Les rideaux de fer se lèvent à nouveau, timides. Depuis lundi dernier, certains restaurants relèvent la tête grâce à des « menus de confinement » dédiés à la vente à emporter et à la livraison. Quelques tables barrent les entrées des bistrots, transformées en comptoir de vente sécurisés ; les patrons, masqués, se font livreurs ; les barquettes sont de sortie… Les fourneaux chauffent à nouveau et c’est comme une respiration, un semblant de vie qui reprend, enfin, derrière les devantures closes depuis plus d’un mois.
Renouer avec les clients
« On a reçu tellement de message de nos clients qui nous demandaient comment ça allait, on a donc décidé de réagir et se nous lancer dans la livraison et la vente à emporter, raconte Roxane Sévègnès, qui s’occupe du conditionnement des plats et des livraisons du Café des Ministères (Paris 7e), tandis que Jean, son mari et chef, épluche les carottes en cuisine. Nous voulions garder le contact avec eux, on est tellement contents de les revoir… » Le fabuleux Vol au vent de ce Café des Ministères revient donc flatter les estomacs gastronomes. Tout comme leur côte de veau et les bons produits du boulanger Poujauran voisin, les fromages de Claire Griffon et quelques bonnes bouteilles… Depuis quelques jours, Jean et Roxane livrent surtout « à des clients réguliers, qui sont 75% de nos commandes. »
Une logistique compliquée à mettre en place
Plus loin dans le 14e arrondissement de Paris, c’est Nordine Labiadh, chef du restaurant A Mi-Chemin, qui régale les Parisiens avec son incroyable couscous, à la semoule légère et aux légumes fondants, sublimé par les viandes du boucher voisin, Hugo Desnoyer. « On revient aux fondamentaux : on fait la cuisine pour nourrir les gens », sourit le chef, qui livre en voiture électrique dans un rayon d’un kilomètre et sur place. Dans le 2e, c’est le suprême de volaille rôti aux épices de Simon Horwitz, de chez Elmer, qui a trouvé place dans sa carte improvisée, qui changera régulièrement : poireaux aïoli et mimosa d’œufs ; asperges kimchi-oranges-noisettes ; ses fameux pots de pickles ou son brownie au caramel demi-sel… La logistique n’a pas été facile à mettre en place : « Peu de fournisseurs se sont remis en route mais j’ai un maraîcher en Champagne qui peut me livrer et un fournisseur de viande de Rungis, explique le chef. C’est compliqué de se déplacer avec la machine à carte bleue mais on se débrouille. »
Le déclic: les restaurateurs ne sont pas concernés par le déconfinement du 11 mai
Ils sont ainsi des dizaines à reprendre du service à distance : « Le déclic, ca a été le discours de Pâques du Président Macron, explique Olivier Nasti, chef deux étoiles du restaurant Le Chambard en Alsace. On a tous imaginé, au départ, rester confinés pendant trois semaines et là, on a compris que la réouverture était encore loin… Le lendemain, mes employés m’ont appelé pour me demander quel allait être notre avenir. Très endetté, je devais prendre les choses en main, ce n’était pas en râlant que j’allais trouver la solution. »
Une “drive” gastronomique en Alsace
Le chef doublement étoilé a ainsi inventé le premier « drive » gastronomique de France : son restaurant, avec réception et sonnette au bout du parking, s’est révélé totalement adapté à la création de ce service à emporter, sans que les clients sortent de la voiture. « On leur met directement dans le coffre, poursuit le chef, qui propose aussi un service de livraison. Nous avons reçu près de 700 commandes en trois jours. Nous devions tout réinventer, c’est une grosse organisation à mettre en place. Mais j’ai reçu des messages de soutien qui m’ont redonné un sourire d’enfer. » Le chef a dû adapter ses recettes à la livraison et au réchauffage des plats, tout en proposant toujours un niveau de haute gastronomie : « vendredi, c’est le jour du poisson mais l’omble chevalier est trop fragile pour le réchauffage, nous en avons donc fait une belle quenelle, avec la même qualité de sauce que d’habitude. » Le chef installera bientôt un food truck dans les quartiers périphériques, pour les travailleurs ainsi qu’un point relais dans le centre de Colmar.
