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Arts de la table – les petits plats dans les grands

Portés par la céramique et une vaisselle aux formes plus enveloppantes, les arts de la table ont le vent en poupe. Chefs et artisans collaborent étroitement pour créer des lignes uniques

Lassés des boîtes en plastique ou en carton des livraisons à domicile, les Français soignent leurs arts de la table. Porcelaines de Limoges, Faïences de Gien et autres cristalleries affichent ainsi des ventes en hausse en 2020. Et une « nouvelle table » s’est dessinée ces dernières années : loin des services classiques blancs ou argentés, elle affiche un design plus brut, une vaisselle aux formes plus arrondies ou colorées et de grands plats à partager… La table est un art très concret qui s’imprègne de nos modes de vie et qui a évolué en même temps que la créativité des cuisiniers : « Il y a 15 ans, les chefs ne s’intéressaient pas à la vaisselle d’auteur mais récemment, ils ont bousculé le domaine et nous avons beaucoup de demandes, constate la céramiste Patricia Vieljeu, qui travaille avec des chefs comme David Toutain, Giovanni Passerini ou encore Atsushi Takana. Ils ont souvent travaillé à l’étranger, notamment en Asie où la céramique fait partie de la vie quotidienne et cela leur a donné des idées. »

Des arts de la table plus authentiques avec la céramique

Arts de la table - les petits plats dans les grands
Marion Graux. Photos Anne-Claire Heraud

Le plastique, c’est fantastique mais la céramique, c’est plus authentique : les chefs plébiscitent désormais cette matière qui correspond bien à l’époque actuelle, avec son toucher plus organique, son design minimaliste et son geste artisanal. Cette vaisselle est portée par des artisans comme Marion Graux, Patricia Vieljeu ou Syl et, avant elles, Claire de Lavallée ou Christiane Perrochon, qui ont dépoussiéré les services en grès cachées au fond des armoires de grand-mère. « Le retour de la terre cuite et du grès a un rapport direct avec l’évolution récente de la cuisine, qui s’est orientée vers des saveurs plus brutes, des produits moins transformés, de la cueillette, analyse Anaïs Boucher, commissaire de la passionnante exposition « À Table ! Le repas tout un art », qui rouvrira le 19 mai à la Manufacture de Sèvres (voir encadré). Le brunch, l’apéro-dinatoire, les tapas ou la finger food ont aussi inspiré la mode des contenants plus petits et multiples. Il fallait enfin des services enveloppants pour aller avec notre canapé, ce nouvel endroit de dégustation. »

Les pièces plus arrondies ont donc le vent en poupe : bols, petites tasses, cuillères, assiettes creuses ou, à l’inverse, de grands plats partageurs. « Dans la cuisine d’aujourd’hui, il y a beaucoup de bouillons, de soupes, de jus, on mange moins de protéines et davantage de légumes secs ou crus, on pourrait presque se passer de couteau!, constate la céramiste Marion Graux, qui travaille entre autres avec Gregory Marchand, Hélène Darroze ou Arnaud Lallement. Les assiettes sont donc plus petites ou creuses pour accueillir des bouillons ou des petites bouchées d’inspiration levantines ou asiatiques. »

Vaisselle enveloppante et centres de table

Arts de la table - les petits plats dans les grands
Les assiettes de Marion Graux. Photo Constantin Hays

En 2011, l’artiste Antoine Bondin conçoit « Sen », un service aux formes rondes et épurées, inspiré d’une pièce iconique conçue au 18e siècle par la manufacture de Sèvres : composé d’un bol à thé, d’une soucoupe double et une tasse à café, il aurait été moulé à partir… d’un sein de Marie-Antoinette.

