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De l’eau, du houblon et de la levure. Cette simple formule a fait de la bière l’une des boissons les plus populaires au monde. Accessible, conviviale, rafraîchissante mais… de plus en plus lisse en bouche à mesure que sa production se muait en industrie de masse. Aujourd’hui pourtant, la bière retrouve son caractère et voit le métier de brasseur indépendant renaître. Dans les foires régionales, les épiceries et les marchés locaux et même les supermarchés, de nouvelles bouteilles se taillent une belle part du rayon mousse.
Le nombre des brasseries artisanales en constante augmentation
Tel Astérix, le petit brasseur reprend ses droits et les cuves, du service. La France compte aujourd’hui 1.000 brasseries, un chiffre qui a été multiplié par deux ces cinq dernières années. Parmi elles, 800 micro-brasseries artisanales ont fleuri dans tout l’Hexagone. « Elles ont une forte identité régionale, constate Pascal Chèvremont, délégué général des Brasseurs de France. La plupart des brasseries ont fermé dans les années 1990 mais aujourd’hui, il se produit un mouvement de dé-standardisation, le consommateur veut de la diversité, des circuits courts, des ingrédients du terroir… » Même si la plupart des micro-brasseries produisent moins de 300 hectolitres par an et que Heineken et Kronenbourg représentent à eux seuls 60% du marché, le public est ravi de boire artisanal.
Le secteur était pourtant sinistré : sans formation nationale pour apprendre le métier, l’aventure pouvait décourager. Au contraire: «L’identité très forte que confère le houblon à une région a rejoint une autre envie actuelle, celle d’entreprendre différemment. Les nouveaux brasseurs sont souvent de jeunes diplômés ou d’anciens cadres en reconversion», affirme Luc Dubanchet, fondateur du festival Omnivore, qui lancera cet été le premier Mondial de la Bière à Paris*.
Bière : un goût réinventé, le caractère retrouvé
Des centaines de nouvelles mousses ont ainsi vu le jour récemment. Le pionnier des «petits» brasseurs, Daniel Thiriez, ancien cadre en ressources humaines, a ouvert en 1996: « J’étais convaincu que les petites brasseries avaient un bel avenir car l’offre et la concentration industrielle étaient arrivées à une absurdité. Nous perdions notre patrimoine avec des bières insipides…mais nous sommes en train de le réinventer.»
Daniel Thiriez s’est formé en Belgique avant de s’installer entre Lille et Dunkerque. Légère et aromatique, sa première bière, La Blonde d’Esquelbecq, compte maintenant neuf consœurs. Ces breuvages non-industriels à la production raisonnée, non filtrée, sans additifs ni agents moussants répondent parfaitement aux attentes de traçabilité de l’époque. Pour protéger ce savoir-faire, Daniel Thiriez, vice-président du nouveau Syndicat National des Brasseurs Indépendants, va créer un label et une formation continue.
Une boisson populaire et conviviale
Le Nord et l’Est, de tradition brassicole, ne sont plus les seuls territoires à brasser. L’Ouest, le Sud-Ouest et même Paris rivalisent de talents. Car la bière reste et restera populaire, ancrée dans le quotidien des campagnes et des villes: «Contrairement au vin, elle n’a pas de terroir ou de cépage, poursuit Luc Dubanchet. Elle n’a pas le côté «petit doigt en l’air» qui intimide. Elle est conviviale et touche les plus jeunes, qui la redécouvrent comme une boisson de connaissance plutôt que de soif. »
Peu alcoolisée, abordable, rapide à produire (deux mois) et d’une grande richesse aromatique (sucrée, fruitée, torréfiée, acide…), la mousse artisanale a même fait naître un métier, «biérologue», cousin du sommelier. Certains font même vieillir les crus dans des tonneaux, comme pour le vin.
Des accords bières/plats tout au long du repas
Ces bouteilles artisanales intéressent aussi les chefs cuisiniers, comme les IPA (Indian Pale Ale), au houblon et aux épices. L’époque n’est plus à la cuisine à la bière mais aux accords avec les plats. «Les petits brasseurs font des bières ahurissantes avec des palettes aromatiques incroyables, qui sont très intéressantes à accorder, s’emballe Florent Ladeyn, chef du Bloempot à Lille et de l’auberge Le Vert Mont, près de Dunkerque. On peut aller chercher des accords de fumé, d’acidité, de chocolaté ou même de bacon ! C’est plus facile qu’avec le vin car ces elles sont digestes, légères et aromatiques.»
Avec plus de cent références artisanales à la carte de ses restaurants, le chef est un grand connaisseur. Son tout dernier coup de cœur est une IPA de la brasserie du Mont Salève, aromatisée à… l’ail. «Ca va être fantastique avec un agneau pomme-de-terre et fenouil de mer des dunes flamandes ou bien avec des topinambours confits au beurre et un tartare d’agneau», avance-t-il. Il accorde aussi «La Petite Princesse» de Daniel Thiriez, avec une entrée aux oignons frais rôtis, lait battu et huile de camomille. Il a aussi inventé, avec le brasseur, une mousse de printemps, au foin. « Je ne servirai jamais de bière industrielle, jure-t-il. C’est une démarche militante, cohérente avec ma cuisine, mes vins naturels et mes légumes issus de la permaculture.» Un jour, il le promet, il fabriquera sa propre bière. Au royaume de la mousse, c’est sûr, Heineken et Kronenbourg ne sont plus les rois.
Charlotte Langrand
*30 juin, 1er et 2 juillet 2017 à la Maison de la Mutualité. https://www.facebook.com/Mondialdelabiereparis/
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