Pour lire l’article dans sa version pdf, cliquez ici: les cèpes
Dès les premiers frimas de l’automne et parfois même avant, la lisière des forêts frémit de quelque agitation. Les bottes et les paniers sortent des placards. Les yeux scrutent le ciel, les esprits comptent les jours qui suivent les premières averses pour être prêts lorsqu’« ils » sortiront, beaux, droits et chapeautés. La première poussée de champignons est attendue avec une ferveur quasi religieuse. Et avec elle, le retour du seigneur des sous-bois : le cèpe.
Dans les campagnes, aller aux champignons est une évidence, une effervescence cyclique et compulsive. Ce plaisir très terrien sent bon l’humus, la mousse et le bois mouillé. Parmi l’immense diversité mycologique, le cèpe fait figure de roi. Plus qu’un champignon, c’est un trésor prisé des gastronomes que seule la truffe parvient à sur- classer. Il aime se faire désirer : il faut attendre la pluie et la bonne température pour activer le mycélium (sa partie blanche, végétative) qui engendrera, quelques semaines plus tard, la poussée miraculeuse.
Les bolets du chef Régis Marcon
Pourtant, ce spécimen de la famille des bolets n’a pas toujours fait l’unanimité. Sa récolte à même la terre lui valut d’être considéré comme un aliment bas de gamme jusqu’à la fin du XIXe siècle, avant de devenir la coqueluche des gourmets. Aujourd’hui, les nombreux bolétacés aux noms évocateurs (à beau pied, blafard ou de Satan…) ne sont pas tous comestibles ni bien réputés. Mais quatre espèces plus nobles suscitent des passions avec leur pied charnu et ventru, leur chair blanche à l’odeur de noisette et leur chapeau rond et brun : le cèpe d’été (aestivalis), le cèpe bronzé ou tête- de-nègre (aereus), le cèpe des pins (pinicola) et le cèpe de Bordeaux (edulis), le plus célèbre, présent dans tous les restaurants français.
Les bons coins à champignons : des secrets bien gardés
Leur cueillette peut tourner à l’obsession : on ne partage jamais ses bons coins, on jalouse parfois les paniers des voisins, on exhibe toujours sa récolte avec fierté. Elle draine aussi son lot de débordements, lorsque l’appât du gain pousse des cueilleurs organisés à saccager les bois ou quand des ramasseurs non autochtones retrouvent leurs voitures éraflées pour avoir prélevé des cèpes dans un bois privé… « En ce moment, on sent l’effervescence dans tout le Massif central, constate Régis Marcon, chef trois étoiles du Clos des cimes, à Saint-Bonnet-le-Froid (Haute- Loire). C’est devenu une destination touristique pour les champignons. J’appelle les cueilleurs à respecter notre nature. » Lui respire, mange, cuisine et pense morilles, girolles et pieds-de-mouton. En 2013, il a même écrit sa bible sur le sujet (Champignons, La Martinière). Son amour des bois et de la cuisine se mêlent dans ce produit : « C’est une vocation, un retour vers la nature, on s’imprègne des paysages, des bruits, de la lumière, poursuit-il. C’est une passion dévorante, je suis en recherche perpétuelle de nouveaux champignons pour comprendre le phénomène de la pousse. »
Le vrai goût de l’automne et des sous-bois
En attendant de percer ce secret, le chef excelle à les cuisiner. « Le cèpe, c’est le goût de l’automne. Influencé par le sol, il a un parfum différent en fonction de l’arbre auprès duquel il pousse. » La fricassée est, selon lui, le symbole le plus éclatant de sa dégustation, faits pour sa générosité et sa simplicité : de l’huile d’olive ou de la graisse de canard, une bonne poêle et surtout une grande tablée d’amis. Régis Marcon concocte aussi le cèpe en sabayon salé, avec un omble chevalier d’un lac de montagne ou en estouffe de pommes de terre. L’un de ses plats signatures se fait en cocotte : le cèpe en feuille de châtaignier, cuit dans du beurre et du lard. L’audacieux a même imaginé un praliné au cèpe (sec), étonnante invention qui accompagne un pigeonneau.
Cèpes: ne pas les laver à l’eau !
Pour réussir son plat, il faut choisir le champignon bien ferme et ne pas le nettoyer à l’eau sous peine de voir sa chair devenir visqueuse. Bien traité, il s’accorde aussi bien aux viandes, notamment blanches, qu’aux poissons, se laisse préparer en tourte poêlée ou cru en carpaccio, à la façon de Thibaut Sombardier, chef du restaurant Antoine à Paris : « Le cèpe imprime les goûts, il suffit d’un râpé de citron pour faire ressortir son odeur si particulière et sa pureté, estime-t- il. Les poêlées sont fantastiques car toutes les espèces sont faites pour fonctionner ensemble. La cuisine des champignons est puissante : après la fraîcheur de l’été, on revient aux sauces et à des goûts plus marqués. »
Même noble, le cèpe aime les recettes familiales. « Chez mes grands-parents, on s’asseyait tous autour de la table pour les nettoyer. Nous les mettions en conserve pour l’année, se souvient la Landaise Hélène Darroze, chef étoilée à Paris. Des cèpes poêlés avec un œuf à la coque, lié avec de la crème, du jus de truffe et un foie gras poêlé par- dessus, c’est juste le bonheur ! » Plus abordable, l’omelette fait partie du panthéon de la cuisine du roi des sous-bois. Hélène Darroze préfère rôtir les spécimens à spores blancs et garde ceux à spores verts pour la daube de cèpes, héritée de ses deux grands-mères : « Elles étaient en rivalité pour savoir quelle recette était la meilleure, celle au vin blanc sec ou celle au moelleux. » À vous de les départager.
Charlotte langrand
La recette facile avec des cèpes
La recette d’Helène Sarroze*
La daube de cèpes
Ingrédients (pour 6 personnes)
Recette
Nettoyez les cèpes à l’aide d’un chiffon humide puis séparez les queues des têtes. Hachez les queues finement. Ciselez les échalotes, hachez finement le jambon de pays. Faites revenir le tout dans un sautoir avec un peu de graisse de canard et les gousses d’ail. Une fois que le mélange est bien fondu, ajoutez les queues de cèpes hachées. laissez compoter une dizaine de minutes, puis versez le vin blanc. Faites mijoter tout doucement sur le coin du feu pendant 20 minutes environ, jusqu’à ce que le vin réduise quasiment à sec.
Pendant ce temps, détaillez les têtes de cèpes en lamelles épaisses de 1 cm, assaisonnez-les de sel et de piment d’espelette, puis faites-les revenir dans une poêle avec la graisse de canard, jusqu’à ce qu’elles soient bien colorées.
Versez le bouillon de volaille sur le hachis de queues, ajoutez les lamelles de cèpes et le bouquet garni et laissez cuire doucement pendant presque une heure. en fin de cuisson, rectifiez l’assaisonnement en sel et piment d’espelette.
*Restaurant Hélène darroze, 4 rue d’assas, Paris 6e. www.helenedarroze.com
Envie d’un autre plat de chef ?
Faites un tour dans la rubrique “recettes” de Kitchen Théorie
2 commentaires