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Le printemps a l’art de s’annoncer. Il missionne toujours de beaux messagers: dans le ciel, les hirondelles, et dans l’assiette, les asperges. En cuisine, ces longues tiges à pointes arrivent comme les bonnes nouvelles, sonnant le glas du long hiver et de ses emblématiques racines.
La Rolls des asperges
Chaque année, les cuisiniers les attendent comme le retour des filles prodigues. Dès les premières lueurs de février, ils composent, impatients, le numéro du domaine des Roques-Hautes (13) de Sylvain Erhardt. Un œil rivé sur le thermomètre, l’autre sur les premières pointes sortant de terre, le maraîcher récolte le fruit de son travail passionné: plus de cent chefs étoilés ne jurent que par ses asperges vertes: «parfaites», «des rolls-royce», «de l’art»… Les éloges pleuvent pour décrire ces impeccables tiges et ces délicats bourgeons, cultivées de façon artisanale avec une telle tendresse que sa femme est jalouse. «Ce sont mes filles et les reines des légumes, estime-t-il. Je les surveille à chaque instant, c’est un travail technique, presque chirurgical. Pour leur prouver mon amour, je les ai baptisées par calibre: les plus grosses sont les reines, puis viennent les marquises, les duchesses, les comtesses et les princesses.»
L’asperge, un aliment noble et capricieux
Si Sylvain Erhardt s’est laissé séduire par ces belles plantes, c’est qu’il n’a pas affaire au premier légume venu. L’asperge, s’il vous plaît, est un aliment «noble». Cette élégante se pare de vert ou de blanc, parfois de violet. Pluriannuelle, elle s’épanouit dans des sols limoneux-sablonneux. Capricieuse, elle ne daigne sortir de terre que lorsque la température redevient supportable, de mi-mars à début juin. «Le goût de l’asperge, c’est un climat, un sol et un Homme, estime-t-il. Les miennes ne sont pas amères mais presque sucrées, avec très peu de fibres. Elles se plaisent dans ce sol profond et drainant, qui est une alluvion de la Durance.» En haut des collines provençales, les promeneurs chanceux peuvent parfois en cueillir des sauvages. Mais on trouve des cultures dans la Marne, le Poitou, les Landes et même à Argenteuil (94).
La faveur du roi
Cette «aristocrate des légumes» -son surnom québécois- s’offre même le luxe d’avoir séduit les Romains, qui inventèrent sa culture, les Egyptiens, qui lui trouvèrent des vertus aphrodisiaques et les Grecs, qui l’utilisaient comme plante médicinale. L’un de ses plus célèbres adorateurs fut Louis XIV lui-même, qui convoquait ces demoiselles à sa table pour… Noël, obligeant son jardinier à déverser des tombereaux de fumier pour réchauffer les sols et provoquer leur apparition hors saison. «Rien ne ressemble à l’asperge, à tous les niveaux: visuel, gustatif et olfactif, conclue Alain Passard, chef de l’Arpège. C’est une source folle d’inspiration: la verte, herbacée, exubérante et provocatrice et la blanche, lactée, presque effacée…»
Longtemps traitées comme des garnitures
Ces précieuses pousses n’ont pas toujours été traitées aussi royalement. Longtemps traitées comme des garnitures, des cuisiniers peu sensibles à leur charme les ont blanchies, voire bouillies. «On nous a appris à les cuire dans l’eau mais je l’interdis catégoriquement dans ma cuisine, cela les rend amères, affirme Pierre Rigothier, à la Scène Thélème (75). Mieux vaut les faire suer dans un sautoir, avec de l’huile d’olive, du sel et du thym.»
Réhabilitées par des maraîchers enamourés, elles commencent à peine à dévoiler leur potentiel: «Tout est encore à faire avec l’asperge, personne ne s’est vraiment penché sur elle, estime le chef Passard. Je parle avec elles, qui nous appellent et semblent dire «faites autre chose avec nous!». Elles méritent de meilleurs assaisonnements, conjugaisons et cuissons.» Le privilège de ces aristocrates est justement de se laisser cuisiner à toutes les sauces: en entrée, en plat, à la vapeur, rôtie, avec une vinaigrette ou des accords luxueux: la généreuse nature leur offre des croisements de saisons éphémères, avec les dernières truffes de l’hiver ou les premières morilles printanières.
De nombreuses recettes de chefs énamourés
Nobles mais pas snob, les asperges parlent à toutes les toques. «Chez moi, c’était une entrée, se souvient Bruno Doucet de la Régalade (85). Mes grands-parents cultivaient des blanches, qu’on disposait dans des bocaux, pour en manger toute l’année. C’était un plat de fête, pour les communions.» Christophe Bacquié (83) leur concocte un beurre de roquette. Gregory Marchand, de Frenchie (75), a jeté son dévolu sur «les biscornues de Roques-Hautes», les asperges courbées de Sylvain Erhardt, qu’il marie avec une mousse de parmesan, un jaune d’œuf fumé, un crumble d’orge et des noisettes du Piémont.
Les asperges à la verticale du maître Alain Passard
Pour sublimer ces dames, mieux vaut savoir être délicat. «Il faut une main artistique et une sensibilité car elle est fragile», poursuit Alain Passard. Le maestro a inventé une cuisson rien que pour elle: à la «verticale». «C’est de l’art, selon Sylvain Erhardt. Leur texture est incroyable.» Fondantes, voire caramélisées au talon, croquantes à la pointe, elles cuisent debout, en botte, arrosées de beurre clarifié. «Les cuisiniers ont tendance à avoir la main trop présente, je travaille à effacer le geste, explique le chef. J’ai voulu traiter les asperges comme au marché: en botte. Avec un œuf mollet, l’acidité de l’oseille et des petits pois, c’est fabuleux.» Le printemps dans une assiette.
Charlotte Langrand
La recette facile avec des asperges
La recette d’Alain Passard
Asperges à la verticale, oeuf mollet et fondue d’oseille
Ingrédients (pour 4 personnes)
Recette
ll s’agit de cuire les asperges à la verticale en botte dans un sautoir, en les arrosant de beurre salé chaud et de faire monter la chaleur dans le fût de l’asperge. Cela permet d’obtenir un dégradé de cuisson : le bourgeon sera cru-chaud, le cœur, croquant et le talon, confit. l’élément clé est le sautoir, qui doit être assez grand (dia- mètre de 20 cm au moins et bords hauts de 12-15 cm) pour laisser un couloir de chaleur autour de la botte. au marché, la fraîcheur des asperges se vérifie en s’assurant que leur talon est dépourvu de craquelures et le bourgeon, immaculé et sans impacts.
À l’économe, débarrasser les asperges de leur peau et les toiletter à l’eau claire. recréez la botte en les enveloppant dans une large ceinture de papier sulfurisé doublé. le diamètre de la botte garantit sa stabilité : pas moins de 13cm. Laisser la tête hors du papier, nouer avec de la ficelle.
Déposer deux copeaux de beurre salé et la botte à la verticale dans le sautoir. laisser cuire 90 minutes à feu très doux en arrosant régulièrement à la cuillère avec le beurre chaud. Toiletter les feuilles d’oseille à l’eau, les essorer et ôter leur cosse. les faire fondre dans une casserole avec un copeau de beurre salé.
libérer ensuite les asperges en coupant la ficelle, les servir avec un œuf mollet (6 minutes), de la fleur de sel, ce petit beurre de cuisson noisetté et la fondue d’oseille. Parsemer de cerfeuil fraîchement ciselé.
L’Arpège : 84, rue de Varenne, 75007 Paris. Rens. : 01 47 05 09 06 et www.alain-passard.com
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