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Jean-François Piège: “Je suis de la génération Michelin”

Le chef étoilé sort de sa réserve pour expliquer ses projets: de nouveaux restaurants, un livre et une nouvelle émission

Après la cérémonie du Guide Michelin en février, on le disait lassé de ne pas avoir obtenu sa troisième étoile au Grand Restaurant, au point de tout quitter pour partir vivre aux Etats-Unis. Cet été, il annonçait sur les réseaux sociaux qu’il quittait l’émission d’M6, Top Chef. En cette rentrée, le chef Jean-François Piège est pourtant tout sourire, dans son bureau de la rue d’Aguesseau, où s’empilent les livres de cuisine : l’homme ne manque pas de projets. Il ouvre un bistrot, l’Epi d’Or, à Paris ; va développer son groupe à l’étranger ; écrit un nouveau livre ; a dit adieu à Top chef pour mieux continuer la télé aux côtés de Cyril Lignac et reviendra à la Concorde, fin 2020, pour ouvrir la brasserie de l’Hôtel de la Marine, dix ans après avoir été chef au Crillon… De quoi tordre le cou aux rumeurs. Mise au point.

Interview

L’année dernière, le bruit a couru que vous vendiez le Grand Restaurant pour vivre aux Etats-Unis… Qu’en est-il ?

Il y a eu des rumeurs malveillantes, principalement sur le Grand Restaurant. Sa vente ne m’a jamais traversé l’esprit et l’année prochaine, il fêtera ses cinq ans. Sinon, nous allons parfois en famille aux Etats-Unis mais… pour les vacances ! Personnellement, je pourrais y passer plus de temps mais professionnellement, je n’ai jamais imaginé vendre ici pour ouvrir un restaurant là-bas.

N’étiez-vous pas déçu d’obtenir une étoile Michelin pour la Poule au Pot alors que vous attendiez plutôt la troisième pour le Grand Restaurant ?

Avec ma femme Elodie, nous ne nous sommes pas donnés d’objectif dans le temps : si un jour nous connaissons ce grand bonheur d’avoir la troisième étoile, c’est que notre prestation la méritera. Ni plus, ni moins. Ma passion, c’est de concevoir un restaurant et d’y être, pour le faire vivre.  C’est pour cela que l’étoile obtenue à la Poule au Pot est un grand bonheur, même si évidemment ce n’est pas là où je l’attendais au départ.

Vous ne vous attendiez pas au succès de ce bistrot ?

Je ne pensais pas y décrocher une étoile et c’est une grande joie, même si je ne l’ai pas compris tout de suite. Au final, cette cuisine-là me passionne tellement que je me suis lancé dans la rédaction d’un grand livre de cuisine bourgeoise, qui a été une révélation pour moi. Ce ne sera pas un inventaire mais simplement, des recettes à ma façon, comme à la Poule au Pot. Il sortira fin 2020.

Cet été, votre groupe de restauration s’est étendu pour la première fois hors de Paris, avec un nouveau Clover Green, à Gordes. Allez-vous vous développer ailleurs ?

Nous sommes fiers de travailler avec Stéphane Courbit à Gordes. Nous avions créé la Maison Piège il y a cinq ans, avec Clover, notre premier restaurant. Il a ensuite évolué en Clover Green car nous trouvions qu’il y avait peu de restaurants à Paris où manger végétal. Nous croyons beaucoup en lui car il s’inscrit bien dans l’époque et nous allons développer cette marque, d’abord en Asie, en Chine plus précisément. Mais nous n’allons pas faire n’importe quoi et ouvrir 500 restaurants… La Maison Piège doit grandir, pas grossir.

Est-ce une des raisons pour lesquelles vous avez décidé de quitter Top Chef ?

Toutes les histoires ont un début et une fin. Dix ans de Top Chef, c’est énorme et c’est un chiffre rond : c’est une grande fierté pour moi, j’ai vécu des moments et des rencontres formidables, j’y ai retrouvé Monsieur Constant qui était mon chef au Crillon… L’histoire était belle, c’était donc le moment d’arrêter.

 

Jean-François Piège : "Je susi de la génération Michelin"

 

Votre aventure cathodique n’est pas finie… Quel est le principe de votre nouvelle émission sur M6, avec Cyril Lignac ?

« Chef contre chef » est l’adaptation d’un programme israélien incroyable (NDLR : deux chefs s’affrontent lors de défis culinaires). Sur le tournage en Italie, à Naples et Amalfi, j’ai découvert des choses auxquelles je n’avais jamais été confronté, culinairement parlant. J’ai donc progressé et découvert des influences qui ne sont pas dans ma culture. J’ai d’autres propositions d’émissions, que j’étudie actuellement : quand on a fait dix ans de cuisine à la télé, cela ne s’arrête pas du jour au lendemain !

