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Deux pois, deux mesures

Débarrassé des mauvais souvenirs d’enfance et de cantine, le légume printanier se révèle sucré, vif et croquant et se suffit presque à lui-même

Il vaut mieux l’avoir dans l’assiette que dans la tête. Le petit pois a depuis toujours épousé notre cuisine, pour le pire et le meilleur: d’un vert vif, juste sorti de sa cosse, il régale les papilles de son joli goût sucré ; kaki et trop cuit, servi à la cantine, il laisse sa petite peau collée au palais et des souvenirs acides. Ce grand écart gustatif est typique de ce légume, aussi frustrant en conserve que réjouissant, frais.

Injustement, ce pois-plume printanier passe pour un figurant dans l’ombre de la noble asperge, son acolyte de saison. C’est oublier que cette petite bille parfois ridée a inspiré autant de recettes que de légendes. Dans le conte d’Andersen, La princesse aux petits pois, c’est grâce à lui qu’on reconnaît une vraie princesse (qui le détectera, glissé sous vingt matelas empilés). D’innombrables croyances populaires lui prêtent des vertus, selon le nombre de grains trouvés dans sa gousse: neuf pour un mariage dans l’année, un pour un signe de bon augure…

Jamais à l’eau!

Deux pois, deux mesuresCôté cuisine, on trouve sa trace jusque dans l’Antiquité et le Moyen-Age, utilisé sec. Ce n’est qu’au début du  XVIIe siècle que le Pisum Sativum s’installe dans les assiettes sous sa forme fraîche. Louis XIV le vénère, inspirant ces lignes à Madame de Maintenon: « le chapitre des pois dure toujours. L’impatience d’en manger, le plaisir d’en manger et la joie d’en manger encore sont les trois points que nos princes traitent depuis trois jours ». A l’époque, le produit coûte une fortune et les plus riches dépensent sans compter pour les avoir à leur table.

Le jardinier de Versailles, La Quintinie, poussera leur culture à son sommet, jusqu’à inventer la notion de primeur. Ces premières semaines de printemps et leur cortège de légumes signent le retour du vert et du croquant, qui nous délivrent de l’hiver. Maintes recettes de clochers fleurissent: les préfère-t-on «à l’anglaise», cuits à l’eau et à la menthe; en potage dit «à la Fontanges»; en simple garniture «à la Saint-Germain» ou encore «à la Clamart», avec des fonds d’artichauts? Cette ville des Hauts-de-Seine leur dédiait même une parade éponyme et annuelle, pendant laquelle les jeunes filles, auparavant, concouraient à l’élection de la «Reine des petits pois».

La recette-patrimoine

Deux pois, deux mesuresLa recette des «petits pois à la française» fédère toutes les autres: dans une cocotte, du beurre, quelques oignons frais, un peu de lard et des feuilles de laitue fondantes… et la magie opère. Cette préparation ancienne a été modernisée par la chef Stéphanie Le Quellec au Prince de Galles (75), qui la déstructure, de la cosse au grain. «Je suis attachée aux recettes françaises traditionnelles, explique-t-elle. Ce produit a longtemps été une garniture mais j’ai voulu en faire un plat à 100%, célébrant la quintessence du petit pois.»

Amoureuse du produit, la chef supplie de ne jamais le cuire à l’eau, ce grand bain qui dilue les sucs au lieu de les concentrer. Car un petit pois de bonne qualité se suffit à lui-même: «Ce grain est merveilleux, il faut presque le servir cru, estime Christophe Moret, chef de l’Abeille au Shangri La (75). A la bonne taille, ce sont de vrais bonbons sucrés, frais et sans peau.» La qualité se reconnait à sa cosse, bombée et brillante et à son goût, cru: «si l’on a la bouche en feu, c’est qu’il y a eu trop de traitement phytosanitaires», assure Christophe Latour, producteur raisonné du Lot-et-Garonne.

