Le mois de novembre a bien failli finir en catastrophe alimentaire. Imaginez donc : en plein confinement, des rumeurs persistantes faisant état de ruptures dans les stocks de fromage à raclette se sont répandues dans le pays. Aux premiers frimas, les fromagers ont été dévalisés par des Français ayant trouvé dans le fromage fondu et les patates fumantes le réconfort qui leur fait défaut depuis le début de la crise sanitaire. Autour des machines à poêlons, l’inquiétude pointait… Allait-il y avoir assez de raclette pour l’hiver ?
Près de 350kg de fromage par semaine
« Les stocks ont été réapprovisionnés ! », assure François Robin, un MOF fromager. Privés de remontées mécaniques à Noël, les fondus de fromage coulant peuvent quand-même se consoler avec cette spécialité montagnarde, devenue synonyme de réconfort après le ski. La raclette est pourtant d’origine plus modeste puisqu’elle est née auprès d’une cheminée de berger : « le mot, qui n’existe que dans la langue française, vient de Suisse, du Valais, poursuit le MOF. Une fois leur journée finie, les bergers posaient le fromage près de la flamme et le raclaient pour le manger. Et cela change tout : le fromage prend une légère note de fumé, sans compter le plaisir d’attendre au coin du feu… »
La raclette naît dans les années 1970
La raclette telle que nous la connaissons est née dans les années 1970, avec l’essor des sports d’hiver. Les nombreuses recettes à base de fromage fondu et de pommes de terre réconfortaient à merveille les estomacs affamés par la descente des sommets. Les marques d’électroménager inventent alors l’emblématique machine à poêlons individuels, qui chauffe et gratine le fromage par le dessus. « La raclette est un plat populaire et à priori, les gens trouvent toujours une bonne raison d’en faire une : nous en vendons actuellement près de 350kg par semaine ! », explique Pierre Coulon, fondateur de la Laiterie de Paris (18e).
Fourme d’Ambert et Saint-nectaire
Contrairement à la catégorie spécifique dite des « fromages fondus » (de moins bonne qualité et réservés aux préparations industrielles), les fromages à raclette vendus chez les bons crémiers sont de vrais produits d’alpages artisanaux, IGP, au lait de vache et de la famille des « pâtes pressées non cuites ». Car, même fondu, le produit déploie son caractère et ses saveurs : « la fonte est intéressante car elle délie les protéines, casse les matières grasses, joue sur les textures et fait ressortir toute l’aromatique du fromage, poursuit Pierre Coulon. Elle est aussi bonne à manger crue. »
La fabrication de ces fromages demande de la maîtrise, même s’ils sont moins exigeants que les pâtes pressées cuites comme le Comté AOP. Leur croûte est entretenue avec un liquide (la morgue) qui l’humidifie et garantit son moelleux et une fonte facile. Très réputés pour leur qualité et leur prix, les fromages de Suisse, comme la raclette ou le vacherin fribourgeois, sont issus de fermes rigoureusement sélectionnées et affinés longuement. La qualité est aussi au rendez-vous en France : l’IGP de Savoie au lait cru, d’appellation contrôlée (IGP), présente une aromatique unique et du caractère et le produit-phare du secteur.
Lait de brebis et de chèvre
Mais les Français se laissent de plus en plus souvent tenter par des plateaux de fromages mixtes, avec quelques autres spécimens qui fondent bien, comme la fourme d’Ambert, le Saint-nectaire ou le bleu de Gex. Traditionnellement faite au lait de vache, la raclette voit aussi arriver de jolies concurrentes au lait de brebis et de chèvre. Ainsi, des passionnés ont élaboré avec un producteur de lait cru des Hautes-Alpes, de réjouissantes « Biclette » et « Chevrette », qui montrent du caractère en bouche tout en étant plus légères : « Notre recette est conçue avec moins de sel et un affinage court de trois semaines, qui rend le fromage moins huileux et plus fondant, explique Boris Defreville, l’un des concepteurs. Cela les rend très digestes… car nous en avions assez de « payer l’addiction » après certaines raclettes trop grasses. »
Le fromage nature cède aussi du terrain à des variétés fumées et aromatisées. Parfois gadgets, certains accords sont réussis : « Nous rajoutons de l’ail des ours séché maison ou du curry de chez Roellinger ou encore du zaatar, détaille Pierre Coulon. Mais l’ingrédient indispensable du plateau à raclette, c’est le poivrier ». Ces baies noires apportent un parfum incomparable au fromage onctueux.
