Faites-vous un cadeau. Oubliez les crêpes, ignorez les bolées, snobez la galette des rois. En somme, effacez les clichés associés au cidre depuis toujours. Vous découvrirez ainsi que cette ancienne « boisson de soif » n’a rien à envier au vin – à part sa réputation.
Il est loin le temps où le cidre était associé à une économie familiale, où des bouteilles sans étiquettes trahissaient un jus sans millésimes, instable voire piquant, tiré au tonneau dans la cour des fermes. Une nouvelle génération de producteurs a entrepris de dépoussiérer son image. « Nous sommes sortis du rêve empirique, estime Dominique Hutin, journaliste spécialisé dans le vin et fervent amoureux des cidres de garde. Les producteurs en polyculture déploient de l’énergie, investissement pour produire de « vrais » cidres et ne complexent plus par rapport aux vignerons. Il existe même des œnologues. »
Le cidre, un “vin d’arbre” naturel et complexe
On parle désormais du cidre comme d’un « vin d’arbre ». Les pommes ne rougissent plus devant cette star lointaine, le raisin, avec qui elles partagent le même vocabulaire : le cidre à ses terroirs, un véritable patrimoine végétal doté de centaines de variétés, une science qui relève aussi de la fermentation et un art de la dégustation. « La nouvelle génération reprend des vergers et plante des arbres, à court et long terme, explique Etienne Fournet, des cidres Cinq Autels, un domaine familial normand, bio depuis 1967. Le cidre correspond aussi à l’air du temps : quand le monde du vin utilise des intrants chimiques, la culture des pommiers, elle, est très naturelle. » La tradition cidricole d’agroforesterie est même pionnière : la « carte postale » du bocage normand, avec ses haies et ses vaches sous les pommiers, est un modèle historique de permaculture.
Les variétés de pommes à cidre sont aussi variées que leurs terroirs et regroupées en quatre grandes catégories : acidulée, amère, douce et douce-amère. On ne parle pas de « cépage » de pommiers comme pour la vigne et pourtant, chaque producteur fait son propre « assemblage », toujours différent de son voisin : « Chez moi, dans le Pays d’Auge (Normandie), les bocages ont des expositions très différentes et avec un même sous-sol argilo-calcaire, on obtient une multitude de cidres, explique Antoine Marois, ancien agronome du vin reconverti en 2016. Comme le raisin, la pomme est un révélateur de -grands- terroirs. Pour faire un grand cidre, il faut des variétés adaptées, riches en polyphénols, comme la Saint-Martin ou la Fréquin rouge.»
Jeunes producteurs inspirés et “startuppers” actifs
Fort de ce nouveau pédigré, le cidre peut rayonner. De la Normandie à la Bretagne en passant par le pays basque et jusqu’aux Etats-Unis, on apprécie cette boisson « healthy » peu alcoolisée (de 3 à 7 degrés) ou sa version anglo-saxonne, le « cider » (lire encadré). Des « startuppers », flairant le marché prometteur, ont rendu le produit visible en grande distribution (Sassy, Appie). Ils ont troqué l’image rustique du cidre pour un marketing « tendance » imitant les usages de la bière : bouteilles transparentes, formats individuels et cannettes. Devenu qualitatif et désirable, le cidre a même vécu son tout premier salon officiel, CidrExpo, en février, à Caen.
« J’ai goûté des cidres d’Eric Bordelet, sydriculteur normand, comparables à des grands crus de vin,
Yann de Agostini, vigneron-cidrier dans les Hautes-Alpes
Ainsi, les vignerons regardent avec attention le monde du cidre se réveiller. Certains deviennent même vignerons-cidrier, comme Côme Isambert, qui fédère les producteurs de cidres naturels au Salon Tour de Fruit à Saumur ou Yann de Agostini, du Domaine du Petit Août (Hautes Alpes) : « J’ai goûté des cidres d’Eric Bordelet, un sydriculteur normand, comparables à des grands crus de vin et j’ai compris qu’il en existait pour tous les moments : des rafraîchissants, des légers, des plus travaillés pour faire des accords avec les plats… C’est très intéressant. Je pense que le cidre peut prendre le même chemin que celui de la bière. » Devant cet engouement, l’imagination des producteurs travaille. Jean-Luc Olivier, à La Galotière (Normandie), a créé un cidre houblonné avec un brasseur belge et le « cidre de glace », cette recette canadienne dont la fermentation s’effectue par le froid sur un jus de pommes concentré, se développe en France. Yann de Agostini en produit quatre : avec du safran ; à la reinette blanche givrée ; à la pomme rôtie et même avec 20% de coing.