 

Le “caviar vert”, star de l’assiette

Chaque jour, cet agriculteur couve ses plants comme le lait sur le feu. «Je les chouchoute, c’est beaucoup de travail: ils doivent pousser à température constante, entre 22 et 25 degrés, pour éviter qu’ils ne deviennent fibreux. S’il fait plus chaud, ils seront farineux, s’il vente, il y aura moins de grains dans la gousse.» Son attention pour ce légume exigeant est récompensée par la nouvelle génération de chefs, qui plébiscitent son travail: «Ils cuisinent tous les produits en se fichant de savoir s’ils sont nobles ou pas, cela valorise le monde agricole, affirme-t-il. Ils traitent le petit pois comme de la truffe.»

De retour sur les grandes tables

Ces grains verts ont inspirés quelques beaux «plats-signature»: Christophe Moret à l’Abeille le marie au homard, Nicolas Beaumann de la Maison Rostang le cuisine en fricassée de girolles, crème d’oignons et poudre de chorizo et Glenn Viel, le chef de L’Oustau de Baumanière aux Baux-de-Provence (13), ajoute des couteaux, du caviar et une gaufre de persil à ses petits pois, ramassés dans le jardin du restaurant: «Ici, on l’appelle le caviar vert: il est minuscule mais déploie en bouche une mâche parfaite, légèrement juteuse, assure-t-il. On le récolte midi et soir, c’est tellement de travail qu’on le traite comme la star de l’assiette. »

C’est bien de prendre le client à rebrousse-poil et de servir des petits pois dans un palace”, Stéphanie Le Quellec, cheffe de La Scène au Prince de Galles, doublement étoilée au Guide Michelin 2019

Avec un homard ou un pigeon de caractère, un poisson bien iodé ou en dessert, cette bille de chlorophylle s’adaptent à tous les milieux: «C’est bien de prendre le client à rebrousse-poil et de servir des petits pois dans un palace, poursuit Stéphanie Le Quellec. C’est avec ces produits lambda qu’on distingue la signature et la palette d’un chef: c’est plus facile de faire rêver avec un turbot, une langoustine ou du caviar qu’avec un petit pois ou un hareng.» Stéphanie Le Quellec et Nicolas Beaumann prévoient ainsi de célébrer le petit pois sous la majestueuse verrière du Grand Palais, en servant leurs plats-signature à la prochaine édition du Taste of Paris*. Pour régaler les 30.000 personnes attendues, ils devront en écosser plusieurs tonnes… Le petit pois fait toujours le poids.

Charlotte Langrand

 


 

La recette de Stéphanie Le Quellec*

Petits pois « à la française »

 

Ingrédients

 

Spaghettis de petits pois : 80g de farine de petits pois, 220g de farine 00, une cuillère de vinaigre blanc, 13 jaunes d’œufs.

Poudre : 1 oignon blanc, 300g de jambon ibérique

Jus de petit pois : 2,5kg de petits pois

Ragout de petit pois : 2kg de petits pois, 50g du jus de petits pois, 10g de fécule

Présentation: deux bottes d’affila cress, une botte de menthe, 100g de petits pois

 

Recette

 

-Pour faire les spaghettis de petits pois, mettre dans une cuve les jaunes, le vinaigre et incorporer la farine et le sel, petit à petit. Une fois la pâte formée, la finir à la main pour bien la bouler. Réserver la pâte au frigo, elle sera utilisable après une heure.

-Pour préparer la poudre de jambon, faire sécher au déshydrateur des parures de jambon ibérique puis mixer à l’aide du moulin à épices. Pour obtenir la poudre d’oignons : émincer les oignons, les faire frire puis les mettre à déshydrater et mixer.

-Passer les petits pois entiers, avec leurs cosses, à la centrifugeuse, puis filtrer au papier torck, réservez ce jus.

Juste avant l’envoi, préparer le ragout en faisant juste chauffer les petits pois avec une noisette de beurre frais. Ajouter le jus de petit pois puis lier avec la fécule. Rassembler tous les ingrédients dans une assiette avec quelques pluches de menthe, des petits pois bruts et des pousses d’affila.

 

Stéphanie le Quellec, anciennement cheffe du restaurant La Scène de l’hôtel Prince de Galles, à Paris, deux étoiles au Guide Michelin 2019

 

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Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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