaufort fumé au foin. Il réinterprète aussi une recette de crozets, ces petites pâtes de sarrasin locales, qu’il ré- duit en crème pour accompagner son cher beaufort. La montagne dans l’assiette, en somme.
La recette facile de Beaufort
La recette d’Emmanuel Renaut*
Croûte au Beaufort
Ingrédients (pour 6 personnes)
Préparation
Mettre à fondre le reblochon dans la crème, mixer et passer au chinois.
Éplucher, émincer les oignons puis les faire suer doucement dans le beurre. faire légè- rement caraméliser.
Pendant ce temps, émincer les champignons et les poêler.
Toaster les tranches de pain.
Râper le beaufort.
Montage
Préchauffer le four à 200°. disposer des oignons et des champignons dans le fond d’une cocotte.
Poser les tranches de pain puis verser le vin blanc.
Remettre des oignons sur les tranches de pain ainsi que des champignons.
Pour finir, mettre trois cuillères à soupe de la crème au reblochon, puis le beaufort râpé. Enfourner et laisser colorer.
Servir immédiatement, accompagné d’une salade.
*Restaurant le Flocon de Sel, Megève (haute-Savoie). www.floconsdesel.com
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