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Révolutions de Palais dans le Quartier latin

Une poignée de chefs ambitieux sont partis à la conquête du 5e arrondissement de Paris. L’offre, la qualité et les prix augmentent. Certains viennent de décrocher leur première Etoile Michelin

Le discret cinquième se réveille… et il a faim. Jusqu’ici coincé entre un quartier latin de restaurants pour touristes ou étudiants et une douceur de vivre paisible, l’arrondissement séduisait des chefs cuisiniers trop rares ou très discrets. Malgré quelques bonnes adresses de quartier, comme le libanais Loubnane rue Galande ou le Foyer Vietnamien rue Monge, le gastronome du 5e devait s’exporter vers d’autres stations de métro pour satisfaire ses envies gastronomiques –ou casser sa tirelire à la mythique Tour d’Argent, Quai de la Tournelle.

Bistrots d’auteur, caves à manger, adresses étoilées… L’enthousiasme actuel pour la cuisine a saturé certains secteurs chics ou branchés de Paris, où pas une semaine ne passe sans l’inauguration d’un restaurant. L’emplacement est donc crucial pour tirer sa fourchette du jeu mais des chefs, fatigués de batailler pour avoir pignon sur rue dans les 11e et 10e arrondissements ou de se ruiner pour s’offrir le  7e ou le 8e, ont fini par remarquer la Belle Endormie.

Un pari pour développer sa cuisine

En quelques mois, ils ont installé leurs casseroles du Boulevard Saint-Germain au Val de Grâce et du Jardin des Plantes au Panthéon. «Il y a une belle clientèle ici, qui en a assez de sortir manger dans le 6e et le 7e», constate Raphael Rego, chef de Oka, dans le sud de l’arrondissement (1 rue Berthollet). A l’étroit dans son restaurant du 9e, le Brésilien rêvait d’un espace plus grand: «cela a un sens d’acheter ici même si je sais que c’est la partie du 5e en laquelle personne ne croit, poursuit-il. Quand j’ai ouvert dans le 9e il y a 4 ans, la rue était déserte aussi, maintenant elle est pleine de restaurants! Si votre cuisine est bonne, les gens viennent pour vous.» Il peut enfin déployer la subtilité de sa cuisine fusion, qui fleure bon le Tucupi, ce jus de manioc fermenté, les mini haricots de Santarém et quinze sortes de cachaças…

Quand j’ai ouvert dans le 9e il y a 4 ans, la rue était déserte aussi, maintenant elle est pleine de restaurants!, Raphael Rego, chef de chez Oka, une étoile au Guide Michelin 2019

Des tables aux cuisines d’ailleurs

Le 5e semble propice aux voyages culinaires: les chefs y proposent souvent une cuisine inspirée d’ailleurs. C’est le cas de William Ledeuil, qui a récemment ouvert Kitchen Ter(re) au nord de l’arrondissement (26 boulevard Saint-Germain). Le discret et talentueux chef de Ze Kitchen Gallery (une étoile) dans le 6e, où il exprime déjà son amour de l’Asie du Sud-Est avec une maîtrise unique des bouillons, poursuit son exploration de la Rive Gauche avec ce bistrot de pâtes anticonformistes, fabriquées sur-mesure, au blé ancien, par le meunier Roland Feuillas.

En descendant vers les Arènes de Lutèce, les gastronomes partageurs s’attableront chez Tommy Gousset, à Hugo&Co (48 rue Monge). Plus abordable que sa première adresse du 7e, la carte décline des entrées à partager (brioche vapeur bao, crostini à l’avocat…) et des plats rassurants (épaule d’agneau snackée, saumon bio et asperges…), à la frontière entre la gastronomie traditionnelle, la street food et la cuisine métissée. Un détour vers la Place Monge et nous voilà en Grèce, pour apprécier la première étoile Michelin décrochée cette année par Mavrommatis, avec sa cuisine traditionnelle (poulpe grillé, encornets farcis…) et moderne (carpaccio de pagre…).

“Nous ne voulions pas d’un quartier qui marchait déjà”, Julia Sedefdjian, cheffe de baieta.

Devant le Quai de la Tournelle, coule… la Méditerranée. La niçoise Julia Sedefdjian vient d’ouvrir Baieta (5 rue de Pontoise), à la place d’Itinéraires, l’ancien restaurant de Sylvain Sendra, et à côté de Kitchen Ter(re) et d’Alliance (5 rue de Poissy), le restaurant de cuisine française revisitée par le chef japonais Toshitaka Omiya. Déjà remarquée aux Fables de la Fontaine dans le 7e pour son titre de plus jeune étoilée de France, la chef de 23 ans vient de construire son propre nid, avec déjà une belle personnalité. La carte, courte et efficace, propose des assiettes joyeuses et limpides, dont un plat-signature qui fait beaucoup parler: une bouillabaisse déstructurée (soupe de poisson/mousseline de fenouil/rouget, Saint-Pierre et  encornets…).

Révolutions de Palais dans le Quartier latin
La bouillabaisse “déstructurée”, à la façon de Julia Sedefdjian, chez Baieta

«Nous ne voulions pas d’un quartier qui marchait déjà, explique-t-elle. Tout le monde s’installe dans le 10e-11e, il y a foule et nous voulons attirer une clientèle plus gastronomique. Avec les autres chefs alentours, on se connaît bien et cela commence à faire un beau quartier: nous faisons tous des cuisines de personnalités différentes et nous comptons sur le bouche-à-oreille pour séduire les gens.» A la rentrée, elle a ouvert dans la foulée un nouvel établissement, dans la rue d’à côté: un bar à manger caribéen nommé Bô.

Les métiers de bouche ne sont pas en reste. «Le 5e et son esprit village, compte beaucoup de commerces de bouche de qualité, constate Benjamin Isare, maire-adjoint du 5e, chargé du commerce. Les restaurants ont une clientèle d’habitués fidèles.» On murmure d’ailleurs qu’un nouvel opus du Bel Ordinaire, le concept de restaurant-épicerie de qualité créé par Sébastien Demorand dans le 10e, s’installera rue de Bazeilles, mi-octobre. Même le Jardin des Plantes vient de s’offrir un charmant resto-terrasse, baptisé les Belles Plantes et Thibaut Sombardier, déjà chef d’Antoine (7e) et Mensae (19e) vient d’ouvrir un bistrot «d’auteur», à la frontière du 5e, côté 13e. Comme lui, après avoir commencé dans les beaux quartiers, les jeunes chefs s’implantent dans des secteurs moins courus, pour montrer l’étendue de leur cuisine et toucher d’autres publics. «Le 5e est le quartier de l’avenir pour les jeunes qui n’ont pas d’investisseurs-milliardaires derrière eux et qui veulent réaliser leur projet de vie, avance Raphael Rego. Dans trois ans, il fera des étincelles.» Le pari est lancé.

Charlotte Langrand

Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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