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Couscous : Graine de folie

Plat de partage et de nombre, le couscous et son élément principal, la graine, font partie du patrimoine de la gastronomie mondiale, du Maghreb à la France

La graine va-t-elle réussir là où la politique piétine ? En mars dernier, le Maroc, la Tunisie, l’Algérie et la Mauritanie ont déposé un dossier commun pour que le couscous soit inscrit au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Une candidature unie qui enterre les habituelles querelles de paternité autour de ce plat emblématique du Maghreb : si l’Unesco exauce leur vœu, le couscous n’aura officiellement plus de drapeau. « Ce qui est formidable avec ce plat, c’est qu’il permet à des pays qui ont parfois des relations compliquées de se réunir, estime le journaliste Ali Baddou, lui-même d’origine franco-marocaine et grand connaisseur du couscous du vendredi. Il y a donc une politique de la graine qui peut devenir un modèle à suivre pour l’unité des peuples du Maghreb. Cela laisse espérer un avenir de coopération et d’amitié entre eux. »

Le couscous est donc plus qu’un plat. Ce mets de partage et de nombre, servi aux mariages, aux baptêmes comme aux funérailles, ignore les frontières. Il s’adapte à toutes les cultures et à toutes les bourses. En France, il arrive souvent en tête des sondages sur les plats préférés : importé dans l’Hexagone au début du XXe siècle, il a été popularisé par l’arrivée des pieds-noirs dans les années 1960. Selon Fatéma Hal, ethnologue et cheffe de la Mansouria à Paris, il pourrait « conquérir le monde ». Le couscous a d’ailleurs son championnat du monde en Sicile, le Couscous Fest. Il a même sa version brésilienne, au lait de coco et à la semoule de maïs… Les puristes sursauteront. Pas snob, il accueille tous les terroirs et saisons et se cuisine en hiver avec la courge ou le chou. On peut en faire un plat d’opulence ou de peu, en l’accompagnant d’agneau, de viande ou simplement de légumes.

Le son de la semoule

Couscous: graine de folie
Le couscous de partage de Nordine Labiadh : agneau-boulettes-merguez.

Au commencement, il y a la graine. Historiquement, les grains de blé dur ont été importés en Afrique du Nord par les Romains. Au Moyen-Âge, on trouve sa trace chez Rabelais mais c’est bien le Maghreb qui en a fait un art : né berbère, il appartient autant aux Arabes qu’aux Juifs, qui ont façonné la semoule en Tunisie, au Maroc, en Algérie ou en Mauritanie. « Toute mon enfance j’ai vu mes grands-parents, descendants de Berbères, moudre le blé entre deux disques en granit, se souvient Nordine Labiadh, le chef franco-tunisien du restaurant À Mi-Chemin (Paris 14e). Ils en faisaient d’abord du pain, puis de la semoule. »

La semoule non plus, n’est pas qu’une céréale. C’est d’abord un chant, celui de la graine que traditionnellement les femmes roulent sous leurs doigts, au son des bracelets berbères attachés à leurs poignets, pour transformer la poudre de farine, mouillée à l’eau, en grains de différentes tailles. Ce son particulier de la semoule contre la bassine, ce « ksskss » qui murmure à l’oreille, a fini par donner son nom au couscous, nommé « kesksou » au Maroc ou « cosksi » en Tunisie. Rouler la graine était un savoir-faire précieux qui se transmettait de mères en filles. « Des Tunisiennes perpétuent encore la tradition, témoigne Yoni Saada, chef de Bagnard (Paris 3e), dont le père est tunisien et la mère, juive algéro-marocaine. La graine est séchée dehors, sur des draps : c’est pourquoi on dit que la bonne semoule a le goût du soleil. »

Dans son restaurant, Nordine Labiadh cuisine le couscous de poisson ou de poulpe, comme sur les rives de Zarzis, sa ville natale en Tunisie. Virtuose de la graine, il prépare aussi le frikeh, ce blé traité comme des vendanges précoces, quand il est jeune et frais : « C’est le beaujolais du blé, s’amuse-t-il. Mon grand-père faisait dorer les épis entiers au feu puis les frottait entre ses mains. Nous les mangions comme des cacahuètes. » Lui l’a anobli en ajoutant de l’aneth, de l’huile de pépins de raisin et des pistaches, pour accompagner un homard rôti.

