Les vraies stars savent se faire rares. Elles ont beau se cacher sous de grands chapeaux, leurs quelques apparitions publiques ne passent pas inaperçues et suscitent l’émoi. Prenez la morille : avec les beaux jours, c’est la vedette fongique des cuisines françaises. Elle fait même de l’ombre au cèpe, l’autre célébrité du monde des champignons. Précieuse, elle ne pousse que d’avril à fin mai, à condition que l’humidité soit suffisante à son goût ; elle porte une coiffe en forme d’éponge pour se camoufler et se paye le luxe d’être attendue comme le messie par tous les cuisiniers : « on a hâte de les retrouver car, comme les asperges, elles annoncent le printemps, elles nous font rêver et sortir de l’hiver, explique Christophe Bacquié, le chef triplement étoilé du Castellet (Var). C’est un champignon royal qu’on peut décliner à l’infini : le faire sécher, farcir, braiser, confire… »
La morille: un champignon rare
La morille a donc ses fans. Et ses « paparazzis », qui la traquent dans les sous-bois : « Autant nous partageons les coins à cèpes mais pour les morilles, on les garde pour nous, on se les transmet de père en fils, avoue Régis Marcon, chef trois étoiles (Haute-Loire) et spécialiste des champignons. C’est une espèce sensible aux changements de température : elle aime passer la nuit au frais dans un fossé et accueillir la chaleur du soleil au petit matin. »
Elle pousse dans des endroits incongrus
La morille est un champignon « saprophyte » qui vit aux dépends des arbres et se nourrit de la décomposition de son environnement (des feuilles ou du bois) : les « morilles de feu » par exemple, se développent dans des forêts incendiées, la cendre ayant rendus le sol plus basique. Elles poussent aussi dans des endroits incongrus, comme les cours de Préfectures (et leurs crépis crayeux) ou dans les terres sablonneuses : au printemps 1945, sur les plages normandes, d’innombrables morilles sont apparues dans les cratères creusés par les bombardements…
Aujourd’hui, on les trouve à l’abri des feuillus et des arbres fruitiers : frênes, pommiers, noisetiers… Onéreux et facétieux, ce champignon prend différentes formes : plus ou moins ronde (la « rotunda » ou l’« esculenta », qui sont blondes ou brunes) ou conique (la « morchella conica », très parfumée et souvent importée de Turquie, est excellente séchée).
Attention aux champignons non comestibles
Comme toute célébrité, la morille dispose de doublures… mais il faut parfois se méfier des contrefaçons : la Verpe de Bohême lui ressemble beaucoup à la différence près que sa tige et son chapeau forment deux corps distincts : « la Verpe est excellente, elle pousse souvent dans les ronces, sous les noisetiers ou les frênes mais elle est fragile », poursuit Régis Marcon. Attention surtout à ne pas confondre la morille avec un gyromitre (et son chapeau en forme de cervelle) qui est toxique (il contient de l’hydrazine, déclencheur de convulsions) et non comestible : à proscrire impérativement de sa cuisine.
Attention surtout à ne pas confondre la morille avec un gyromitre (et son chapeau en forme de cervelle) qui est toxique.
Les morilles, elles, doivent être mangées cuites : crues, elles peuvent provoquer des petits désagréments digestifs, voire des symptômes mystérieux… « Beaucoup de champignons, même comestibles, peuvent donner des troubles digestifs « normaux », si on les a mal conservés ou si on en a trop mangé, explique le docteur Jérôme Langrand, responsable du Centre antipoison à Paris. Mais ce qui est surprenant avec la morille, c’est que, douze heures après l’ingestion, elle peut déclencher des signes neurologiques comme des vertiges, des troubles de l’équilibre ou visuels, qui régressent d’eux-mêmes en quelques heures. » Alors, on oublie le carpaccio et on s’arme d’une poêle pour cuire la demoiselle.
Nettoyer ses alvéoles du sable et des insectes
Son goût délicat fait oublier tous ces caprices. Une fois en cuisine, la star des sous-bois commence par passer à la douche : un fin filet d’eau (il faut éviter qu’elle absorbe trop de liquide) ou un léger effleurement des alvéoles la débarrassent du sable et d’éventuels insectes. La Morchella révèle ensuite tous ses arômes, pour peu qu’on la traite avec précaution : « J’aime la farcir car cela rappelle la courgette farcie, l’emblème de l’été, poursuit Christophe Bacquié. Mariée à la dorade et au lard, c’est un plat bon, léger et joliment coloré. » (Voir recette).
Ses recettes typiques : morilles et asperges, risottos ou volaille à la crème et au vin jaune
Dans les recettes traditionnelles, la morille convole plutôt avec de la crème, aux bras d’une volaille et d’un vin du Jura. « Je réserve les petites morilles pour les sauces, les jus ou pour une crème, explique Gilles Goujon, le chef de L’Auberge du Vieux Puits (Aude). Pour la crème de mon gratin de bucatinis, j’utilise un vin Rivesaltes, le Matifoc : c’est magique, servi avec du veau. » Le chef trois étoiles farcit les plus gros calibres avec une mousseline d’asperges ou accompagne sa blanquette d’un risotto aux morilles (avec échalotes, beurre, fond de volaille, parmesan et vin jaune).
Régis Marcon, lui, fait faire à la morille le grand écart entre recettes classiques et moderne : il les marie à un Vol-au-Vent traditionnel, à un risotto de petit épeautre ou à des lentilles corail au lait de coco. Sa plus grande audace est d’avoir imaginé il y a vingt ans une recette de morilles… sucrée : la brochette de bananes/morilles : « le caramel doit être très doux, déglacé au vieux vinaigre. On lui rajoute le jus de trempage des « morchella déliciosa », une espèce rare au parfum extraordinaire. Ensuite, on fait confire les bananes et les morilles entières dedans, comme avec un caramel beurre-salé. » Une vraie star de cuisine, à l’aise dans tous les rôles.
Charlotte Langrand
La recette de Christophe Bacquié*
Morille farcie à la daurade
Ingrédients pour 4 personnes
Emulsion d’oignon
- 150 gr d’oignons coupés en 8
- 250 gr de bouillon de poule
- 75 gr de beurre
- 1 clou de girofle
- 10 gr de sucre semoule
- Sel rose de l’Himalaya
Dans une sauteuse faire colorer les oignons dans 20gr de beurre, ajouter le sucre pour les caraméliser, mouiller avec le bouillon de poule, cuire pendant 1 h. Passer au chinois, ajouter le clou de girofle, laisser infuser 30 mn. Monter au beurre. Assaisonner.
Morille farcie
- 4 morilles
- 45gr de chair de daurade
- 45gr de crème liquide
- 40 gr de morilles fraiches concassés
- 10 gr d’échalotes ciselés
- 10 gr de lard de colonatta
- 5cl de fumet de poisson
- 10gr de beurre
- 1cl de baume de Venise (muscat)
Dans un mixer, réaliser la farce de poisson avec la daurade, la crème et une pointe de sel. Dans une sauteuse, faire fondre le lard, suer l’échalote, ajouter les morilles, déglacer au vin, mouiller avec 3cl de fumet de poisson, laisser cuire à couvert 45 mn.
Ajouter ce mélange froid à la farce, vérifier l’assaisonnement puis farcir les 4 morilles avec une poche à douille (bien les remplir). Dans une sauteuse faire fondre le beurre, ajouter les morilles farcies, mouiller avec le fumet restant et cuire 5 mn.
*Chef trois étoiles du Castellet, www.hotelducastellet.net