Lorsqu’on porte en soi autant de mystère, autant s’armer d’un bon camouflage. D’abord, cultiver une apparence molle, voire caoutchouteuse. Puis, suggérer la froideur et l’humidité avec une couleur sombre : brune, verte, presque noire. Enfin, se cacher en environnement hostile : sous l’eau, bien accroché à son rocher. Bref, susciter suffisamment de réticences pour provoquer le renoncement.
L’algue a tout compris. Véritable trésor pour la santé, elle choisit ainsi de s’offrir à ceux qui s’y intéressent vraiment. Rares sont les produits qui, comme elle, échappent encore à la majorité des cuisiniers français car, à part quelques passionnés de la mer cuisinant surtout du côté de la Bretagne, les toques hexagonales se penchent peu sur ce petit trésor. Pendant longtemps, elle fut ainsi la fiancée de l’industrie pharmaceutique, cosmétique ou agricole plutôt que des fourneaux.
Kombu, wakamé, nori… A chaque algue, sa cuisine
Parler d’algues, c’est pourtant entrer dans l’inconnu minéral, approcher l’iode en majesté et apprivoiser l’enfant le plus légitime de notre « mer » nourricière : riche en oligo-éléments et en minéraux (fer, zinc, calcium…), en protéines (c’est un aliment-phare pour les végétariens), et en vitamines, ses vertus pour notre santé sont innombrables : elles sont antioxydantes, anti-inflammatoires et anticholestérol, stimulent le système immunitaire, luttent contre les maladies cardio-vasculaires… Un véritable cocktail de vitalité venu des profondeurs marines. Elles seraient même le futur de notre alimentation, menacée par les aléas climatiques.
L’algue fait aussi de l’effet dans l’assiette. Ce ne sont pas les Japonais qui diront le contraire, eux qui en ont fait le pilier de leur cuisine depuis des millénaires : le kombu est la clef du fameux bouillon dashi ; le wakamé, celle de la soupe miso ; la nori, l’enveloppe noire des sushis et des makis… La plus grande réserve d’algues d‘Europe se trouve en Bretagne : près de 800 espèces s’y développent, du Finistère à l’Ile-et-Vilaine. « Nous ramassons les algues à la main, pendant les grandes marées uniquement, pour avoir accès à celles qui ont passé un maximum de leur croissance dans l’eau, explique Nathalie Ameline, cueilleuse d’algues et cofondatrice de Alg’Emeraude, à Saint-Lunaire. Afin de préserver la biomasse, nous les cueillons aux ciseaux, pour bien laisser sur le rocher les crampons de l’algue, avec ses organes reproducteurs. »
Afin de préserver la biomasse, nous les cueillons aux ciseaux, pour bien laisser sur le rocher les crampons de l’algue, avec ses organes reproducteurs,
Nathalie Ameline, cueilleuse d’algues à Alg’Emeraude
Seules une vingtaine de variétés ont pour le moment été autorisées à la consommation. Parmi elles, la laitue de mer, algue d’un vert vif, riche en chlorophylle, en fer, en magnésium et en zinc, souvent cuisinée en papillotes ou en salade. Très iodée et riche en manganèse, la dulse, de couleur rouge-brun, est bourrée de protéines et stimule la digestion. Le wakamé japonais, antioxydant, nettoie l’organisme et distille son petit goût d’huître dans les salades. La « star » du milieu, l’algue nori, connue des amateurs de sushis, se saupoudre, en paillettes, sur des pâtes ou dans des sauces… Enfin, le Kombu royal, riche en iode et en oligo-éléments, est idéal pour les soupes, les bouillons ou les poissons.
