« Savez-vous qu’en mangeant de la bonne nourriture vous pouvez avoir un orgasme ? » L’Italien Oscar Farinetti use avec délice de l’analogie du plaisir et de l’assiette : en inaugurant, vendredi prochain, son premier flagship en France, le président d’Eataly compte bien importer un peu d’« amour à l’italienne » en plein coeur de Paris. Depuis Turin en 2007, il a ouvert 37 points de vente dans le monde, de New York à Tokyo en passant par Dubai, avec
son concept de food court géant centré sur la cuisine transalpine « bonne, propre et juste ».
Avec “Eataly”, la “cuisine authentique italienne” débarque à Paris
Dans ces 4 000 mètres carrés installés dans le quartier du Marais à Paris, on pourra s’attabler aux comptoirs d’un bar à mozzarella, d’une pizzeria, d’un restaurant de pâtes fraîches ou acheter, dans l’épicerie de 2 500 m², des produits typiques importés d’Italie : huile d’olive extra-vierge, parmesan, spaghettis artisanaux, tomates de Sardaigne, oranges de Sicile, etc. On pourra aussi suivre des cours de cuisine : les Parisiens n’auront plus
d’excuses pour rater leurs pasta ! « Eataly, c’est la cuisine italienne authentique, assure Oscar Farinetti. C’est une gastronomie facile née dans les familles alors que la française est née dans les restaurants. C’est tout un art de faire dans la facilité. »
Les restaurants Big Mamma et les nombreuses trattorias à la mode déjà implantées dans la capitale doivent-elles trembler devant cet entrepreneur, qui compte servir 2 500 repas par jour ? « Si d’autres avant nous ont fait de la gastronomie italienne à Paris, c’est bien ; mais là, l’Italie arrive vraiment ! rigole-t-il. Et puis, s’il vous plaît, arrêtez les spaghettis “à la bolognaise”, elles ont été inventées pour les touristes à Venise ! » Oscar Farinetti a pourtant
pris son temps avant de s’implanter en France, car « les Français sont les meilleurs au monde en culture culinaire ». Et peut-être aussi parce que l’Hexagone, attaché à ses petits bistrots et restaurants, rechignait à céder à la mode de ces grandes halles de cuisine débridée.
Dans les années 1990, la France a d’abord échoué dans le concept
Nés aux États-Unis et en Asie, les food courts ont essaimé dans le monde entier. Partout, et à toute heure, les gens s’installent sur de grandes tables communes après avoir acheté leur repas dans des corners variés : street food, tapas, fruits de mer, pizzas, plats plus cuisinés, etc. C’est parfois bon, d’autres fois moins, mais l’ambiance y est
décontractée, façon « tablée de copains » : on y mange, mais on s’y divertit aussi. Dans les années 1990, la France
a d’abord échoué dans le concept, en se bornant à regrouper des boutiques de chaînes alimentaires de piètre qualité dans des centres commerciaux. Aujourd’hui, de nouveaux food courts réapparaissent, plus qualitatifs, et les
ouvertures fleurissent dans toutes les grandes villes. Pour le moment, ces versions françaises n’ont pas d’identité commune.
Nice, Bordeaux, Lyon… Des food-courts ouvrent dans toutes les grandes villes françaises
À l’opposé d’Eataly, qui met en avant le produit, Beaupassage, ouvert en 2018 à Paris (7e), met les grands chefs à l’honneur (Anne-Sophie Pic, Yannick Alléno, Thierry Marx…) pour une version chic du food court. Les grands magasins ont aussi leur proposition de comptoirs gourmands (Printemps du goût, Galeries Lafayette). À Bordeaux,
La Boca vise les millennials en regroupant des restos branchés. À Montpellier, les Halles du Lez ont été transformées en temple de la brocante, des food trucks, de la cuisine locale et du street art ; un grand Food Hall ouvrira à Nantes en 2020. À Nice, la Gare du Sud, monument emblématique du quartier de la Libération, deviendra en mai une « halle gourmande » mixant événements artistiques et gastronomie : sushis et burgers y côtoieront les
spécialités locales : farcis, soupe au pistou, soccas.
A Lyon, une halle alimentaire “à la française” de Ludovic et Tabata Mey
À Lyon, les chefs Tabata et Ludovic Mey peaufinent leur futur Food Traboule, qui ouvrira en septembre. Dans l’enceinte d’une ancienne gloire du Vieux Lyon, La Tour Rose de Philippe Chavent, ils veulent créer un foodcourt
« à la française, avec des amis chefs pour s’amuser mais aussi faire voyager les gens dans ce lieu historique ». Les 600 mètres carrés se déclineront en sept espaces de deux offres de restauration, chacun sur un thème (comme celui d’Alice au pays des merveilles). Au casting, Floriant Remont (Le Bistrot du Potager), Olivier Canal (La Meunière) ou encore Hubert Vergoin (Substrat) proposeront une cuisine « nomade » qui fera le lien entre le patrimoine lyonnais et la modernité, par exemple un hot-dog de ris de veau avec une sauce au concombre fermenté. « Lyon a été la capitale mondiale de la gastronomie, voire son musée, dit Ludovic Mey. Aujourd’hui, les gens veulent de nouvelles expériences de restauration. Il y a dix ans, nous serions passés pour des ovnis avec ce projet. »
Aujourd’hui, les gens veulent de nouvelles expériences de restauration.
Le chef Ludovic Mey
Le Ground Control à Paris, précurseur en matière de création de lien social
À Paris, les créateurs de Ground Control (ces lieux de vie et de culture qui s’installent ponctuellement dans des bâtiments vides) ont été, dès 2014, précurseurs en matière de création de lien social à travers des expos, des concerts, des débats et une offre de restauration. Cette année, ils se sont installés rue du Charolais. « Jusqu’ici, la plupart des projets de food courts français manquaient d’authenticité, note Denis Legat, l’un des responsables.
On y retrouvait toujours les mêmes enseignes, c’était un centre commercial de plus… » Le chef Pierre Jancou a participé à l’aventure culinaire des débuts puis d’autres sont arrivés, comme Solina et ses pâtes fraîches, Chilam et ses snacks mexicains ou des chefs réfugiés en résidence. Même le très officiel Collège culinaire de France a célébré sa grand-messe annuelle à Ground Control l’année dernière. « C’était super car les aubergistes, les petits producteurs et les grands chefs étaient rassemblés, il y avait une belle mixité, se souvient Denis Legat. Si on ne prend que des cuisiniers stars et une enseigne de grande distribution, on recrée un autre ghetto. »
Un Ground Control sur les Champs-Elysées
Une version inédite de Ground Control est née fin 2018 dans un quartier inhabituel, les Champs-Élysées (Galerie 26) , avec une proposition engagée de restauration abordable et de qualité, portée par le chef Stéphane Jégo et son réseau d’amis producteurs. « Je voulais montrer qu’il est possible de nourrir le plus grand nombre de façon artisanale tout en étant juste avec les producteurs, explique le chef de L’Ami Jean. Avec eux, nous avons monté une légumerie sans intermédiaires, du producteur au restaurateur, pour dégager un modèle viable. » La qualité est au rendez-vous (sauté de veau mijoté huit heures, terrine maison, etc.) pour 20 euros entrée-plat-dessert. Cent cinquante repas y sont servis, midi et soir. Un signe que les gastronomes français adoptent le concept.
Charlotte Langrand
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