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Les Bouillons en pleine effervescence

Les ancêtres des brasseries refont le plein dans la capitale, avec leurs plats traditionnels à prix doux

L’œuf mayo, la blanquette et le poireau vinaigrette étaient-ils prêts à cette célébrité soudaine ? En 2018, voilà que les plats populaires, les mijotés traditionnels et les hors d’œuvre patrimoniaux reçoivent les honneurs des gastronomes, comme s’ils sortaient de cuisines de palaces. La « faute » au retour des bouillons, ces ancêtres des brasseries, que les Parisiens avaient délaissés.

Manger des plats goûteux, abordables et à la bonne franquette

Ces tout premiers restaurants ont connu leur période de gloire dans le Paris des années 1900. On en comptait presque 100. C’est le boucher Baptiste-Adolphe Duval qui, en 1854, s’est mis en tête le premier de restaurer les Parisiens, férus de leurs nouvelles Halles. À l’époque, l’idée est nouvelle et simple : manger sur le pouce des plats goûteux, très abordables et à la bonne franquette. Dans de superbes décors Art nouveau aujourd’hui classés, le Paris ouvrier se régale des bas morceaux accompagnés de leurs « consommés », ces fameux bouillons reconstituants. Happés par la danse bien huilée des serveurs en habit et la gestion millimétrée des patrons, on y débitait chaque jour des brassées de plats traditionnels.

Les bouillons en pleine effervescence
La salle du Bouillon Racine

Remplacés par les brasseries, plus cossues

Il n’en restait qu’une poignée, comme le célèbre bouillon Chartier des Grands Boulevards, à survivre aux Trente Glorieuses et à leurs nouvelles coqueluches : les grandes brasseries, plus cossues. Ça, c’était avant. Avant que les Frères Moussié, restaurateurs aux manettes de Chez Jeannette ou du Parisien Café, ne ressuscitent le concept en ouvrant le Bouillon Pigalle en novembre 2017. L’endroit n’est pas classé mais les codes du bouillon sont là : banquettes en skaï, hauteur sous plafond, tables en enfilade et serveurs en veston. Côté carte, la panoplie du répertoire populaire défile au grand complet : blanquette, rillettes de poisson, os à moelle, rosbif mayonnaise, gigot au jus, saucisse purée, flan, riz au lait, choux à la Chantilly…

Un retour réussi, grâce au fait-maison

Les bouillons en pleine effervescence
La salle du Bouillon Julien

Les Parisiens font la queue pour y manger, les serveurs ont déjà leurs habitués, les prix sont bas (entrées et desserts entre 2 et 4 euros en moyenne, plats entre 8 et 12 euros) et le service, continu. « Nous voulions faire le bouillon 2.0, explique Jean-Christophe Le Hô, le directeur. En bons franchouillards, nous espérions prouver qu’on peut manger correctement à des prix intéressants, à une époque où l’on a seulement le choix entre des adresses où l’on mange bien mais pas à moins de 35 euros et des restaurants moins chers mais qui se ressemblent beaucoup. » Depuis le succès de leur établissement de Pigalle, d’autres bouillons ont commencé à s’agiter.

De grosses machines au service bien huilé

Mais comment servir de la qualité à un prix si bas ? Le secret réside dans la gestion des achats : les bouillons sont de grosses machines, avec des salles de 150 à 300 couverts en moyenne (1.500 repas par jour au Bouillon Pigalle) qui permettent de passer commande en grosse quantité à un prix négocié. Dans l’assiette, pas de présentation chichiteuse ; dans les verres, du vin « à la verse », et sur la nappe, l’addition. À ce prix, pas de produits bio ou de plat minute mais des mijotés traditionnels et une nouveauté de taille : des produits frais et du fait maison.

Au Bouillon Pigalle, on débite ainsi toutes les pommes de terre sur place, pour pouvoir servir 400 kilos de frites maison chaque jour… Et le chef Christophe Moisand a appris à faire la carte du Bouillon Julien en fonction du prix des matières premières. Un effort « bouillonnant » qui plaît à une clientèle hétéroclite de touristes, hipsters en goguette, travailleurs du quartier et gastronomes esseulés.

