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Ceux-là n’ont plus à s’inquiéter d’être (ou ne pas être) dans la nouvelle liste des étoilés du Guide Michelin, qui sera dévoilée demain. Ces chefs français ont choisi d’établir leurs fourneaux en dehors de nos frontières. Au gré de leurs parcours atypiques, ils ont récolté les étoiles, s’affranchissant des codes culinaires hexagonaux avec une cuisine française adaptée à leur pays d’adoption. Ainsi, on compte XXX chefs étoilés français à l’étranger, surtout en Asie et aux Etats-Unis mais aussi en Europe, notamment à Londres.
Des chefs porteurs de la renommée de notre gastronomie
Nos chefs tricolores sont souvent partis dans les années 1970, auréolés de la renommée de notre gastronomie: «Aux Etats-Unis, il y a 40 ans, la vraie Haute Cuisine était française, explique Michael Ellis, directeur du Guide Michelin. En Asie aussi, il y a toujours eu une estime considérable pour notre gastronomie, basée sur une technique, une tradition et une histoire vieilles de plusieurs siècles. Les chefs étrangers viennent souvent se former chez nous pour apprendre des cuissons, des sauces et une façon de traiter le produit reconnues partout.»
Daniel Boulud à New-York (deux étoiles), Dominique Crenn à San Francisco (deux étoiles), Michel Roux à Londres (deux étoiles), Paul Pairet à Shanghai (trois étoiles), Jean-Georges Vongerichten à New-York (trois étoiles), Claude Troisgros au Brésil (une étoile)… Tantôt businessman, ces toques française ont bâti un empire. Tantôt émancipés des codes stricts de la cuisine, ils se sont construit une réputation et un style libre et décalé. Avec un point commun: leur liberté et leur persévérance.
Claude Troigros, le carioca de Roanne
Dans la famille Troisgros, voici le frère, Claude. Dans cette dynastie de cuisiniers étoilés, il est le fils de Pierre, chef emblématique de la Nouvelle Cuisine (avec son frère Jean) au côté de Paul Bocuse ou Michel Guérard. Claude est aussi le frère de Michel, élu Meilleur cuisinier du monde par le Chefs World Summit 2017, à la tête du célèbre restaurant familial de Roanne (trois étoiles).
Tombé petit dans la marmite, Claude embrasse une carrière toute tracée, signant même un «contrat de travail amical» avec Paul Bocuse, à l’âge de six ans, promettant d’effectuer son premier stage dans ses cuisines. Après sa formation (Taillevent, Rostang…), le destin voudrait qu’il reprenne la «maison-père» avec son frère Michel, comme son père et son oncle en leur temps. Mais Claude postule pour ouvrir le Pré Catelan pour Gaston Lenôtre, à Rio, suscitant la déception paternelle. «A la fin de mon contrat, je suis resté, j’étais tombé amoureux d’une brésilienne et du pays. J’ai aussi senti l’opportunité d’un travail qui me laisserait plus libre que ce carcan familial, focalisé sur la Haute Cuisine française et la tradition.»
Seul, Claude devient le pionnier de la popotte française au Brésil et marie la technique tricolore aux produits locaux: le canard à l’orange s’accommode de fruits de la passion. Le succès de son premier restaurant, Roanne, lui permet d’en ouvrir d’autres, dont Olympe, son restaurant gastronomique. De 1992 à 1998, il se fait enfin un prénom en ouvrant un restaurant à New-York, couronné de succès: «Avant, on me prenait pour un aventurier inoffensif. Là, ma famille et les chefs ont commencé à reconnaître mon travail, ça a changé ma vie.» Au Brésil, on le célèbre comme un vrai carioca. Il cuisine pour le Président, lance plusieurs programmes de télévision, dirige plusieurs restaurants aux styles variés et à l’ambiance joyeuse. A 62 ans, Claude Troisgros vient de revenir à ses casseroles, avec son nouveau bistrot «Chez Claude». Il a confié les rênes de son «gastro» à son fils Thomas, qui a reçu une étoile Michelin. La 4e génération du nom Troisgros est en place.