Des accords “mets et cidres” et un art de la dégustation
S’il est encore difficile de trouver une réelle carte de cidres au restaurant, les chef(fe)s cuisiniers commencent à s’y intéresser. A Paris, on peut en trouver chez Clamato, Yam’Tcha ou au Chateaubriand. A Caen, la maison familiale Hérout a organisé en février une « dégustation verticale » de ses millésimes datés de 1997 à 2018, au restaurant Fragments. Une dégustation qui fera date… Pour marquer l’événement, le chef Clément Charlot avait imaginé des accords mets et cidres épatants pour ces crus inédits, chargés d’histoire : « un cidre, c’est d’abord un arbre et ces millésimes viennent de ceux plantés par mes grands-parents et mes parents, expliquait avec émotion Marie-Agnès Hérout. Nous avons commencé à conserver des bouteilles en 1997 par curiosité et nous savons maintenant qu’à partir de dix ans, un cidre gagne en complexité car le sucre résiduel a disparu. » Johanna Cécillon, en Bretagne, fait aussi vieillir ses cidres, avec des bouchons champenois. Idem à La Galotière, en Normandie : « la fermentation se fait en capsules et, après la prise de mousse, nous tournons les bouteilles et faisons dégorger, après la descente du dépôt. Notre cuvée gastronomique est faite avec des pommes récoltées au parapluie, comme une vendange tardive. »
Mais c’est en bouche que le cidre montre toutes ses nuances. Sa complexité aromatique, florale, fruitée ou minérale, l’affranchit enfin des crêpes. La Cuvée Colette de la maison Dupont (Calvados) est basée sur le goût minéral des pommes Avrolles : « comme un champagne Blanc de Blancs, elle est parfaite avec des fruits de mer, la cuisine japonaise et les fromages crémeux du type Brillat-Savarin, explique Marie Marois chez Dupont. Notre Cuvée triple fermentation se marie plutôt avec des choucroutes et des charcuteries. » Leur « Réserve », vieillie dans des fûts de calvados, est la plus proche du vin : plus « perlant » qu’effervescent, elle accompagne des plats gourmets, comme un poulet Pays d’Auge ou, plus exotique, des currys. Bon marché, accessible et naturel, le cidre pourrait bien être une des boisson-phare du 21e siècle.
Charlotte Langrand
Du cidre basque au « cider » anglo-saxon
Le pays basque, c’est l’autre pays du cidre. Ou peut-être le premier, puisqu’il y serait né au 16e siècle : les pêcheurs de baleine locaux en buvaient des litres, en mer, contre le scorbut et l’auraient importé en Bretagne… « Nous avons réhabilité ce cidre originel très différent, qui est un vin de pomme non effervescent, explique Bastien Dufau, co-fondateur de Kupela. Avec moins de sucre et plus d’astringence, il plaît beaucoup sur des plats plutôt gras : les tapas, le fromage, le jambon… » Une des cuvées a même été conditionnée en cannettes, pour séduire le marché américain, où la tendance des micro-cidreries bat son plein. Dans la même veine, la cidrerie Mauret à Lille, a décidé d’améliorer la qualité des « cider », ces jus anglo-saxons de mauvaise qualité servis à la pression. Leur recette bio, élaborée avec leur grand-père et une note de poire, a déjà ses entrées dans les bars des Hauts de France. C.L.