DERNIERS ARTICLESfoodparoles de chef

Restaurant : Les Bras réveillent la Halle aux grains

Les chefs de l’Aubrac ont installé un restaurant consacré aux céréales dans l'ancienne halle aux grains de Paris, au sein de la Bourse de commerce de François Pinault

Il suffit de tendre l’oreille en cuisine : les accents chantants de la brigade ne trompent pas. Quand Michel et Sébastien Bras ouvrent leur premier restaurant à Paris, les fourneaux fleurent bon l’Aubrac et ses hauts plateaux d’herbes sauvages. Mais pas seulement : pour leur nouvel opus, situé au troisième étage de la Bourse de commerce, qui accueille désormais la collection d’art contemporain de François Pinault, les chefs père et fils n’ont pas cherché à dupliquer leur célèbre restaurant du Suquet, à Laguiole. Sous la coupole de verre, avec une vue imprenable sur l’œuvre monumentale de Tadao Ando d’un côté et l’église Saint-­Eustache de l’autre, ils se sont laissés inspirer par la majesté de l’ancienne halle aux grains de la capitale et en ont adopté le nom.

La Halle aux grains, un lieu à l’histoire inspirante

Restaurant : Les Bras réveillent la Halle aux grains
Photo Laurent Dupont

« Ce qui nous a séduits, c’est l’histoire du lieu qui présente ce lien fort à l’alimentation, explique Sébastien Bras, 49 ans. Ça nous a donné envie de proposer quelque chose d’innovant. Ça avait du sens à nos yeux, sinon nous ne l’aurions pas fait : nous n’avons jamais cherché à nous développer à tout prix. » Pour que les Bras s’installent hors de leur base de Laguiole (comme ils l’ont déjà fait à Millau, à Rodez et même au Japon), il leur faut une aventure différente de celle qu’ils écrivent déjà avec succès depuis trois générations.

La Halle aux grains leur a servi un répertoire sur un plateau : les céréales, les pousses et les semences sont leur nouveau terrain de jeu. Le restaurant n’est pas végan pour autant. Les viandes de l’Aubrac, les poissons de ligne et les végétaux les ont accompagnés dans la capitale, mais un aréopage de graines, de légumineuses, d’oléagineux et d’ombellifères, tous rigoureusement sourcés, viennent jouer les brillants seconds rôles dans l’assiette. « Avec les céréales, nous n’avions jamais poussé la démarche créative jusque-là, raconte le patriarche Michel Bras, 74 ans. C’est la continuité du travail sur le végétal qui m’anime depuis 1978 : ça nous a donné l’occasion d’aller à la source, de nous occuper aussi de la semence, pas seulement de la partie aérienne de la plante. »

Graines germées, torréfiées, grillées, soufflées…

Restaurant : Les Bras réveillent la Halle aux grains
Photo Vincent McClure

Le créateur du gargouillou, ce plat hommage à ­l’Aubrac, s’est laissé guider par sa passion : « Pour moi, la cuisine est un jeu, alors je me suis amusé à travailler ces céréales différemment. Avec ­Sébastien, on a pris des flocons d’avoine sur lesquels on s’est amusés à fixer du poivre, et du caramel sur d’autres… Quand je crée une recette, je pars toujours du végétal, avec l’aide de la bibliothèque de goûts que j’ai dans la tête grâce à mes soixante ans d’expérience. » Amarante, azuki, kamut, fève, luzerne, pois, fonio, millet, orge, lin ou cumin sont passés par tous les états. Les chefs les ont fait germer, torréfier, griller, souffler, infuser ou fermenter. Ils les ont parfois mariés avec des épices, clin d’œil à la grande fresque de la Bourse du commerce évoquant les cinq continents.

Ce laboratoire de cuisine a ­accouché de créations uniques qui réhabilitent les céréales, souvent galvaudées par le lissage industriel des goûts et des variétés. « Elles sont maltraitées et les gens les réduisent au véganisme, déplore Michel Bras. Tout l’enjeu était de les rendre ­gourmandes, même si ce n’est pas toujours une matière facile à travailler : il faut être précis avec les cuissons et bien connaître les origines, mais on peut faire des choses fabuleuses. »

Une graine par plat, de l’entrée au dessert

À la carte, elles se faufilent partout. On retrouve au minimum une graine par recette. Ici, une mousse de morue avec kasha, vinaigrette, poutargue et pousses de poireaux germées ; là, un filet de canard mulard rôti sur os, avec navets de Nancy rôtis et jus tonifié de miso de lentilles (une technique rapportée du Japon par Sébastien). Ou encore une poitrine de pintade grillée, au kurakkan et millet avec un jus au pain et à l’anchois… Sans compter les tartes servies l’après-midi, puisque le service est continu de midi à minuit.

