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Bonne poire

Malgré sa fragilité et des formes débonnaires, l'ancienne star du Potager du Roi n'est pas si naïve

 

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Quel est le point commun entre la Duchesse d’Angoulême, le Général Leclerc et le Docteur Guyot ? Réponse : une peau rugueuse, des silhouettes charnues et de belles robes colorées. Ces personnages à priori sans liens ont une secrète filiation fruitière : ce sont aussi des noms de poires. Ils sont membres d’une vaste famille composée de centaines de variétés, aussi diverses par leurs formes, leurs goûts et leurs couleurs que par l’éloquence de leurs patronymes, tantôt honorifiques (Sénateur Vaisse, Président Héron…), tantôt triviaux (La Grosse Louise du nord, la Cuisse Madame…).

C’est que la poire, malgré son apparence débonnaire, est un fruit social et politique. Elle se pavane d’abord dans les hautes sphères. « Au 17e siècle, c’est le grand fruit de l’aristocratie, raconte Antoine Jacobsohn, responsable du Potager du Roi à Versailles. Le monarque demandait à son jardinier, La Quintinie, d’en produire en grosses quantités. » Contrairement à la pomme, fruit paysan par excellence, la poire s’épanouit plutôt dans les corbeilles aristocratiques et fait partie du décor du sacre royal, à Reims, où l’on offre au monarque “vins de Champagne et poires de rousselet”.

De Louis-Philippe à François Hollande

Sans l’avoir voulu, elle va servir ensuite à tourner en ridicule la monarchie de Juillet tant honnie. Depuis que la liberté d’expression est garantie par la charte de 1830, les caricaturistes comme Charles Philippon dessinent un Louis-Philippe au visage piriforme, symbole de la bourgeoisie et de ses excès, avec son ovale épaté et son front resserré. Bien plus tard, elle servira encore pour chahuter François Hollande ou Edouard Balladur. Entre temps, le jardinier de Versailles La Quintinie a tout de même annoté dans ses carnets près de 180 variétés de poires. Il en cultivait vraiment 70, qui lui permettaient de couvrir les exigences royales toute l’année.

Bonne poireAujourd’hui, le Potager du Roi du roi perpétue cette tradition, avec près de 140 espèces : « La Williams est bonne pendant trois semaines, fin Août, mais il n’y en a plus en septembre, poursuit Antoine Jacobsohn. La Duchesse d’Angoulême est excellente en novembre mais pas intéressante en septembre et cotonneuse en février. La Catillac, que la Quintinie trouvait immangeable crue, est délicieuse si vous la cuisez entre fin novembre et fin janvier… »

Malgré tout, la poire n’a pas renoué avec la gloire. Aujourd’hui, à part les comices, conférences et Williams, les autres peinent à se faire connaître. Ainsi va la vie de la poire, oscillant entre grandeur et de décadence. Même si le chef Auguste Escoffier lui dédie un dessert en 1864 (la poire Belle-Hélène, en hommage à l’Opéra d’Offenbach), la pêche la remplacera sur son piédestal, au 18e siècle. Aujourd’hui, elle est concurrencée par sa rivale du verger, la pomme, fruit tous terrains qui tient mieux la conservation, s’abîme moins vite et reste savoureuse même croquante. « La poire, fragile, se gâte plus rapidement, constate Claire Damon, pâtissière de Des Gâteaux et du Pain. Elle murit très vite et le moindre coup l’abîme, on doit la faire livrer avant maturité pour l’affiner. » Elle se souvient aussi des petites « poires du curé » qui poussaient dans le fond du jardin familial et qui étaient préparées au vin, avec force épices, pour cacher leur piètre qualité.

Jamais au réfrigérateur

Bonne poire
Entrée poires/ricotta/safran/yuzu par Ilario Paravano au restaurant végétarien Sense Eat à Paris

Attention aussi à les manipuler avec précaution et à ne pas la mettre au frigo, sous peine de voir sa chair tourner au marron. « La poire est devenue trop sage, la faute aux boulangeries industrielles et leurs éternelles tartes poires-frangipane, qui ont une pâte horrible et un appareil sans goût », poursuit Trish Deseine. Que dire enfin de l’expression de « bonne poire », désignant une personne facile à duper, qui tombe dans le panneau comme un poire trop mûre de son arbre ?

