Préparez-vous à entrer chez votre boulanger comme chez votre caviste. Au moment de choisir entre le pain de campagne, la boule ou la baguette, annoncez d’abord crânement votre menu du jour et attendez le conseil adéquat. Si vous êtes dans l’une des néo-boulangeries de la nouvelle génération d’artisans qui travaille le pain « à l’ancienne », on saura vous orienter vers le bon « bricheton » : « C’est notre travail de guider les gens car, même si le pain est un aliment de tous les jours, on ne sauce pas un boeuf bourguignon avec une baguette au gingembre ! », rigole Jules Winocour, qui a fondé, avec son frère Emile, trois boulangeries parisiennes et familiales, Emile & Jules, qui produisent des pains rustiques à la farine semi-complète.
Le goût du pain vivant a réveillé les accords mets-pains
Baguette au gingembre, pains aux figues, aux noix ou à l’abricot, utilisation de farines anciennes, miches non façonnées, lents pétrissages et durées de pousse… Ces techniques de fabrication artisanale, qui prônent le temps long et le beau geste, ont ressuscité le goût du pain « vivant » et par la même occasion, ont réveillé les accords « mets et pain ».
Le caractère bien trempé de ces mies à l’ancienne fait passer la très galvaudée baguette « blanche » pour ce qu’elle est : un produit industriel et sans relief, cuit trop rapidement, au temps de conservation insignifiant. « Le pain peut tout changer dans la dégustation d’un fromage, témoigne François Robin, un des Meilleurs Ouvrier de France (MOF) fromager. Un excellent fromage avec un mauvais pain n’a aucun intérêt mais si on trouve le bon, c’est fabuleux: il va apporter sa salinité, son gras, sa texture, son croustillant, l’odeur de sa croûte… »
On accorde le pain comme on le ferait avec un vin
Jusqu’ici, nos connaissances se limitaient au pain de seigle pour accompagner les huitres et aux noix, pour le fromage. Le champ des possibles s’est élargi, grâce aux boulangers, fanatiques du grain : « Comme le vin, notre pain est différent chaque année, en fonction du climat, poursuit Jules Winocour. Nous plantons plusieurs variétés de blés pour ensuite les associer selon différentes proportions, comme les vignerons avec les cépages. Ainsi, le goût, le croustillant, la couleur peut varier… Cela dépend de la nature. » Selon que l’on cherche à accompagner ou à souligner un plat, ces miches doivent se faire discrètes sur un mets délicat, comme un pain de seigle avec les fruits de mer ou robustes avec un gibier.
Chez Emile & Jules, le « petit oreiller », un pain non façonné, au temps de fermentation long, s’accorde parfaitement avec des produits bruts comme le foie gras ou un pâté ou encore au petit déjeuner avec du miel ou une confiture. Le pain aux graines, plus léger, sera idéal pour saucer les plats ou bien en mouillette avec du beurre salé pour tremper dans un œuf coque. La baguette au gingembre et son petit côté sucré-salé s’acoquinera avec un fromage de chèvre ou s’offrira seule, tranchée, à l’apéritif.
Condiments, levain, farines: trois leviers pour retrouver le goût du pain
« Pour les accords, nous pouvons jouer sur trois leviers : les condiments ajoutés comme les fruits secs, les différentes farines et enfin l’ajout du levain, expliquent Jean-François Bandet et Magali Szekula, qui ont fondé la boulangerie Bo&Mie à Paris. Il y a même une différence entre le levain liquide et le levain dur, qui est plus fort et plus acide. » Leur pain abricot-cranberry au levain liquide et à la farine blanche de tradition adoucit aussi bien le petit-déjeuner que leur recette de croque-monsieur au chèvre et miel. « Pour tartiner, nous conseillons notre pain signature, à la mie moelleuse et hydratée et pour les sandwiches, notre pain de seigle, plus dense, avec moins d’alvéoles. »
Reste l’accord-roi : le pain et le fromage. En la matière, on peut jouer infiniment sur les ponts entre ces deux fleurons de notre patrimoine culinaire, à condition de respecter quelques règles: « Si on choisit un pain qui a de la personnalité et de la longueur en bouche sur un fromage doux, on va l’éteindre, estime François Robin. Il faut aussi éviter d’associer un pain acide avec des fromages qui le sont aussi. Un fromage doux pourra regagner un peu de nervosité grâce à un pain léger, qui ne l’écrasera pas. » Tout est une question d’équilibre, comme pour la construction d’un plat. « Mais le but est de rester décontracté, de ne pas se compliquer la vie », insiste-t-il.
Herbes, figues, poivre… Des accords pour tous les repas
Ainsi, les fromages de Suisse, peu acides, se prêtent bien au jeu : une tête de moine ou du Sbrinz prendront des notes provençales grâce au pain aux herbes de chez Boulom (Paris 18e), la boulangerie du chef Julien Duboué. Pour souligner la force d’un vacherin Mont d’Or, le chef a choisi un accord puissant, avec un pain de Lodève (l’ancêtre des pains, non façonné) qu’il a assaisonné d’ail et de poivre de Sichuan. L’Emmentaler développe sa puissance aromatique avec une boule à la farine de sarrasin. La raclette du Valais lorgne vers le sucré avec son pain aux figues, auquel on peut rajouter une pincée de poudre de cumin… En France, le très cocardier camembert de Normandie sera surprenant avec la mie aérée d’un pain de mie de boulanger, brioché et toasté ; un Sainte-Maure de Touraine (chèvre), déjà un peu acide, avec une bonne baguette traditionnelle. Il ne reste plus qu’à filer chez votre caviste, pour compléter la dégustation.
Charlotte Langrand
*«le fromage pour les Nuls», First, 15€
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