Les algues à toutes les sauces: en vinaigrettes ou poêlées
A saint-Lunaire, Nathalie Ameline et Nathalie Hamon d’Alg’Emeraude concoctent des préparations culinaires à partir des spécimens sauvages qu’elles ont auparavant déshydratés à basse température pour les conserver sans les dénaturer. Sous forme de paillettes ou de tartares, elles s’incorporent à une mayonnaise ou à une purée de pommes de terre : version classique aux échalotes, oignons, vinaigre de cidre et huile de colza ou version « Yucatan » avec huile de coco et citron vert. Leur confit de wakamé (sucre, gingembre et citron vert) accompagne, lui, parfaitement le foie gras…
Les deux associées, qui travaillent de façon artisanale, fournissent quelques chefs, en Normandie et à Paris, comme Yves Camdeborde ou les Breizh Cafés. En Bretagne, aux Thermes de Saint-Malo, on sert une étuvée de lotte à la vapeur d’algues sauce huîtres ou un magret de canard frotté et mariné aux algues poêlées et sauce framboise… Julien Hennote, chef du Pourquoi Pas à l’Hôtel Castelbrac de Dinard, utilise le kombu pour apporter du moelleux à ses plats ou le wakamé pour ses vinaigrettes. « Nous faisons un turbot en brioche, roulé dans les algues puis dans une pâte au tartare d’algues, explique-t-il. Cuit au four puis découpé en salle, il exhale tous les parfums de la mer, c’est incroyable. » Il marie aussi les algues au bœuf et fait même des macarons en dessert.
L’emblème de l’Umami, la cinquième saveur japonaise
Si elle s’adapte à presque tous les plats, c’est que l’algue est la quintessence de la fameuse « cinquième saveur » appelée Umami au Japon : cette longueur en bouche qui procure un plaisir gustatif unique (ni salé, ni sucré, ni amer, ni acide) et que les occidentaux ont tant de mal à définir. « C’est une formidable base de sapidité et de goût pour ma cuisine, qui est vraiment l’expression d’un territoire, explique Hugo Roellinger, chef du Coquillage à Saint-Méloir-des-Ondes, dans la baie de Cancale. Les algues en font forcément partie : on les sent partout, sur la côte. »
Il n’est pas rare de voir le chef mordre dans des algues à-même la mer, lui qui a fait d’elles la colonne vertébrale de sa cuisine. Inventif et libre, il a échangé le sacro-saint bouillon blanc de volaille, un des socles de la cuisine française, par un bouillon aux algues : infusé à froid ou à chaud, c’est la base de toutes ses vinaigrettes et ses sauces. Il aime mélanger les variétés entre elles, pour associer leurs propriétés. « Toutes les algues sont un éloge à l’iode : cela va de l’iode végétale et herbacée de la laitue de mer à une iode animale, avec un côté gibier, du « poivre des mers », en passant par la délicatesse de la dulse. »
Une cave d’affinage d’algues
Pour en savoir davantage sur ses idoles, Hugo Roellinger a échangé avec des chefs japonais et sa passion est encore montée d’un cran : il collectionne les algues et fait vieillir l’espèce des « laminarias » dans une cave, comme on le ferait d’un vin : « Elles perdent un premier goût marin pour gagner en complexité, même en sucrosité et prennent des notes de réglisse, explique-t-il. J’ai même des collections particulières, comme celles des marées d’équinoxe : ce sont des millésimes qui ont gardé en mémoire le goût de la mer. »
Le chef commence ses menus avec un plat-hommage à la Grande Bleue, « l’Estran » : un subtil bouillon d’algues avec des fruits de mer (ormeaux, huitres, oursins…), du whisky breton au seigle, des herbes de bord de mer, du poivre indien… Une entrée en matière qui réveille la bouche et annonce un beau vent du large sur le repas. « Les algues me fascinent, poursuit-il. C’est le végétal de la mer ; les premiers végétaux apparus sur Terre… Elles incarnent cette force du vivant, mystique et vitale, qui associe l’énergie céleste et marine. En les mangeant, on approche ce goût primaire, presque préhistorique. » Vous ne regarderez plus les algues comme avant.
Charlotte Langrand
La recette facile d’algues d’Hugo Roellinger*
Bouillon-restaurant d’après-fêtes
aux légumes, algues et huîtres
Ingrédients pour 4 personnes
- 12 huîtres creuses
- 2l eau de source
- 3 carottes
- 4 oignons brûlés
- 2 poireaux
- 3 gousses ails rôtis
- 1 céleri branche
- 1 pouce de gingembre
- 30 gr de kombu
- 30 gr de wakame
- 1 botte de coriandre
- 1 demi-botte de menthe
- Poivre Neelamundi
- Huile de colza.
Recette
Faire suer tous les légumes dans une noix de beurre, assaisonner de sel et poivre. Mouiller avec l’eau de source et porter à frémissement pendant une heure. Écarter du feu et infuser les algues et les herbes.
Ce bouillon peut être servi bien chaud avec quelques huîtres dans le fond du bol, quelques légumes taillés et un trait d’huile de colza.