On constate aussi un regain des « suretout ». Ces centres de table décoratifs trônaient sur les tables siècle des Lumières, celui du raffinement suprême dans le domaine. Ainsi, le service « Archipel » de la créatrice Adeline André est composé de coupelles de couleurs qui s’assemblent pour créer un joli décor central : « Nous avons beaucoup de commandes spécifiques de ce genre, précise Anaïs Boucher à la Manufacture. La table est un moment très français et l’on assiste à un retour de l’esthétisation du repas car les gens ont envie de casser le rythme de leur quotidien, d’y mettre du beau, d’assortir un joli service avec un bon plat… »

Le plébiscite des chefs pour les arts de la table

Même engouement chez les chefs. « Je suis extrêmement attaché aux arts de la table, confirme David Toutain, doublement étoilé à Paris. J’ai tout connu : des restos avec un seul type d’assiettes et l’extrême inverse… Cela fait partie de l’expérience du restaurant. Chez moi, sur les vingt préparations de mon grand menu, il n’y a pas une assiette identique, de la présentation au café. » Il a travaillé entre autres avec Patricia Vieljeu pour le grès ou Sylvie Coquet pour la porcelaine… « La table, c’est toute une mise en scène, jamais une assiette n’est là par hasard : on joue sur la matière, l’hiver ; sur les couleurs, l’été ; on créé un dialogue entre le végétal et l’assiette ; on réfléchit aux volumes… Et je suis un fan des « pelles à sauce », ces cuillères à fond plat ! »

Arts de la table - les petits plats dans les grandsL’arrivée des réseaux sociaux a achevé de faire du visuel un élément incontournable de leur travail. Un concours de la plus jolie table, appelé Waww, est même né sur Instagram pendant le confinement. Le dialogue entre les univers des céramistes et des cuisiniers professionnels, tous les deux créatifs et artisanaux, est donc intense: « On ne raconte pas la même histoire culinaire dans un bol vert ou dans un bol noir, poursuit Marion Graux. Mon travail est le plus minéral et le plus brut possible. J’aspire à transmettre l’émotion de ces objets faits de mes mains, en plein Paris, à une cadence lente. Ils portent la trace de mon œil, de ma réflexion intérieure et de mon énergie. »

Assiette cassée et table en cuir: les arts de la table à La Grenouillère

L’alchimie est parfois dure à trouver : un support trop « fort » et c’est le travail du cuisinier qui disparaît derrière lui. « Les arts de la table sont de véritables socles qui accueillent notre cuisine… Si un contenant n’est pas à la hauteur, cela gâche tout, affirme Alexandre Gauthier, doublement étoilé à la Grenouillère (la Madelaine-sur-Montreuil). Le chef voue une fidélité totale à « l’intelligence et à la délicatesse » de Syl (Sylvie Himpens), qui a notamment créé pour lui ses fameuses assiettes « cassées » en deux.

« Cet art est important dans l’identité d’une Maison, dans la singularité de notre expression culinaire, poursuit-il. Si un plat n’est pas beau, lisible ou appétissant dans une assiette, il est mis de côté en attendant de trouver son contenant idéal. » Alexandre Gauthier a même imaginé ses tables selon une scénographie organique autour de « la terre et la bête » : « la table est en cuir de peau de vache, nous posons dessus ces assiettes de terre blanche juste modelées. J’ai demandé que leur émail soit lacté, comme si une crème fraîche coulait dessus… Ainsi, quand il est cohérent, le plat prend vie. Ce n’est pas du consommable sur canapé ! »

Charlotte Langrand


Les arts de la table dans l’histoire

La Manufacture de Sèvres, qui fête ses 280 ans, a imaginé l’exposition « À table ! Le repas, tout un art », à l’occasion des dix ans du classement par l’Unesco du repas gastronomique des Français. Ce parcours à travers l’histoire met en scène un millier d’œuvres. Elles viennent de ses collections et de celles des musées Adrien Dubouché de Limoges, des Arts décoratifs de Paris. On y voit aussi des objets des grandes maisons comme Christofle ou Saint-Louis. On découvre à quel point ce domaine embrasse nos modes de vies depuis toujours : la naissance de l’assiette à la Renaissance, celle des services coordonnés en faïence, à la fin du 17e siècle, où les grandes familles affichaient leurs armories ; le 18e siècle et ses « pièces de forme » comme les « surtouts » (centres de table), les « pot à oille » (ancêtre du saucier), les terrines (pour maintenir les plats chauds)… Vous ne verrez plus jamais votre vaisselle de la même façon.

Jusqu’au 24 octobre 2021. www.sevresciteceramique.fr

Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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