Trois bâtisses du XVIIe siècle à l’orée d’une clairière. Quelques pommiers, un grand jardin, du mobilier chiné et une cuisine à l’unisson du paysage… L’écrin campagnard imaginé il y a deux ans par le chef Bertrand Grébaut et son ami restaurateur Théo Pourriat, est un îlot de verdure où tout incite à prendre la clef des champs : appelée « D’Une Ile », comme un rêve devenu possible, cette auberge est un hameau verdoyant, inespéré et atypique, qui vous tend des bras réconfortants, à deux heures de Paris.
Céder à l’exil campagnard
Au départ, on pourrait croire au cliché des citadins en mal d’espace qui succombent à l’exil campagnard, pour les belles pierres d’une auberge les pieds dans l’herbe de 8 hectares, à Rémalard (Orne), au cœur du Perche : « Ce lieu est un coup de foudre qui a réveillé en moi le besoin de me rapprocher de la nature, car plus les années passent, plus j’oriente ma cuisine vers quelque chose de durable et de végétal », explique Bertrand Grébaut.
Mais seul, l’attrait de la nature ne fait pas la magie d’un lieu, ni son âme. Les deux maestros de la bistronomie parisienne ont voulu y imprimer autre chose : « nous avons toujours été animé pas l’idée d’avoir des terrains de jeu différents, pour nous diversifier dans notre tête et dans nos cartes », précise Théo Pourriat. Le duo de restaurateur a déjà son petit empire parisien rue de Charonne, avec Septime, la « maison-mère » étoilée, puis Clamato, un restaurant de poissons marinés, de coquillages et de crustacés et enfin leur cave à vins. « D’Une Ile, c’est encore autre chose, on reçoit les gens du petit-déjeuner au coucher, c’est une sorte d’accomplissement pour un restaurateur », poursuit-il.
Allergiques aux codes traditionnels de leur métier, les deux associés y ont imaginé une auberge alternative, à la fois réconfortante et à taille humaine, rustique et élégante : ici, pas de chambres d’hôtel standardisées mais neufs écrins (de la chambre à la super Suite) répartis dans ces beaux corps de ferme aux murs épais et blanchis à la chaux, avec cheminées, poutres et tommettes, une décoration épurée mais précise, des baignoires à l’ancienne et des plaids sur les fauteuils… Le tout est placé sous la haute surveillance, ronronnante et accueillante, d’un chat débonnaire.
Une maison qui fuit les codes standardisés
Même si une piscine devrait être construite l’année prochaine, Bertrand Grébaut et Théo Pourriat ont voulu fuir la caricature du palace aseptisé pour parisiens en week-end : « nous ne l’avons pas construite comme un hôtel de rêve mais comme la maison de campagne que nous aurions aimé avoir, explique Bertrand Grébaut. Les gens y goûtent une forme de liberté et d’autonomie ; il n’y a pas de concierge que l’on sonne toutes les deux minutes… » Et si l’insonorisation des chambres n’est pas celle d’un hôtel de luxe bunkerisé, tant mieux : ici, on n’ignore pas ses voisins, qu’on croise au restaurant, lors de « rendez-vous » journaliers : les repas ou le copieux goûter, en self-service, digne de celui d’une grand-mère enveloppante, avec ses fruits de saison, ses jus et son crumble ou son clafoutis faits maison.
L’endroit prouve qu’on peut être un chef parisien, emblème de la bistronomie et de surcroît étoilé au Michelin et ne pas rentrer dans les cases. D’Une Ile ne suit pas les archaïsmes habituellement charriés par l’hôtellerie et la gastronomie. Côté cuisine, le chef, disciple du (désormais) maître du végétal Alain Passard, a trouvé un terrain de jeu à sa mesure : « Ici, « cuisiner local » prend vraiment tout son sens, explique Bertrand Grébaut. A Paris, les saisons sont abstraites, on voit trois petits pois au marché et on croit que c’est le printemps tandis que dans le Perche, les saisons sont plus lentes à s’installer et les menus suivent leur rythme. » Le chef a vite abandonné l’idée de cuisiner à l’huile d’olive ou au citron pour mieux se servir de vinaigres locaux, d’huile de colza ou de beurre.
De la ferme à l’assiette
Dans la cour du jardin, sur de jolies tables chinées, en fer forgé blanc, on déguste une cuisine durable, simple et goûteuse, nourrie par les fermes et les marchés voisins: un maraîcher bio, les fromages de chèvres de la ferme des Cabrioles, des herbes issues d’une cueillette sauvage et parfois du potager de la maison. Les yaourts, le pain et le beurre sont faits sur place. Le menu des 25 couverts de D’Une Ile change ainsi tous les jours, en fonction de la nature. Ce jour-là, c’était saumon d’Isigny, oseille et concombre ou pâté en croute maison ; poularde de Culoiseau au jus gras ou boudin noir au jus de groseille et une tarte aux fruits rouges avec un sorbet de basilic pourpre…
Inutile de chercher ici un « Septime à la campagne ». « On reconnaît un fil conducteur entre les deux mais il faut que D’Une Ile reste très simple, explique Théo Pourriat. On passe d’un service où les gens échangent entre eux, où l’on sert des verres et des saucisses-purée à des plats parfois plus travaillés mais l’important est que cela reste brut et rustique, ce qui n’empêche pas d’être chic et fin… » Les trois chefs exécutifs qui habitent sur place en permanence se chargent de cet équilibre subtil et accueillent (en priorité) les hôtes qui dorment sur place mais aussi les clients venant de l’extérieur. Seule coquetterie, la carte des vins, composée des grands noms des vins natures, « la carte idéale avec laquelle nous partirions en vacances », rigolent les deux amis.
Ancrage dans un territoire
La maison est complète tout l’été, comme l’année dernière. Et les réservations, déjà ouvertes pour cet automne. La clientèle, souvent parisienne mais pas uniquement, y trouve une réponse adéquate aux attentes de l’époque : une maison élégante mais conviviale, simple et respectueuse de l’environnement. « C’est une vraie étape dans nos vies, d’aller vraiment retrouver la terre et d’être ancré dans un territoire. Ce n’est pas une lubie », précise Théo Pourriat. Et Bertand Grébaut de conclure : « J’imagine qu’il va y avoir désormais un certain retour vers la campagne. Et si un jour nous en avions assez de nos adresses parisiennes, nous garderions certainement cet endroit… » Définitivement la magie d’une île.
Charlotte Langrand