Restaurant : Les Bras réveillent la Halle aux grains
Photo Maxime Tetard

Si l’iconique coulant au chocolat a fait le voyage du Suquet, les autres desserts jouent aussi le jeu. Un millefeuille de graines de courge caramélisées ou une tarte aux fraises améliorée d’une pâte aux graines de tournesol et d’une frangipane au seigle… « Il y a aussi un dessert à la chicorée avec des pousses de pois frais, du sarrasin soufflé et une meringue faite avec le jus de cuisson du pois chiche, sourit Michel Bras. Il faut être fada pour tenter ça, mais ça s’accorde très bien ! » La carte des vins est au diapason de cette table inclassable, entre vraie cuisine d’auteur et brasserie haut de gamme : « Pour aller jusqu’au bout de cette histoire, nous avons considéré le raisin comme le grain de la vigne et proposé à nos vignerons de concevoir des vins en grains uniques, ajoute Sébastien Bras. Nous avons ainsi 30 crus inédits en monocépage. »

L’ADN de l’Aubrac: coulant au chocolat et “niac”

Restaurant : Les Bras réveillent la Halle aux grains
Photo Laurent Dupont

Ces créations n’oublient pas pour autant qu’elles viennent de ­l’Aubrac. Et d’une famille au caractère libre qui a banni de ses cuisines le « oui, chef ! » trop péremptoire et a choisi, avec Sébastien en 2017, de ne plus briguer les étoiles ­Michelin. La Halle aux grains ne vise donc pas de macarons mais décline une nouvelle facette de l’ADN des Bras.

Chacun des plats de la carte a été conçu selon le modèle du « niac », le marqueur de la maison du Suquet depuis toujours.  Dans le vocabulaire familial, ces « touches de goût » (une pâte, une sauce, une texture) viennent épauler ou ­secouer un plat, pour lui donner un supplément d’âme. Il en va ainsi du miso de lentilles avec le bœuf de l’Aubrac, de la croûte de cumin torréfiée sur le chou farci. Et même du moulin de table: « il renferme des graines, des poivres, des épices, précise Michel Bras. Il réveille les papilles et permet de véhiculer le geste du service : quand le serveur vient mettre un coup de moulin sur une assiette, les regards se croisent avec le client, le dialogue s’installe. C’est pareil avec notre bouillon, servi à chaque début de repas. Cette notion de l’accueil, c’est et ça sera toujours signé Bras ! »

Charlotte Langrand

La Halle aux grains – Restaurant Bras, 2, rue de Viarmes (Paris, 1er). halleauxgrains.bras.fr

 


 

La recette de Michel et Sébastien Bras

« Champignons de Paris farcis comme il se doit de queues de champignons, volée d’avoine cristallisé au poivre noir »

 

Restaurant : Les Bras réveillent la Halle aux grains

Ingrédients

  • 360g Champignons de Paris

Nettoyez les champignons, creusez-les légèrement et retirer la queue. Hachez grossièrement ces derniers éléments et les tomber dans une poêle graissée, avec une pointe d’ail.

  • 45g Oignon confit
  • 225g Pain trempé & essoré
  • 75g Laguiole râpé
  • 3 Oeufs mollets
  • 16g Persil
  • 2g Sel
  • 1g Poivre

Mélangez tous les éléments dans un cul de poule avec les champignons tombés. Rectifiez l’assaisonnement. Farcir les têtes de champignons généreusement, Réservez.

  • 50g Flocons d’avoine
  • 10 Blanc d’oeufs
  • 1 sel
  • 0.3 Poivre noir

Mélangez tous les éléments puis torréfiez au four à 170° durant 8mn environ

Colorez de façon uniforme les champignons farcis, en les posant côté farce dans une poêle graissée. Enfournez 5 mn à 160 degrés.

  • 1 CS gwell
  • 1 CS julienne de pommes

Tapissez de gwell le fond de l’assiette et y ranger les champignons. Rafraîchir d’une julienne de pomme et de flocons d’avoine.

Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Bouton retour en haut de la page