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Un moulin au palace

Éric Frechon, le chef du Bristol, fabrique sa farine à base de blés anciens, pour des pains plus savoureux et plus digestes

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Faire entrer un vrai moulin dans un palace, en plein Paris, en 2018. Voici l’idée un peu folle du chef Éric Frechon qui, déjà boulanger, est désormais meunier. Dans le sous-sol de l’hôtel Bristol où il officie, les employés apprivoisent doucement le bruit nouveau de la meule de pierre qui écrase les grains de blé, sépare et évacue le son, tamise la farine immaculée. À côté de l’engin, entouré d’un mur de pierre et de tommettes, des gros sacs sont stockés, qui contiennent un or d’un genre… céréalier : des blés anciens sauvés de l’oubli par Roland Feuillas, paysan-boulanger à Cucugnan (Aude).

Eric Fréchon travaille les farines du paysan-meunier Roland Feuillas

Un moulin au palace
les blés anciens de Roland Feuillas transformés par Eric Frechon au Bristol

Beaucoup de chefs ont courtisé le meunier des Corbières, puriste du grain, amoureux du geste et du levain naturel. Mais l’ancien ingénieur n’est pas homme à confier son savoir-faire à n’importe qui. Parmi les heureux élus, on compte les étoilés Antonin Bonnet (Quinsou) et William Ledeuil (Ze Kitchen Galerie). « En découvrant la sincérité, l’humilité et la gentillesse d’Éric Frechon, j’ai su qu’il n’allait pas se servir de mon travail pour s’en faire un piédestal », explique Roland Feuillas. Pour respecter les farines d’autrefois, qu’il a retrouvées chez des collectionneurs ou des conservateurs, il faut des artisans avisés qui comprennent sa philosophie et respectent le « pain vivant » : des miches de caractère, une mâche franche, une meilleure concentration en minéraux, bref, une complexité et une puissance que l’on croyait perdues.

 

Des blés méconnus : Barbu du Roussillon, Khorasan, Rouge de Bordeaux…

Le chef aux trois macarons, qui dit « ne pas savoir manger sans pain », a été frappé par le goût de ces farines. « Les blés industriels sont tellement modifiés qu’ils sont fades, déplore- t-il. J’ai fait des tests à l’aveugle avec de belles farines bio, mais je n’étais pas convaincu. Et puis, je suis tombé sur Roland… » Il a retenu six farines ancestrales, 100 % nature : blé « de population », rouge de Bordeaux, barbu du Roussillon, grand et petit épeautres, khorasan (blé iranien). « Avec elles, on ressent le vrai goût de la céréale, avec un parfum propre à chacune. » Plus besoin de mixer les farines, de créer des pains cosmétiques aux olives ou aux lardons : elle se suffit à elle-même.

 

Un cahier des charges exigeant et la délicatesse du geste

Un moulin au palace
Une farine immaculée pour des pains de caractère à la mâche plus franche

Pour reproduire ce savoir-faire dans son « moulin urbain » à Paris, Frechon a dû respecter le cahier des charges exigeant de Roland Feuillas, qui détaille : « Il faut reproduire un lieu de vie et de fermentation que j’appelle “maison microbiote”, car le principe, c’est de mettre des microbes partout ! » Il faut aussi stocker et préparer les épis à la mouture dans les justes conditions d’hygrométrie, de température, de mise au repos de la pâte… Le Bristol utilise quotidiennement près de 60 kg de farines pour les différents besoins de l’hôtel. « Elles seront fabriquées tous les jours et pétries tout de suite, afin de conserver leurs propriétés organoleptiques et nutritionnelles », explique le meunier. Plus fragiles, elles donnent aussi des pains moins « gonflés » mais plus digestes, donc meilleurs pour la santé. « Leur forme et leur texture ne varient pas, le rapport entre la croûte et la mie est bien équilibré », constate Éric Frechon.

Pour manipuler ce produit d’exception, il fallait enfin s’assurer de la sensibilité… des boulangers du palace parisien. Les farines de blés anciens ne souffrent pas les manœuvres, parfois brusques, des artisans « qui cognent sur la pâte », à l’inverse de la méthode Feuillas. « Nous façonnions beaucoup le pain, reconnaît Frechon. Maintenant, nous le laissons s’exprimer : il faut savoir sentir la pâte, stopper les manipulations inutiles, pour la laisser évoluer naturellement. » Le résultat sera certainement apprécié des clients très privilégiés du Bristol.

Charlotte langrand

Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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