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Le Dimanche de Guy Savoy: “je ne veux passer à côté de rien”

Le chef multi-étoilé nous raconte son dimanche, entre balades dans la nature et dans les galeries d'art

Guy Savoy dort peu. « Après une nuit blanche, je peux enchaîner la journée sans problème. » Quand on veut tout voir de la beauté de la vie, on ne paresse pas au lit, on garde les yeux grands ouverts, même le dimanche : « la semaine je fais des doubles journées de travail, alors j’ai envie de profiter de ce jour sans contraintes pour en faire une double journée de loisirs », sourit le chef triplement étoilé.

Faire le marché à l’aube et repérer l’art partout

Le temps libre de Guy Savoy le mène souvent dans les rues des galeristes. Mais avant, il n’est pas rare de le voir, dès 7h, au marché Poncelet, repérer les produits qui lui dicteront son menu dominical. Des mousserons sur l’étal d’un maraîcher ? Il les voit déjà accompagner le rôti de veau qu’il servira à ses amis, autour de cette table du dimanche qui est la seule à le voir s’asseoir et prendre son temps : les autres jours, le chef de 67 ans mange debout, au milieu de la brigade en effervescence de son majestueux restaurant de La Monnaie, à Paris.

Le Dimanche de Guy Savoy: "je ne veux passer à côté de rien"Chez ce grand instinctif, tout est question de rythme, de toucher, d’observation… Son appétit de sensations ne connaît pas de pause : « je ne veux passer à côté de… rien ! On peut aussi bien s’émerveiller devant l’Echevelée de Léonard de Vinci qu’être fasciné par la forme d’un arbre… Pour repérer l’art partout où il se trouve, il faut être habité par la curiosité, regarder autour de soi, pour pouvoir attraper soit l’erreur, soit le sublime. »

Repérer une belle porte en marchant dans la Capitale, admirer le chemin parcouru lors d’une randonnée en montagne, se lever le premier dans un bivouac en plein désert du Ténéré pour imprimer ses pas dans le sable vierge… « J’ai régulièrement besoin de grands espaces et de la nature, poursuit-il. Je veux pouvoir profiter physiquement, les pieds sur terre, de tout ce qui nous est offert. »

La nature traduite dans l’assiette

Cette sensibilité au vivant et à la beauté se traduit souvent dans l’assiette : « lors d’une marche en Bretagne, j’ai remarqué que, dans les premières minutes de la marée descendante, il se dégage des odeurs fraîches, animales, végétales et iodées… qui, une heure après, ne sont déjà plus les mêmes. J’ai voulu capturer ces sensations en cuisine. » C’est devenu l’un de ses plats-phare : un filet de Saint-Pierre accompagné d’un « sac éphémère » de coquillages et de salicornes, qui vous transporte illico dans les embruns.

Quand son dimanche est parisien, Guy Savoy sait aussi où dénicher le beau. La dernière fois qu’il est entré dans une galerie d’art, il a acheté deux tableaux en cinq minutes. Deux calligraphies de Robert Combas, « d’une poésie extraordinaire » : « c’était le dimanche du vernissage, j’étais arrivé tôt pour être seul avec les œuvres, c’était un achat instinctif, immédiat… C’est pareil quand un plat arrive devant moi : il faut qu’il me parle tout de suite, sinon c’est que quelque chose ne va pas. »

Acheter des tableaux sur des coups de coeur

Chez ce fan de Giacometti, né à Nevers en 1953, art et nourriture sont étroitement liés. A La Monnaie, les oeuvres d’art se mêlent au décor : dans cette institution située à deux pas du Pont des Arts, à laquelle le gamin des cuisines de Bourgoin-Jallieu (où sa mère tenait un restaurant) a offert trois étoiles Michelin, elles habillent les salons discrets où s’attablent les « convives » prestigieux.