Que pensez-vous des chefs qui se retirent de la course aux étoiles ou qui, comme Marc Veyrat, remettent en question la légitimité du Guide Rouge ?

Je ne suis pas un commentateur de mon métier mais un acteur. En ce qui me concerne, je suis toujours dans la recherche de la troisième étoile. Il faut dire que je suis de la « génération du Michelin » ! Ce serait dommage qu’il n’y ait plus ces étoiles car c’est important d’avoir des distinctions. Il n’y a qu’à voir le nombre de pays qui aimeraient avoir le Guide chez eux…

De nombreux palaces ferment leurs tables gastronomiques… La haute gastronomie a-t-elle vécu ?

Non, pour moi, elle n’est pas incongrue. Ce qui a changé, c’est qu’aujourd’hui, d’autres modèles de restaurants existent et que les gens ont davantage de choix. En choisissant la voie de l’entreprenariat, avec Elodie, nous avons décidé d’envoyer un message de stabilité : nous sommes chez nous, nos établissements sont pérennes et stables. La seule personne qui me finance, c’est la banque, via un emprunt.

Votre prochain restaurant, l’Epi d’Or, ouvrira en novembre à Paris*. Quel sera son style ?

L’Epi d’Or a été pensé différemment des autres maisons. La Poule au Pot est un bistrot de cuisine bourgeoise ; l’Epi d’Or sera un bistrot de cuisine populaire, donc beaucoup plus abordable. Comme il ne faut jamais tordre le coup à l’histoire, nous avons préservé son ADN, en y ajoutant notre identité. La cuisine tient dans un mouchoir de poche, elle fait 7 m², et cela m’a plu ! Quand on l’a visité, je suis tombé à la renverse. C’est l’endroit où les courtiers en blés venaient festoyer en sortant de la Bourse du Commerce. C’était un bistrot populaire tenu par des femmes, ce qui lui confère une sensibilité différente.

Cela vous permet de répondre à ceux qui vous reprochent d’avoir des additions trop élevées ?

J’entends cette critique mais nous n’ouvrons pas ce restaurant pour y répondre. Les entrées seront entre 9 et 12€, les plats entre 18 et 22€ et les desserts entre 7 et 10€. Il y aura entre 40 et 45 couverts. C’est un projet particulier, Elodie s’est beaucoup impliquée dedans et y tient beaucoup. Moi je serai présent de façon différente : la carte sera ouverte à des influences étrangères, portugaises par exemple. Je lui ferai goûter les plats et c’est elle qui me donnera le feu vert. Il y aura un menu journalier avec quelques plats à côté. On trouvera par exemple un croque-monsieur mais aussi un cabillaud au four tellines au verjus et butternut, une tarte aux amandes et un riz au lait à la cannelle.

Au Grand Restaurant, pourquoi avoir choisi de garder la carte alors que la tendance est de proposer un menu unique ?

Car c’est son identité, même si aujourd’hui garder une carte est un risque. C’est plus difficile de construire un beau plat à la carte qu’un petit bout de poisson avec une belle sauce et un condiment qui claque. Avec une carte, on n’a pas le droit de se répéter, chaque plat doit être parfait : si le client n’aime pas un plat sur dix, le chef obtient quand même la note de 9 sur 10 ; mais s’il n’aime pas un plat sur deux, il n’a que 5 sur 10… Pour moi, la Grande Cuisine, ce sont des grands plats, à la carte. Ils doivent être cuisinés dans une certaine quantité pour en tirer toute leur essence, d’où mon travail sur les mijotés modernes. Un grand restaurant, c’est une cuisine personnelle, singulière qui, comme dit le Guide Michelin pour définir la troisième étoile, « vaut le voyage ».

A la fin de l’année 2020, vous ouvrirez un autre établissement au sein de l’hôtel de la Marine. Dix ans après avoir été chef du Crillon, vous retournez Place de la Concorde… la boucle est bouclée ?

Oui, retourner à la Concorde, c’est important, émouvant et symbolique. Pour moi, cette place est magique car j’ai rencontré Elodie au Crillon, ma première Maison parisienne, où j’ai travaillé avec Monsieur Constant. J’ai donc tout de suite été intéressé par le projet de la Marine. En plus, on se prend une claque, en rentrant dans cet endroit ! Nous nous occuperons de la brasserie du rez-de-chaussée, avec 80 à 100 couverts et la carte ne sera pas trop traditionnelle. Nous ajoutons donc une brasserie aux côtés de la Poule au Pot, des Clover, de l’Epi d’Or et du Grand Restaurant… Bref, vous voyez, nous sommes là pour longtemps !

Charlotte Langrand

*25 rue Jean-Jacques Rousseau Paris, 1er

Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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