Des livraisons adaptés au réchauffage au four
Du côté du lac d’Annecy, le chef deux étoiles Jean Sulpice ne pouvait pas non plus rester sans rien faire, dans son Auberge du Père Bise : « C’est un métier de se faire à manger trois fois par jour, les gens en avaient un peu assez ! », explique-t-il. Il a donc élaboré une carte avec entrée-plat-dessert disponible en ligne puis à emporter, dans sa boutique, avec toutes les règles de sécurité. « Pour rester du « Jean Sulpice à la maison », il faut garder la ligne directrice de ma cuisine : j’adapte les plats pour que la cuisson soit juste, je donne un protocole explicatif pour bien les dresser à la maison : l’émulsion de la vinaigrette, les herbes fraîches à mettre au dernier moment… » Comme cette quenelle de brochet sauce safranée et gratinée, avec une fine chiffonnade de fenouil, ciboulette, poivre et piment d’Espelette fumé, en direct des pêcheurs du lac et des cueilleurs alentours.
Objectif: limiter la casse et payer quelques factures
Cette reprise d’activité partielle permettra peut-être de sauver, en partie, le secteur de la catastrophe. Si le chiffre d’affaire est nul, cette activité minimum pourra limiter les dégâts en réglant quelques factures, salaires ou loyers. Certains ont déjà pris les devants et la formule fonctionne : « Quand j’ai réouvert, les commandes ont explosé, nous étions en rupture de stock, confirme Moïse Sfez, patron de Homer Lobster à Paris. Ce sera zéro bénéfices mais au moins, on ne déposera pas le bilan. »
De nombreux autres cuisiniers sont en train de s’activer en coulisses pour rallumer leurs fourneaux (voir liste et article sur le jdd.fr). Même le chef Alain Ducasse a mis en place un service de livraison, baptisé « Ducasse chez moi ». C’est aussi le cas de Stéphanie Le Quellec, qui propose « La Scène chez vous », avec entre autres sa Blanquette de veau infusée au café. On peut même s’offrir les mythiques canards de la Tour d’Argent ou une belle côte de bœuf du chef Tomy Gousset de chez Hugo&Co…
Les petits bistrots de quartier aussi
En ville, les petits bistrots de quartier, aussi impactés que les grands restaurants, s’y mettent aussi, même si la logistique est différente : « Je n’ai pas de site web, je ne travaille pas avec les plates-formes de livraison mais j’ai l’habitude de faire des plats du jour, explique Paulo, patron du Café Noisette, rue Delambre à Paris (14e). Si je retrouve mes fournisseurs, je pourrai proposer des plats à emporter aux riverains, début mai. »
Garder la convivialité
Bertrand Grébaut, chef de chez Septime et Clamato à Paris, se lancera dès mercredi dans un menu unique, avec le soin habituel apporté à sa bistronomie : « Nous ferons de vrais plats pour que les gens se retrouvent un peu chez nous, explique-t-il. En attendant les conditions de réouverture… Car il faudra absolument garder la convivialité et le partage propres aux restaurants. La gastronomie, ce n’est pas que dans l’assiette ! » Ces solutions temporaires réchaufferont tout de même le ventre et l’âme des nostalgiques. Et ils sont nombreux.
Charlotte Langrand
Ils livrent aussi, à Paris :
la Boucherie Grégoire (6e), Oka (5e), Pierre Sang Express (6e), Streetbangkok, la Cantine du Troquet (7e), Fulgurances (11e), L’Ami Jean (7e), Tripletta (20e et 14e), Le Bel Ordinaire (5e), Mabrouk (3e), l’Auberge Basque (16e)… (infos disponibles sur les réseaux sociaux des restaurants)