A 86 ans, il est toujours impeccable dans sa veste blanche de cuisinier. Le chef Michel Guérard est encore sur la brèche, présent en cuisine à chaque service ou presque, dans son petit paradis des « Prés d’Eugénie », à Eugénie-les-Bains (Landes). Dans ce Relais et Châteaux magnifique, au parc majestueux, il maîtrise aussi bien la remise en forme, via la cure thermale et ses « menus minceur » que la gourmandise avec son restaurant gastronomique, triplement étoilé. On y déguste ses grands classiques, toujours épatants, comme l’œuf de poule au caviar à la coque ou « l’opulente pintade de Chalosse » cuite à la perfection dans une immense cheminée. L’initiateur du mouvement de la « Nouvelle Cuisine » dans les années 1970, aux côtés d’Alain Senderens, des frères Troisgros ou d’Alain Chapel est aussi le père de la « Grande Cuisine Minceur », qui s’est exportée dans le monde entier et fait toujours la joie des curistes d’Eugénie-les-Bains, avec des menus aussi plaisants pour les sens que pour le tour de taille (salade piémontaise de poulpe, pigeonneau aux pommes de terre et tarte aux fraises à 585 calories). Le jour où nous le rencontrons, il ne cache pas sa joie, presque enfantine, à recevoir et régaler un groupe de chefs (Juan Arbalez, Julien Duboué, Yves Camdeborde, Bruno Doucet…), venus entre amis pour goûter la cuisine et boire les mots de cette icône de la cuisine française. Au calme dans son éden landais, l’ancien complice de Paul Bocuse écoute mieux les bruits du monde et des fourneaux. Estimant que l’âge a libéré sa parole, il a décidé de s’engager pour faire reconnaître l’importance de l’alimentation-santé par les pouvoirs publics et défendre la préservation des semences paysannes.
Interview
Il y a 40 ans, avec la « cuisine minceur », étiez-vous trop en avance sur votre temps ?
Je n’ai fait que suivre des siècles de réflexion sur ce thème : la majorité des livres de cuisiniers, depuis le 17e siècle, parlent d’alimentation-santé. L’un d’eux date de 1789 ! A l’époque de la « Nouvelle Cuisine », mes amis chefs étaient moins curieux que moi sur ce sujet, c’est vrai. Paul Bocuse ne s’en cachait pas, il disait « si vous allez chez Guérard, n’oubliez pas votre ordonnance médicale ». Mais je ne leur en veux pas !
Les pouvoirs publics actuels sont-ils plus réceptifs ?
C’est un sujet qui patine, même s’il est à la mode. L’antagonisme entre ceux qui pourraient faire appliquer des mesures concrètes et les lobbys de l’industrie alimentaire qui refusent d’accompagner ce mouvement, empêche ce discours d’avancer. Il existe un fossé entre le Ministère de la santé et celui de l’Agriculture et de l’Alimentation… J’ai fini par créer mon école de cuisine diététique, en 2013 : on n’imagine pas un chauffeur de car scolaire sans son permis ; c’est pareil pour les cuisiniers, qui devraient apprendre la nutrition.
Vous avez d’ailleurs été le seul cuisinier à recevoir le prix Benjamin Delessert, qui récompense des travaux de nutrition…
Je vais aller plus loin. Quand j’ai perdu ma femme il y a deux ans, tout a chaviré, mon état de santé était très préoccupant. Avec le médecin des thermes, j’ai testé sur moi une nourriture particulière, nutritionnellement équilibrée, qui m’a guéri : mes dernières analyses relèvent du miracle. Je vais donc complètement renouveler les régimes proposés à Eugénie, en ajoutant des plantes médicinales à mes bouillons et en créant des menus présentant un équilibre parfait entre lipides, protides et glucides.
Dans les années 1970, vous vouliez « sauver le régime des gens ». Aujourd’hui, faut-il sauver leur santé ?
Absolument. La mauvaise alimentation est responsable à 80% des diabètes, de l’obésité, des maladies cardio-artérielles… qui coûtent des milliards à notre société. Il faut apprendre à manger aux enfants dès le plus jeune âge, à l’école, comme ils apprennent à lire ou à compter. Ce serait facile de créer une sorte de permis de santé. J’en ai déjà parlé à Jean-Michel Blanquer (Ministre de l’Education Nationale).
En 2009, vous aviez déjà rencontré des médecins afin de créer un Institut de cuisine de santé…
Roselyne Bachelot m’avait aidé à organiser un comité de pilotage. Il faut s’imaginer la scène : le petit cuisto entouré d’un aéropage de grands professeurs de médecine ! Nous n’étions pas à l’aise, jusqu’au jour où j’ai expliqué qu’un foie gras, s’il cuit dans une terrine, réabsorbe sa graisse alors que s’il cuit dans un torchon et un bouillon, il l’exsude. Le petit cuisto connaissait la nutrition… Après ça, nos formidables échanges ont débouché sur la rédaction d’un livre blanc, rassemblant les données scientifiques relatives à la nutrition et aux pathologies de santé. Pourtant… il ne se passe toujours rien.
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Un des menus “minceur” des Prés d’Eugénie:
Un des menus “gastronomiques” des Prés d’Eugénie: