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Bonne pâte

Hier ringard et déconseillé pour la santé, le fromage sort du carcan imposé entre plat et dessert

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Les vieux chariots à fromages pourraient bien reprendre du service. Devenus ringards et confinés dans les restaurants des palaces, ils bénéficient du vent de modernité qui souffle sur les fromages français, qui s’offrent une nouvelle jeunesse. Il n’est pas question ici de réinventer les secrets de production d’un camembert bien fait ou d’un chèvre fleuri mais plutôt de célébrer les noces des fromageries et des restaurants, la rencontre des affineurs et des cuisiniers, qui réfléchissent ensemble à de nouvelles façons de déguster les innombrables variétés de nos terroirs.

Une vitrine garnie de meules massives de comté 36 mois

Pour saisir cette tendance, il faut faire un détour par Beau & Fort, rue du Faubourg-Montmartre à Paris (9e ), et tomber en arrêt devant une vitrine garnie de meules massives de comté 36 mois, d’un gorgonzola entier de 6,5 kg, de quarts de brie, de gouda vieux et de chèvres frais, secs ou aux fleurs… Une vision à faire chavirer d’émotion l’amateur. Du parfum au savoir-faire, l’endroit ressemble à une fromagerie, mais c’est aussi un restaurant où l’on déguste les pâtes molles ou dures dans de petites assiettes légumières (radis, velouté de petits pois et menthe, poireau vinaigrette), en planche avec de la charcuterie (cecina de bœuf, terrine), en version cuisinée (cheeseburger au morbier ou un camembert rôti dans un bun avec panure à la pistache) ou en version sucrée (gâteau au chocolat avec copeaux de vieux gouda).

L’endroit ambitionne d’« apporter une touche de modernité et d’esthétique au fromage en respectant la tradition », explique son fondateur, Damien Richardot. « Il faut donner envie, faire de la pédagogie en expliquant les techniques et les différents types de lait tout en proposant des prix accessibles. » Cette volonté de remettre ce produit au centre du repas est au cœur d’autres initiatives, comme celle de Pierre-Hilaire Poron, qui a ouvert un bar à fromages, Formaticus (Paris 17e ).

« Nous n’avons pas encore d’émission de télé, mais cela pourrait venir ! » Pierre Gay, affineur à Annecy

Box livrées, produits sourcés et restaurants sur le thème du fromage

Sur le Net, dans la (trop) grande famille des box livrées à domicile, les autoproclamés Nouveaux Fromagers proposent des boîtes de quatre produits au lait cru envoyées chez les 2.500 abonnés mensuels. Au très chic Printemps du goût, le restaurant de Laurent Dubois revisite brillamment un classique populaire selon les saisons : le croque-monsieur accueille par exemple un saint-nectaire truffé ou un comté 20 mois et de la moutarde à la noix. « Ma réflexion sur mon métier a toujours été la spécialisation, explique cet affineur, meilleur ouvrier de France. Quand j’ai démarré, j’ai supprimé les produits “parafromage”, charcuterie, pain, vin ou confitures, pour ne garder que des fromages au lait cru de producteurs sourcés de qualité, que je trouvais dommage de transformer ou de cuire. »

Réputés top gras ou coincés entre le plat et le dessert

Une vitrine du restaurant-fromagerie Beau et Fort

Mais depuis, le secteur a souffert : écoutant les recommandations diététiques, les clients font souvent l’impasse sur cette partie du repas. D’autant que la qualité des produits servis sur planche n’est pas toujours à la hauteur : accompagnés d’une triste feuille de salade mal assaisonnée, les morceaux font mauvaise figure au regard des plats. « Résultat, le fromage a perdu sa place dans les restaurants mais a fait le succès des fromageries, constate Laurent Dubois. Les gens le dégustent chez eux, entre amis, avec une bonne bouteille, c’est un moment de partage. Il fallait donc montrer notre créativité, en le cuisinant. »La tendance consiste à sortir ce laitage du carcan imposé, entre le plat et le dessert, et de le proposer en apéritif, en accompagnement, en sauce et même à la table du petit déjeuner, volant la vedette aux croissants. Nespresso a senti le filon et l’accorde avec son café (lire encadré). La start-up Tentation Fromage imagine aussi des accords avec le chocolat, par exemple, un noir 70 % avec du chèvre.

Les bons accords du fromage

Ce renouveau fromager va de pair avec le boom des bières artisanales et des vins nature, offrant des possibilités d’accords nouveaux. On (re)découvre les vertus du vin blanc, qui enrobe les saveurs lactées moins frontalement que le rouge ; on s’essaie au pairing avec du saké ou des bières de microbrasseries régionales. « Cela nous permet d’étoffer la carte car la bière a beaucoup de succès lors des afterwork, avec un maroilles ou un herve, témoigne Damien Richardot, de Beau & Fort. Mais à l’heure du goûter, les accords avec le thé et la tisane sont formidables aussi. »

Un métier en redéploiement

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Planches de fromages, au café du coin, avec du vin rouge. Un classique de l’apéro

L’effervescence profite au métier. « Il y a quinze ans, notre profession était quasi moribonde, se souvient Pierre Gay, à Annecy, qui a réalisé la sélection pour Beau & Fort. Aujourd’hui, nous avons une nouvelle visibilité, qui a été impulsée par la création de la section Meilleur ouvrier de France fromager, en 2000. Nous n’avons pas encore d’émission de télévision, mais cela pourrait venir ! » Dès la rentrée de septembre, le milieu va aussi se doter d’un CAP crémier-fromager. Les chefs sont sensibles à ce nouvel espace de jeu. Au Princede-Galles, Stéphanie Le Quellec sert un fromage différent chaque mois, accompagné de sept condiments. « Il n’y a pas que le parmesan qui accompagne les pâtes ou le gruyère qui fonctionne bien sur un croque-monsieur, appuie Jean-François Hesse, créateur du Cheese Day, dont la deuxième édition vient de s’achever. Les chefs se démènent pour inventer des recettes qui mettent en valeur notre patrimoine fromager, comme Guy Savoy ou Christian Le Squer. »

Loin des tables gastronomiques, les professionnels de la santé ont aussi changé d’avis sur fromage. Une étude publiée en mars 2017 dans le Journal of Epidemiology dédouane cet aliment de ses dangers : les plus gros consommateurs de produits laitiers présenteraient un moindre risque de décès toutes causes confondues (– 19 %) et même par maladie cardio- vasculaire (– 28 %). Ses vertus sont même réhabilitées : peu de sel pour l’emmental, de la vitamine D pour le brebis des Pyrénées, le bon taux de calcium du parmesan… On recense 1.200 variétés de fromages en France : de quoi se refaire une belle santé.

Charlotte langrand

Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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