Pour lire l’article en pdf, cliquez ici: les grands crus de l’or vert
L’habitude n’est pas encore ancrée dans les moeurs culinaires. Quelques chefs cuisiniers s’y aventurent tout de même. Sur les tables, ils remplacent le sacro-saint beurre par une coupelle de bonne huile d’olive. Effet garanti, pour éveiller les papilles en début de repas: on y trempe un morceau de bon pain, puis deux… Est-ce un sacrilège, dans la patrie qui ne jure que par le beurre depuis des décennies ? Plus maintenant. Depuis les rives de la Méditerranée, l’huile d’olive a parcouru un long chemin, géographique et qualitatif, pour prétendre aux mêmes faveurs qu’un beurre, fut-il de baratte.
L’huile d’olive est plus riche qu’on ne le croit. « Sentez-vous le goût de prune en bouche, ici ? Et là, la feuille de tomate ? » Alexis Munoz, expert et producteur d’huile d’olive, fait tourner dans ses doigts le gobelet contenant le liquide aux reflets mordorés, comme il le ferait avec un verre de bon vin : le spécialiste réchauffe légèrement son huile avant dégustation, afin qu’elle exhale tous ses arômes, rende toute la puissance de sa verdeur ou de sa rondeur, exprime tous ses tanins.
“On peut aimer ou pas les différents cépages d’olives, comme on préfère par exemple le pinot noir au merlot”, Alexis Munoz, oleicologue et producteur d’huile d’olive
La scène surprendra certains. Pourtant, l’huile d’olive peut largement prétendre au même cérémonial et au même champ lexical que les grands vins, chocolats ou cafés. Elle en possède les mêmes cépages, arômes, grands crus et moulins reconnus. Comme le vin, l’huile exhale aussi ses notes aromatiques : artichaut, herbe fraîchement coupée, amande vertes, prune… « On peut aimer ou pas les différents cépages d’olives, comme on préfère par exemple le pinot noir au merlot, explique Alexis Munoz. C’est pourquoi on ne peut pas parler d’huile espagnole, grecque ou française, elles sont toutes différentes selon les variétés et les différents états de maturité du fruit. »
Des récoltes précoces pour une huile d’olive plus verte
Aujourd’hui, la mode est aux récoltes précoces : des huiles ultra-vertes issues d’olives cueillies avant maturité (début octobre). Gorgées de vitamines et de polyphénols, leur goût piquant et amer, leurs notes de gazon frais très végétales réveillent le palais, sans pour autant tuer le goût du fruit et la douceur du produit. Dans leur jargon, les oléicologues appellent cela le « fruité vert ». « Le choix du moment de la récolte est essentiel tout comme le travail du moulinier, qui choisit les méthodes de malaxage, de broyage, de séparation, de décantation, poursuit Alexis Munoz.
Il existe aussi le « fruité mûr », plus rond et équilibré, fait avec des olives récoltées à juste maturité. Enfin, une poignée de producteurs, amateurs d’absolu, produisent un « fruité noir », dont l’appellation n’est pas reconnue. Cette cueillette tardive est suivie d’une phase où l’on laisse vieillir l’olive, le temps pour elle de confire de l’intérieur, pour rendre un petit goût d’olive noire rare en bouche. Cette technique ressuscite les saveurs des huiles très anciennes, rondes et racées à la fois, qu’on peut encore trouver au Maghreb, au Liban et dans certaines régions de Grèce et de France.
Vieillir le fruit mais pas le liquide
A l’inverse du vin, cette fois-ci, on vieillit le fruit mais pas le liquide. Après pressage, pas de vieillissement en fût (elle s’oxyde avec le temps) ni d’ajouts, le produit doit rester pur. Car tous les bons oléicologues le disent, c’est le millésime qui fait l’huile: idéalement, le cru de la nouvelle année doit chasser le précédent. Un millésime d’huile d’olive est donc un jeune cru, qui provient des fruits d’une seule et même parcelle.
