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Ici, pas de Sirtaki en fond sonore. Si la devanture d’un bleu profond et les murs blancs sont un clin d’œil à la Grèce, ce restaurant ressemble plutôt à un joli bistrot de quartier parisien (18e), avec ses chaises de bar hautes, son ardoise de plats du jour et ses habitués prenant l’apéritif. Chez Etsi, c’est « comme ça » (sa signification en grec) : une décoration solaire qui fusionne beauté hellénique et gouaille parisienne. En cuisine, Mikaela Liaroutsos envoie des plats conviviaux à partager, en préférant des spécialités moins connues que la moussaka : le dakos, un mezze crétois à base de tomates cerises, olives et myzithra (fromage frais) ou les kolokithokeftedes, ces beignets de courgette, menthe, aneth, dévalisés par les habitués. « Notre cuisine n’est pas bien représentée en France. Manger grec, ce n’est pas seulement une moussaka étouffante, tranche la chef. J’ai voulu construire un concept qui marie les goûts bruts de là-bas et le raffine- ment à la française. » Le poulpe grillé se revisite avec une purée de fèves et câpres, l’œuf mimosa avec des rillettes de poisson et un avocat crémeux. Loin de la “cuisine du monde” qu’on connaît habituellement.
De jeunes chefs venus du monde entier réveillent ainsi la cuisine « étrangère » en France. Formés dans les brigades de toques françaises étoilées, ils ont appris les techniques hexagonales, comme Mikaela Liaroutsos passée chez Cyril Lignac et Michel Rostang. Si certains choisissent d’ouvrir des restaurants très français, ils sont de plus en plus nombreux à privilégier leurs racines. « Grâce à leur expérience, ils affinent la cuisine de leur pays et créent des établissements identitaires mais ouverts, constate Alexandre Cammas, fondateur du Guide Fooding. Ils ne se contentent pas de réciter l’héritage de leurs grands-parents, ils font de la cuisine d’auteur contemporaine. »
Les cuisines du monde, sans le folklore pour touristes
Ainsi s’épanouit une nouvelle génération de restaurants libanais, israéliens, grecs, brésiliens et latino-américains où les chefs rendent hommage aux recettes ancestrales en les réalisant avec les techniques culinaires françaises, et en les allégeant. Surtout, ils ont mis fin au folklore souvent trop appuyé de ce type d’établissements, pièges à touristes. C’est le cas du très gastronomique Oka, la troisième adresse du Franco- Brésilien Raphaël Rego (Paris 5e), qui vise l’étoile Michelin. Dans un décor sobre et chic, le trentenaire fait un grand écart transatlantique, alliant produits et recettes de tribus locales avec une recherche culinaire à la française. On découvre le manioc sous toutes ses formes, du tucupi (extrait du jus) au tapioca (sa gomme) en passant par la farine, des mini-haricots de Santarém ou des cacaos de l’île de Combu.
“Je voulais montrer que la cuisine brésilienne peut être sophistiquée et travaillée”, Rosilène Vitorino, cheffe brésilienne
« Je voulais montrer que la cuisine brésilienne peut être sophistiquée et travaillée. Pour cela, il fallait que j’applique le savoir-faire appris en France et que je parte pendant six mois au Brésil pour sourcer les produits et rendre grâce à cette cuisine de saveurs, d’épices et de saudade, de nostalgie et d’échanges. » Rosilène Vitorino réhabilite aussi la cuisine noire métissée, à l’image du Brésil. Chez Niébé (Paris 6e), du nom d’un haricot noir et blanc, elle mijote et marine manioc, patate douce, gombo et noix de coco. On voyage du mafé africain au ceviche de bar en passant par un kedjenou de pintade ou un cabillaud au coulis de fruits de la passion. C’est fin et goûteux. « Chez nous, les recettes sont plus lourdes. Je les ai revisitées pour allier légèreté, tradition et émotion », dit l’ancienne chef de l’ambassade du Brésil.
La convivialité des tables méditerranéennes
Débarrassés du faux folklore, ces restaurants n’en gardent pas moins la convivialité de table de leurs pays de soleil, comme chez Bonhomie (Paris 10e), où le chef catalan Nicolau Pla Gomez sert des assiettes à partager et des cocktails. Chez Mokonuts (Paris 11e), un couple de chefs libano-japonais (lui au salé, elle au sucré) fusionne la générosité méditerranéenne à la subtilité nippone. La cuisine israélienne s’épanouit chez Tavline (Paris 4e), où Kobi Villot-Malka, formé chez Ducasse, s’empare de plats typiques comme la shakshouka (œufs mijotés à la sauce tomate), les ktistsot daguim (boulettes de poisson) ou le memoulaïm (oignons farcis à l’agneau et risotto vert). Les vacances vous manquent déjà ? Voyagez dans votre assiette.
Charlotte Langrand