Une nouvelle façon d’appréhender la maladie intéresse de plus en plus le corps médical. Et pour cause : le nombre de pathologies chroniques a explosé et la médecine conventionnelle apparait mal adaptée pour les prendre en charge seule. Ainsi, la « médecine intégrative », qui allie allopathie et traitements alternatifs, approche le patient dans sa globalité plutôt que de façon morcelée, organe par organe et discipline par discipline. Des centres se sont développés, où le malade peut trouver dans un même lieu un large éventail de thérapies. Pourtant, les quelques cliniques de médecine intégrative qui existent dans le monde, comme le « Sha Wellness » en Espagne ou Buchinger Wilhemi en Allemagne, se comptent sur les doigts de la main : pionnières, elles sont encore réservées à une élite ultra-privilégiée, compte tenu des tarifs prohibitifs pratiqués.
Un parcours soin sur mesure
Les états d’esprits commencent à changer. En France, les centres de « médecine globale » n’existent quasiment pas ou se comptent sur les doigts d’une main : « nous avons énormément travaillé pour monter notre centre, explique le docteur Adrian Chaboche, cofondateur du centre Vitruve à Paris, avec le docteur Olivier Moinet. Il y a un phénomène de résistance du corps médical devant ce nouveau point de vue psycho-social, qui bouscule les habitudes : on préfère encore attaquer les pratiques qu’on ne connaît pas plutôt que d’apprendre à les connaître. »
A l’issue d’une première consultation d’une heure et demie avec un nouveau patient, le docteur Chaboche lui propose un « PACT » (parcours d’accompagnement thérapeutique) composé de médecines conventionnelles et complémentaires : médecine générale, neurologie, psychiatrie, shiatsu, acupuncture, réflexologie, art-thérapie… L’éventail est large et personnalisé. Un quarantenaire en situation de « burn-out », ayant développé un diabète puis une hernie discale, qui avaient eux-mêmes occasionné des problèmes dans son couple, a ainsi trouvé une réponse à ces problèmes à la fois dans la nutrition ou dans l’hypnose médicale et d’autres disciplines combinées. « On devrait recourir à la thérapie holistique naturellement mais, avec 15 minutes de consultation en moyenne, on ne peut pas écouter les gens dans leur globalité et les soigner comme il faut, poursuit le médecin. Il y a encore trop de souffrance et de maltraitance dans la médecine actuellement, qui manque parfois d’humanité… Il y a aussi de plus en plus de pathologies complexes avec des interactions entre la douleur physique et morale, qu’il faut absolument prendre en compte. C’est un besoin et une attente de la population. »
Devenir acteur de sa santé
Cette technique modifie profondément la pratique médicale : elle déconstruit la relation « sachant-apprenant » pour la remplacer par un dialogue « thérapeute-patient » plus équilibré, et prédit le déclin du docteur qui passe toute sa carrière seul dans son cabinet. Loin des querelles entre « praticiens alternatifs » et « médecins classiques », les professionnels des centres de médecine intégrative, thérapeutes de tous bords, se réunissent pour discuter de chaque cas et pour orienter le patient dans un parcours de soin sur-mesure : « nous respections complètement l’approche conventionnelle et nous ne disions pas aux gens d’arrêter leur traitement, précise le docteur William Suerinck, homéopathe et psychiatre à Marseille, qui exerçait au Centre de soins intégratifs de la Pierre Blanche, en Suisse (qui a dû fermer ses portes à cause de la pandémie de Covid-19). Il s’agit d’aborder le patient du côté du sens, de ce qu’on appelle la médecine corps-esprit : pourquoi vous êtes malade ? Quelles sont vos ressources ? Est-ce qu’on peut trouver un chemin de santé multidisciplinaire dans lequel vous trouverez des moyens internes et externes pour aller vers la guérison ? » En Suisse, les praticiens en médecine alternatives bénéficient aussi d’un statut légal et de remboursements partiels qui favorisent cette coopération médicale.
En le responsabilisant, la pratique intégrative remet le patient dans une attitude plus active vis-à-vis de sa propre guérison. « Il faut accepter le diagnostic mais refuser le pronostic, explique le belge André Marchandise, l’initiateur du projet de la Pierre Blanche. On peut être atteint dans sa santé mais on peut ne pas laisser la maladie décider pour nous. » La médecine intégrative, plus qu’une thérapie du futur, remet finalement au goût du jour, ce que ces médecines ancestrales prônent depuis des millénaires.
Charlotte Langrand