Griffonnée à même le un mur de la cuisine, une dédicace de l’artiste Maurizio Cattelan s’affiche comme un trophée. Les « sourires » bariolés de l’artiste Virginia Mo, gravés sur les assiettes, réveillent les nappes blanches. Et, dans le bureau du chef, trône un tableau à l’histoire particulière : « Je l’ai acheté le lendemain de la tuerie du Bataclan, raconte-t-il. Cette nuit-là après le service, j’ai traversé un Paris en guerre, je n’ai pas fermé l’œil. Le lendemain, je décidé d’aller comme promis à la galerie de Robert Combas : en entrant, je tombe sur un tableau qui représente « une godasse qui écrase les mauvaises choses ». Je l’ai acheté tout de suite, c’était ma première réponse contre ces assassins. »

Le Dimanche de Guy Savoy: "je ne veux passer à côté de rien"Un mental de sportif

Ce mental à toute épreuve, l’ancien disciple des frères Troisgros et de Bernard Loiseau l’a appris sur les terrains de rugby, de 12 à 16 ans. Plus tard, il fonde le « GSGS » (Groupe Sportif Guy Savoy), qui joue chaque week-end mais, de son propre aveu, « faisait surtout des troisièmes mi-temps d’enfer ! », rigole-t-il. Ensuite, d’autre toques les ont rejoint comme Yves Camdeborde et Christophe Chabanel, sous la bannière des « Quinze à table »…

Mais Guy Savoy avait déjà saisi, petit, toute la force que peut avoir une équipe sportive, quand chacun est à la bonne place : « au restaurant, c’est pareil, les avants sont en cuisine, les trois quarts en salle, chaque table est une action de jeu et j’en suis le capitaine-entraîneur et parfois, l’arbitre ».

Viser toujours le sommet

Il faut en effet savoir corriger les fautes et garder le cap, pour rester en haut du classement. « Parfois dans mon équipe, je croise des regards qui disent « cause toujours, vieil imbécile, ce n’est plus comme ça que ça marche » et puis, les récompenses tombent et ils se disent que finalement, l’entraîneur sait où il les emmène ! » Premier de La Liste, Trois étoiles Michelin, toutes les toques au Gault & Millau… L’ancien patron des Bouquinistes aime les prix. « Demandez à un sportif s’il n’aime pas la médaille d’or?, sourit-il. Les sensations ressenties au sommet sont proportionnelles à nos efforts. C’est drôle à dire, mais je ne m’imagine pas dans le mal-être, j’ai vraiment faim de vivre… Non, vraiment, le blues du dimanche soir, je ne connais pas ! »

Charlotte Langrand


Sa playlist du week-end

Les suites de Bach

A mes débuts, un des fidèles de la maison était Rostropovitch. Sur ses conseils, j’ai découvert les suites de Bach. J’ai trouvé cela sublime, d’une légèreté incroyable… Je les écoute très régulièrement mais elles ne supportent aucun bruit annexe… ou éventuellement celui d’un petit feu de cheminée.

Melody Gardot, les Vieux Amants

Son interprétation me donne des frissons du début à la fin, c’est incroyable. Pourtant, c’est une chanson connue déjà magnifiquement interprétée par Brel mais elle ma renouvelle brillamment, comme tout ce qu’elle chante.

La supplique pour être enterré à la plage de Sète, de Brassens.

Cette chanson m’a fait changer mon regard sur la mort. Elle dure sept minutes mais je peux la chanter par cœur, en entier : « c’est là que jadis à 15 ans révolus, à l’âge ou s’amuser tout seul ne suffit plus, je connus la prime amourette d’une sirène, une femme-poisson, je reçu de l’amour pour la première leçon, avalée la première arête ». On devrait afficher ce couplet dans tous les lycées pour que les ados ne s’arrêtent pas à leur premier chagrin d’amour !

Son marché

J’adore tous les marchés en général et le marché Poncelet en particulier. Il y a toujours un marché où vous êtes efficace : là, j’ai mes habitudes, mes repères, mes commerçants, je m’y amuse. J’aime aussi celui d’Aligre ou des Enfants Rouges…

Sa destination

La montagne. J’ai ma « cabane » dans les alpes, un ancien chalet d’alpage, loin de tout. Le village est à 1250 et le chalet, à 1600m. J’ai cherché cet endroit idéal pendant 25 ans.

Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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