Paul Pairet, l’affranchi de Shanghai
“Ultra-Violet est une expérience unique au monde”. Enthousiaste, le directeur du Michelin Michael Ellis se souvient encore des meilleurs ormeaux de sa vie, dégustés au restaurant de Paul Pairet à Shanghai. Le Guide lui a attribué le graal -trois étoiles- en 2017. Avec douze couverts seulement et un service en 22 plats, l’ancien chef du café Mosaïk à Paris (1998), emmène ses convives dans un voyage gustatif autant que sensoriel, avec des projections d’odeurs et d’images en accord avec chaque plat.
Paul Pairet tenait le concept depuis 1996 mais n’a jamais trouvé d’endroit à Paris pour le concrétiser. Aidé par Alain Ducasse et Pierre Hermé, le chef s’est mis à voyager: Hong-Kong, Istanbul, l’Australie, Shanghai… “A Paris, pour travailler à un niveau intéressant, il faut pouvoir obtenir vite deux étoiles et je n’avais pas encore le profil idéal, explique-t-il. Je suis donc parti chercher ailleurs un restaurant où je pourrais m’exprimer librement. Cela n’a pas toujours été facile.»
A Shanghai, il marie la cuisine française et asiatique, d’abord au Shangri-La puis à son compte, avec plusieurs adresses: le Jade, Mr & Mrs Bun, le Chop Chop Club et enfin Ultra-Violet, son “rêve” devenu réalité. “C’est le restaurant le plus décalé de la planète Michelin, estime-t-il. Ce n’est pas très rentable mais cette petite structure permet d’avoir une brigade qui arrive à traduire ma sensibilité.” Pas de carte, les convives se laissent porter par un chef tout puissant: “je suis maître de l’offre et du temps: je choisis le menu, les plats sortent à leur meilleur moment et je maîtrise l’atmosphère.” Un fantasme gustatif et artistique, pour un chef qui a voyagé longtemps avant de trouver son mode d’expression.
Jean-Georges Vongerichten, l’alsacien, maître de Manhattan
Il a servi à manger à Barack Obama. Comme à la plupart des rock stars et hommes politiques de passage à New-York. L’alsacien Jean-Georges Vongerichten, 60 ans, a bâti un empire culinaire au sein de la Big Apple. Né dans un village populaire des environs de Strasbourg, ce «cancre» était destiné à la reprise de l’entreprise familiale de charbon. En mangeant pour la première fois, à 16 ans, à l’Auberge de l’Ill de Paul Haeberlin (trois étoiles), le jeune homme décide de devenir cuisinier: ce sera le blanc des vestes de cuisine plutôt que le noir du charbon. Formé chez Paul Haeberlin, Paul Bocuse et à l’Oasis chez Louis Outhier, ce dernier lui propose de partir en Asie, à 23 ans, pour devenir son chef exécutif à l’Hôtel Oriental de Banghkok.
Cette rencontre avec la cuisine asiatique sera une révélation. Jean-Georges fait ensuite le tour du monde des ouvertures de restaurants pour Louis Outhier (Singapour, Hong-Kong, Osaka, Genève…) et arrive à Boston, pour ouvrir le Lafayette, à l’heure où les Etats-Unis cherchent leur réponse à la Nouvelle Cuisine française. Poussé par le succès du restaurant, le chef décide de se mettre à son compte, à New-York. Coaché par Phil Suarez, producteur des clips de Michael Jackson, l’Alsacien se révèle être un businessman insatiable. En 1991, il ouvre le Jo Jo, son premier bistrot, puis plusieurs «Vong», où il installe une cuisine «fusion» asiatique, inspirée de ses voyages. A la carte, les clins d’œil à la France sont là, notamment alsaciens (baeckahoffe et tartes flambées). Il ouvre aussi une adresse typiquement américaine à Paris, le Market: «En Chine, je suis européen; à New-York, français; en France, les grands chefs sont déjà là, je n’ouvrirai pas de gastro!»
Ce chef-businessman hyperactif dirige aujourd’hui 35 restaurants dans le monde, dont 24 aux USA. Il a reçu la «consécration» des trois étoiles pour son restaurant gastronomique newyorkais, le Jean-Georges, ouvert en 1997. «C’est la maison-mère, où je passe le plus de temps, estime-t-il. Les casseroles, c’est ma thérapie, je n’arrêterai jamais.» Dont acte: Jean-Georges travaille depuis deux ans à la réhabilitation des 40.000m² du Fish Market de Brooklyn, avec sept restaurants à base de produits de la mer. Et rêve de se lancer dans l’hôtellerie.
Charlotte Langrand