Trois cuissons

Couscous: graine de folie
Jamais sans un bon bouillon de légumes et la harissa

Il cuisine aussi un formidable couscous à l’agneau et aux merguez du boucher Hugo Desnoyer. « On ne verra jamais de merguez dans un couscous marocain, il faut reconnaître aux Algériens de les avoir introduites dans la recette, précise Ali Baddou. J’ai une telle passion pour la merguez que je ne trouve pas cela scandaleux ! » Le Maroc est, lui, la patrie du couscous dit « royal », cette recette savoureuse à l’agneau et aux légumes-pois chiches ou bien au poulet et aux oignons confits-raisins secs. Au bord des routes et dans les souks, on trouve aussi le saikouk, un plat populaire à la semoule d’orge (belboula), aux fèves et au petit-lait.

Il existe donc autant de recettes que de cuisiniers (ères) et de raz-el-hanout (épices) mais il ne s’agit pas non plus d’improviser. La préparation d’un couscous relève de la vraie gastronomie. Règle incontournable : la cuisson de la graine. Placée en haut du couscoussier après avoir été mélangée à l’huile d’olive et au sel, elle se fait à la vapeur du bouillon de légumes qui mijote en dessous. L’opération doit être renouvelée trois fois. « J’aime le geste du couscous, dit Yoni Saada, qui le prépare au veau et aux légumes oubliés. Il faut rouler, écumer, doser le bouillon… Ces détails en font un grand plat. »

Couscous: graine de folie
Nordine Labiadh (photo Denis Dupouy)

C’est aussi un mets de communion. « La graine est un fil conducteur entre les gens : elle tisse des liens d’amour ou d’amitié entre eux, image Nordine Labiadh. Pour le réussir, il faut une bonne dose de sentiments et de générosité. » Largement doté de ces qualités-là, le chef rend hommage à sa femme Virginie, spécialiste des vins nature et bretonne, en concoctant un couscous aux couteaux, moules, palourdes et au bar. « Bien sûr, celui ou celle qui cuisine le couscous compte beaucoup, ajoute Ali Baddou. D’ailleurs, il n’y a plus de débat, le meilleur, c’est celui de ma mère ! »

Charlotte Langrand

 


 

La recette de Nordine Labiadh*

 

Couscous de la graine et du mulet

 

Couscous: graine de folie
photo Fabrice Veigas

Ingrédients (pour 4 personnes, en 45 minutes)

  • 4 darnes de mulet avec la tête
  • 400 g de semoule grain moyen
  • 4 oignons
  • 4 gousses d’ail
  • 1 c.c de curcuma
  • paprika, cumin
  • 2 c.s de ras-el-hanout
  • 2 clous de girofle
  • 6 baies de genièvre
  • 2 branches de céleri avec feuilles
  • 800 g de butternut
  • 1/2 chou vert frisé
  • 200 g de pois chiches cuits
  • 3 c.s de concentré de tomate
  • 1 citron
  • 125 ml d’huile d’olive

Recette

Dans un faitout, faire revenir à l’huile d’olive les oignons à feu moyen. Ajouter le concentré de tomate, l’ail écrasé, les clous de girofle et les baies. Laisser confire. Sur feu doux, ajouter les épices et cuire 1 min puis la courge et le chou, le céleri, les pois chiches. Faire revenir 1 min. Mouiller avec 1,5 l d’eau. Laisser mijoter à feu moyen 30 min. Quand la courge est cuite, baisser le feu et y déposer le poisson délicatement, 15 min.

Faire bouillir 1,5 l d’eau avec la tête de poisson et les feuilles de céleri. Dans un saladier, mélanger la semoule avec 1 pincée de sel, de curcuma et 1 filet d’huile d’olive. Recouvrir avec le bouillon filtré, jusqu’à 1,5 cm au-dessus de la semoule. Filmer et laisser gonfler 5 min. Égrainer la semoule à la fourchette. La placer dans un plat en terre, avec les légumes et le poisson, arroser du bouillon et laisser reposer 5 min. Déguster avec une pincée de curcuma et du jus de citron.

*À Mi-Chemin, 31 rue Boulard, Paris (14e).

 

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Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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