Charlotte Langrand


Chartier, l’historique

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L’adresse a 120 ans, qui dit mieux ? Dès l’entrée, l’histoire s’invite à votre table, les boiseries font leur petit effet, on ne serait pas étonné(e) de voir débarquer des clients en haut-de-forme. Les serveurs archi-rodés, habitués à ce petit monde, charrient gentiment le client tout en maintenant la cadence, débarrassant six assiettes à la fois, prenant la commande suivante, vous installant devant un monsieur inconnu qui était venu, lui aussi, déjeuner seul. Bonne franquette, cuisine rapide et prix défiant toute concurrence, l’endroit est un spectacle qui fait oublier le céleri rémoulade un brin sec, un sauté de porc aux olives assez gras quoique généreux et un riz au lait parfumé à l’orange. Vite mangé, vite oublié, mais un moment singulier et réjouissant, qu’on ne peut vivre qu’ici.

Bouillon Chartier, 7, rue du Faubourg Montmartre (9e). Bouillon-chartier.com

Pigalle, le traditionnel branché

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« Ça, c’est Paris. » À deux pas du Moulin-Rouge, le Bouillon Pigalle joue la carte du titi parisien à la perfection. Grandes tables en enfilade, hauteur sous plafond, imitation de colonne Morris avec ses affiches de spectacle, nappes en papier et serveurs en veston, bien rodés pour tenir la cadence des 1.200 à 1.500 couverts servis ici chaque jour. Souriants et très pro, ils envoient d’honorables poireaux vinaigrette aux noisettes, une blanquette accueillante et un flan fait maison (comme le reste, affirment les propriétaires). On y croise des couples, des tablées de copines, des collègues, des touristes danois et allemands, des tempes grises savourant un bœuf bourguignon en feuilletant un journal… Si l’on a le courage de faire la queue, c’est le meilleur rapport qualité-prix des bouillons façon 2018.

Bouillon Pigalle, 22, boulevard de Clichy (18e). Bouillonpigalle.com

Julien, l’authentique

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L’endroit est redevenu un authentique bouillon, depuis que Jean-Noël Dron, propriétaire de plusieurs brasseries à Paris et en Alsace, l’a racheté. L’ambiance Art nouveau a retrouvé son lustre d’antan, grâce à une rénovation qui fait ressortir la beauté des moulures, des carrelages floraux ou du bar en acajou de Cuba par Louis Majorelle… Côté cuisine, Christophe Moisand, ancien étoilé au Céladon de l’hôtel Westminster (2e), a réintroduit dans la carte des produits frais. La ribambelle des plats tradis est bien présente, additionnée de quelques produits de saison (velouté de potimarron d’automne) ou de plats plus cuisinés (parmentier de cuisse de canard, bien goûteux). Un déjeuner honnête à prix très doux et au service souriant, qui fait honneur à la devise du fondateur, Édouard Fournier : « Ici, tout est beau, bon, pas cher. »

Bouillon Julien, 16, rue du FaubourgSaint-Denis (10e). Bouillon-julien.com

Racine, l’hybride

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Ce bouillon-là a décidé de faire une entorse à la règle : le décor Art nouveau est toujours là, mais les prix sont ceux d’un restaurant normal, avec ses entrées de 8 à 17,50 euros et ses plats de 19 à 24,50 euros. On y croise une salade quinoa bio et un tartare de bar, pas vraiment dans la lignée des établissements traditionnels. Les escargots, corrects, n’ont rien de renversant et le millefeuille croustillant de poitrine d’agneau fermier aurait apprécié moins de cuisson, mais peu importe puisque le Bar du Bouillon, qui vient d’être inauguré en annexe, rattrape l’histoire : des assiettes à partager avec d’excellents produits sourcés (pâté en croûte, jambon blanc truffé, couteaux gratinés…) accompagnent une carte des vins de très bonne facture faisant la part belle aux vignerons, connus ou confidentiels. Cette ambiance cosy, tout en papier peint vintage et fauteuils en velours, est orchestrée par Benjamin Buttner, passionné de vin, qui connaît sur le bout des doigts ses 250 références.

Bouillon Racine et Bar du Bouillon, 3, rue racine (6e). Bouillonracine.fr

Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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3 commentaires

  1. Quele belle écriture et quels beaux plats: un vrai régal. Un éveil des sens en bonne et due forme. Très belle page. Je n ai qu un mot Charlotte: encore!

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