Pourtant, ce fruit délicat et savoureux n’est pas si naïf que ça, autant à l’aise au rayon sucré que salé. « Elle est très bien avec une cuisson de gibier, poursuit Trish Deseine, qui avoue une passion coupable pour les poires en conserve. Je les cuisine avec du sanglier ou une autre viande robuste, pochée à la dernière minute dans son jus, pour préserver toute sa fraîcheur. » Elle l’a même essayé dans une pizza au mascarpone, pochée dans des épices et du vin marocain. On la trouve aussi au restaurant végétarien Sense Eat, chez Artcurial (Paris 8e) où le chef Ilario Paravano en a fait une entrée à la ricotta, aux poires au safran et yuzu, célébrant le mariage toujours réussi entre la poire et le fromage (roquefort…) ; et au Park Hyatt où Jean-François Rouquette livre son interprétation de la poire Belle-Hélène (ganache chocolat, biscuit amande, mousse vanille).

 

Sucré, salée, crue ou cuite

Bonne poire
La réinterprétation de la poire Belle-Hélène par Jean-François Rouquette au Park Hyatt à Paris

« La tarte bourdaloue est tellement bonne si on fait une belle pâte sucrée avec une crèmes aux amandes de Provence bien parfumées et de belles poires à maturité. Elle fonctionne bien aussi avec du miel ou du sucre brun muscovado de l’Ile Maurice, des raisins de Corinthe… » La brillante pâtissière en fait aussi des choux (voire recette) et même des viennoiseries (chaussons aux poires). « Nous avons nos coups de cœur chaque année, précise Antoine Jacobsohn. Comme la Sept en Gueule, début juillet, qui est tellement petite qu’on la mange entière comme un bonbon ; la Grand Champion et ses arômes de rose et de litchi ou la Catillac, qui est mauvaise crue mais délicieuse cuite, avec du poivre de Sichuan. »

Il reste une poire qui rend le jardinier perplexe. Adorée par La Quintinie, chouchoutée au 17e siècle au point de se retrouver dans de nombreux tableaux de Monnoyer ou Oudry : « Visuellement, c’est l’archétype de la poire mais je la goûte tous les ans et je ne comprends pas pourquoi elle a obtenu tous ces égards… Est-ce qu’on l’identifie mal ? Est-ce qu’on ne la cultive pas comme il faut ? J’aimerais lancer une recherche historique ! » L’énigme de la poire nommée « Bon chrétien d’hiver » reste entière.

Charlotte Langrand

 


 

La recette de Claire Damon*

Le chou poire

Bonne poire

 

Recette

 

Pâte à choux

100 ml Lait frais entier, 110 ml eau, 93g beurre de baratte en petits morceaux, 110g de farine T45, Trois oeufs bio (ou 160g, selon la taille), 4g de sel, 4g de sucre

Faire bouillir le lait, l’eau, le sel, le sucre et le beurre puis ajouter la farine hors du feu. Mélanger pour obtenir une pâte lisse. Dessécher 1 min sur le feu en mélangeant énergiquement. Débarrasser sans attendre dans la cuve du batteur, mettre à tourner et incorporer les œufs un par un.

Faire des tas de pâte de 30g. Enfournez à 160 et ouvrir la porte du four au bout de 10 mn pour laisser échapper la vapeur. Ajouter 3mn et entre ouvrir à nouveau. Terminer par 15-20 minutes de cuisson.

 

Crémeux à la poire Guyot

350g de cubes de poires fraîches, 40g + 10g de sucre, 20g d’amidon, 70g de beurre,10ml d’eau de vie de poire

Cuire la poire à couvert et à feu doux. Incorporer l’amidon et le sucre à 30°. Porter à ébullition et la maintenir pendant 1 à 2mn. Incorporer le beurre à 50°.

 

Poire pochée

5 poires à maturité, 100g sucre, 500ml d’eau minérale

Eplucher et tailler les poires en tronçons. Faire bouillir l’eau et le sucre, baisser le feu et ajouter les poires, cuire à léger frémissement jusqu’à ce qu’elles soient à peine tendre.

 

Montage

Couper la partie haute du chou, mettre 40g de crémeux, lisser puis disposer les morceaux de poires pochées. Conserver au froid et sortir 10 mn avant dégustation.

 

*www.desgateauxetdupain.com

 

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Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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