Pour lire l’article dans sa version pdf, cliquez ici: gastronomes et militants
Pour un restaurant, le nom est osé. Les «Résistants» (Paris 10e) n’est pas un établissement comme les autres. Sa belle décoration de matériaux bruts et de végétation abrite une bande d’amis engagés dans un pari audacieux: proposer une cuisine entièrement faite avec des produits de petits producteurs, du sel utilisé en cuisine aux plats servis en salle, en passant par le beurre, le pain, le vin… « 100% de nos aliments viennent de petites productions raisonnées alors que la plupart des restaurants travaillent ainsi sur quelques produits d’appel mais achètent le reste dans la grande distribution, explique Clément Desbans, le chef cuisinier. Notre démarche est inédite.»
Depuis trois mois, le restaurant est rempli chaque soir. Intrigués par la «charte des Résistants» affichée sur la devanture, à côté du menu du jour, les badauds sont convaincus par cette démarche radicale qui plaide pour le goût, la qualité et la valorisation du travail de producteurs éthiques. Partis en tournée en France, Florent Piard, le concepteur du projet et Clément Desbans ont minutieusement cherché les agriculteurs, éleveurs ou vignerons qui répondent à leurs critères : «un système de production durable, respectueux de l’environnement et peu intensif», «une transparence totale dans la traçabilité» ou encore «travailler en agriculture biologique ou durable»… « Les résistants, ce sont les producteurs, pas nous, estime le chef. Les normes agro-alimentaires sont en train de tuer à la fois le marché et la santé des consommateurs, notre but était de montrer que les bons producteurs existent et qu’un restaurant peut travailler en direct avec eux, en les payant correctement. » L’addition, elle, correspond au ticket parisien habituel (plats à 20€ maximum, entrées et desserts à 6-10€).
Classes vertes à la ferme
De nombreux restaurateurs se lancent ainsi dans une nouvelle forme de militantisme alimentaire. Chacun dans leur domaine (la restauration, l’élevage…), ils sont poussés par la même indignation de départ -la piètre qualité de l’alimentation de masse- et le même idéal -savoir qui se trouve derrière les produits. Indépendants mais déterminés, ces passionnés de bonne chère créent des circuits courts avec des artisans qui travaillent de façon raisonnée. Et ont un même principe: supprimer les intermédiaires entre eux et le public. «Le lien entre le producteur et le consommateur est déshumanisé, estime Arnaud Billon, créateur du site www.ahlavache.fr. Il faut remettre le producteur au cœur de notre alimentation.»
En direct avec les éleveurs du Perche
En 2012, cet éleveur de bovins du Perche peine à vivre de son activité et propose à des voisins éleveurs «travaillant proprement», de mettre leur production en commun pour la livrer à Paris une fois par semaine: «Au départ, ils m’ont pris pour un fou, rigole-t-il. Aujourd’hui, nous sommes une dizaine, je connais exactement leur façon de travailler, comment ils nourrissent et soignent leurs bêtes: sans OGM ni antibiotiques, sauf en dernier recours. C’est comme si j’avais créé mon propre label de qualité.» Arnaud Billon s’est donc improvisé «chasseur de tête», repérant les bons producteurs et recréant un maillage entre eux, pour les faire vivre et soutenir leur travail. Contournant les prix de la grande distribution, il leur achète les bêtes entières, à un prix fixe toute l’année. Le site compte 1.3000 clients, autant séduits par la démarche que par la qualité de la viande.
“Il faut remettre le producteur au coeur de notre alimentation”, Arnaud Billon, éleveur et créateur du site Ahlavache.com
Ces entrepreneurs engagés ne s’arrêtent pas là. Les Résistants convient leurs clients à des tables rondes et Ah la Vache.fr, à des classes vertes à la ferme, pour qu’ils rencontrent les producteurs. Arnaud Billon organise aussi un grand barbecue avec ses éleveurs pour souder l’équipe: « nous ne leur demandons pas seulement de faire de la bonne viande, même si c’est primordial, poursuit-il. Ils défendent aussi le projet et sont très investis. »
Petits plats dans la rue
Ravis également, les restaurateurs parisiens qui se rassemblent tous les quinze jours sur le boulevard de Belleville à Paris, pour participer au «Food Market». En amont, Virginie Godard, la fondatrice, arpente la capitale pour tester les adresses de qualité et leur propose de venir cuisiner leurs petits plats dans la rue, à un prix raisonnable (10€ max). «On pense que la cuisine de rue est de mauvaise qualité, c’est faux!, estime-t-elle. Notre charte impose le fait-maison, pas de produits issus de la grande distribution, un respect des saisons, des circuits courts, un impact carbone réduit… Nous rassemblons des restos habitués à l’événementiel mais aussi des petites adresses moins connues mais excellentes.» Ainsi, un couple de restaurateurs portugais et leurs divins «pastéis de Nata»; une jeune fille qui récupère les invendus des boulangeries pour en faire du pain perdu; une agricultrice du Berry qui cuisine ses agneaux à la plancha ou le jeune restaurateur de la brasserie « le gamin de Paris », adepte du fait-maison depuis ses débuts en cuisine, à 14 ans… A chaque cession, entre 5.000 et 10.000 personnes viennent y manger, entre amis ou en famille. Le Food Market s’installera bientôt à Lyon. Un succès qui suscite l’envie de la grande distribution: « elle aimerait en faire partie, pour pouvoir toucher notre public, explique Virginie Godard. On m’a même proposé un partenariat financier qui nous aurait mis à l’abri pendant un an… mais c’est hors de question, cela n’aurait aucun sens ! » Parole de militants.
Charlotte Langrand
Profil Grec: de l’huile d’olive contre la crise
En 2012, Alexandros Rallis, trentenaire franco-grec, cherchait sa voie à travers une activité qui ferait le lien entre ses deux pays. Quand il décide d’exporter, à très petite échelle (200L), l’excellente huile d’olive de Kalamata extraite des champs d’oliviers de sa grand-mère, il essuie quelques tendres moqueries. Aujourd’hui, il importe 12.000 litres de cette huile herbacée, produite selon la pure tradition grecque familiale, qui a déjà séduit les chefs français comme Sven Chartier, Bertrand Grébaut, Inaki Aizpitarte ou Yves Camdeborde. Alain Ducasse et Alain Passard viennent même de lui rendre visite…
«Le drame de l’huile grecque est qu’elle est souvent mélangée par les coopératives, explique-t-il. Je voulais préserver sa pureté, faire des produits haute-couture pour les restaurants à Paris, montrer qu’elle est d’une qualité équivalente à celles de Toscane ou d’Andalousie.» En démarchant les producteurs qui travaillent sans engrais chimiques, il peut jouer de l’huile d’olive comme du vin, proposant des crus uniques, plus ou moins doux ou racés.
Avec Profil Grec, Alexandros Rallis importe aussi des agrumes, du miel et une sublime féta. «L’artisan qui la produit fait un travail superbe mais il a failli être tué par la crise locale, raconte-t-il. Pour nous, c’est donc un acte militant de leur payer le prix juste et de savoir ensuite vendre leurs produits. Ainsi, on fait à la fois de bonnes choses à manger et quelque chose pour aider la Grèce.» Pour découvrir ces pépites, rendez-vous le 29 mai aux Buttes Chaumont, pour un «banquet» de dégustations.
www.profilgrec.com