Tous ces crus d’huiles d’olive enthousiasment les gastronomes et secouent les palais du grand public, habitués jusqu’ici à des huiles industrielles de piètre qualité. Longtemps réduite à un filet dispersé sur de mauvaises salades, l’huile d’olive se résumait à ce liquide gras au goût plat et uniforme, issue d’olives cueillies à maturité, sans vivacité ni fruité. Elle s’est offert une nouvelle jeunesse il y a quinze ans, en arrivant dans les bagages de la mozzarella italienne, qui ne sort jamais sans elle. Auréolée de ses immenses propriétés organoleptiques, bonnes pour la santé (avec ces anti-oxydants naturels que sont les polyphénols et les sténols), elle était aussi la star du fameux régime Crétois. Les tables tricolores furent alors conquises : la consommation d’huile d’olive en France est passée de 43.000 tonnes en 1994 à plus de 108.000 en 2010…
Créé en 1988, la marque Olivier&Co et son expert Eric Verdier entreprend de faire le tri dans les productions, pour se fournir chez les plus vertueuses : « Nous avons cartographié le paysage de l’huile d’olive car la notion de cru et de verger est essentielle, explique celui-ci. L’olive, c’est Athéna : la sagesse et la beauté. Dans tout le processus, la peau apporte la verdeur ; la chair, le sucre et enfin l’amande et le noyau confèrent l’amertume. Si le producteur n’a pas pu saisir tout cela, il vendra un vulgaire corps gras. »
La production française insuffisante
Les 1200 variétés d’olives cultivées dans le Monde mais surtout autour du Bassin Méditerranéen (Picual et Cornicabra espagnoles, Picholine française, Koroneiki grecque…) pouvaient espérer un bel avenir. Loin derrière l’Espagne, premier producteur mondial, mais aussi l’Italie, la Grèce et même Chypre, la France importe en masse, sa consommation étant nettement supérieur à sa production. Les marques industrielles (Puget, Carapelli, etc), qui pratiquent le mélange et l’assemblage d’huiles provenant de parcelles et de pays différents (estampillés « de l’Union Européenne »), ont habitué le consommateur à des jus très en-dessous de ses promesses gustatives. «A l’achat, les gens verifient seulement si c’est une première pression vierge à froid mais c’est un critère galvaudé, qui était intéressant il y a trente ans, quand on ne pressait pas tout de suite l’huile, estime Alexandre Rallis, fondateur de la marque Profil Grec. Aujourd’hui, il vaut mieux regarder si l’huile est millésimée et qui est le producteur. »
En France, de nombreux moulins indépendants existent. Et sept appellations protégées distinguent un cahier des charges régional, sans pour autant garantir une huile non mélangée. De quoi perdre le consommateur. “Une certaine strate de la profession, les industriels, n’avait pas intérêt à ce que l’on sache ce qu’il y a dans les bouteilles, car les assemblages cachent souvent la mauvaise qualité, témoigne Alexis Munoz. Et puis, c’est tellement plus facile de communiquer sur une jolie bouteille et sur le cliché des cigales, de la Provence… On vend du soleil et du rêve aux gens plutôt que de parler de la qualité du produit. ”
Des territoires à nouveau exploités
De nouveaux producteurs défendent ce retour à la qualité. De nouvelles marques, plébicitées par les chefs cuisiniers, sont apparues sur le marché, comme Profil Grec ou Kalyos, et de nombreux petits moulins français. A Tolède, Alexis Munoz produit plusieurs lignes millésimées, de l’intense au tonique. Oliviers&co propose près de 40 lots différents par an. L’huile d’olive a même son festival à Paris, les « Olio Nuovo Days », rendez-vous des petits producteurs. « Nous voulions mettre en valeur ce terroir et réveiller la région endormie de Kalamata, explique Alexandros Rallis. En plus de celle de ma grand-mère et de mon oncle, nous avons une parcelle de 400 arbres et nous achetons aussi à des familles. Avant, elles les revendaient à des coopératives qui les exportaient en Italie où elles étaient mélangées à d’autres… » Les sols pierreux et argileux des collines grecques assurent un goût plus marqué sur l’amertume, le vert, la longueur. Ce qui fait de l’huile de Kalamata un excellent condiment sur des mirabelles, une mozzarella crémeuse. Ou un bout de pain en début de repas.
Charlotte Langrand
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