Des épices et du poivre
Et en la matière, il y a (déjà) deux écoles : ceux qui préfèrent disposer le poivre sur le fromage après la fonte et ceux qui le rajoutent avant, directement dans le poêlon, pour le torréfier ! « Les épices s’assemblent comme une palette de couleur, il faut jouer au petit chimiste, explique Marie-Lou Lizé, créatrice des épices Nomie. Les notes de sous-bois et de champignons du poivre Voatsipériféry de Madagascar se marient parfaitement avec le côté persillé d’un morbier ou d’une raclette classique, tout comme le poivre fumé. Le piment « Chipotle », séché et fumé au bois de pécan, réchauffe sans piquer et notre assemblage aux 7 épices, avec cumin, coriandre ou cardamone, apporte de la fraîcheur au fromage. »
L’astuce pour bien digérer la raclette
Ludique, la raclette s’amuse enfin à varier ses compagnons de table. « Pour changer des charcuteries habituelles, on peut essayer de la viande de salers, de la mortadelle ou de l’entrecôte séchée d’origine belge », glisse Delphine Plisson, qui propose des kits complets (La Maison Plisson, à Paris). Même les éternelles patates ont de la visite : « On peut acheter des grenailles ou de la vitelotte, violette et croquante, suggère Damien Richardot, de la fromagerie Mon Bleu à Paris. Les légumes ont aussi leur place dans les poêlons : les choux de Bruxelles s’accordent bien avec la raclette fumée et les topinambours, avec le morbier. » Sans oublier l’astuce pour mieux digérer : croquer des pickles d’oignons ou des cornichons, pour leur acidité salvatrice. La raclette ou comment s’offrir un bout de montagne, malgré tout.
Charlotte Langrand
Carnet d’adresses :
Laiterie de Paris (74 rue des Poissonniers Paris 18e) – La biclette – Epices Nomie – La Maison Plisson – Mon Bleu
La recette de René et Maxime Meilleur*
Raclette aérienne au lait cru
Ingrédients pour 4 personnes
- Mousse de raclette : 75g raclette nature et 50g raclette fumée râpées. 250g lait. 15g beurre. 20g farine. 20g jaunes. d’œufs. 60g blancs d’œufs. 2,5g sel
- Crumble : 50g beurre. 50g farine. 50g panko. 50g raclette nature. Poivre, fleur de sel
- Oignons 50g oignons blancs. 50g vinaigre blanc
- Finition 60g raclette nature râpée
Préparation
Mousse
Verser dans une casserole le lait, le beurre, la farine et le sel. Fouetter. Porter à ébullition 5mn sans cesser de fouetter. Ajouter les raclettes. Mixer et ajouter les jaunes et les blancs d’œufs. Passer au chinois, assaisonnez. Verser dans un siphon de 50cl, gazéifier de deux cartouches. Bien secouer et réserver tête en bas.
Crumble
Mélanger les ingrédients, étaler sur papier sulfurisé et cuire au four à 160°C 10 mn.
Oignons
Ciseler les oignons et les mettre dans un bocal. Porter à ébullition le vinaigre blanc et le verser sur les oignons jusqu’à les recouvrir. Fermer le bocal, réserver au frais.
Finition
Réchauffer le siphon au bain-marie à 60°C. Tailler des dés de raclette. Déposer au fond d’un bol chaud les oignons, la mousse, quatre dés de raclette puis recouvrir de mousse, parsemer dessus quelques oignons. Passer au gril 3 mn et à la sortie, saupoudrer de crumble.