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Cuisine : La “pasta” royale

Pâtes les plus populaires du monde, ces longues ficelles se déclinent de mille façons. Jusqu’à provoquer des débats sans fin sur leur cuisson et leur assaisonnement

Il n’y a pas de petits débats. Outre les sujets politiques, il est des questions culinaires cruciales qui mobilisent toute une patrie. Prenez ces longues ficelles de blé et d’eau que sont les spaghetti. Régulièrement, l’Italie aime à s’invectiver sur la bonne manière de les préparer. Quelle est la vraie recette de la Carbonara? Peut-on les marier à toutes les sauces? Quelle est la règle de leur cuisson «al dente»? Les controverses sont aussi vives qu’un bouquet de pâtes jeté dans l’eau bouillante. Il se trouve même quelques cuisiniers inconscients pour traiter ce plat sacré comme une simple garniture, faisant immanquablement souffrir dans leur chair les chefs de la Botte, témoins de l’outrage.

Les pâtes les plus populaires du monde

La "pasta" royale
Toutes simples, avec du basilic

Si le sujet est délicat, c’est que les spaghetti parlent autant au cœur qu’à l’estomac. Les pâtes les plus populaires du monde, bien que portant le nom désuet de «ficelle» («spago» en italien), font des émules géographiques, de l’Asie aux USA, en passant par la Belgique ou le Luxembourg. Elles transcendent les organisations sociales (séduisant l’étudiant fauché comme le chef étoilé), temporelles (c’est un plat pour enfants et adultes), voire artistiques (elles s’accommodent d’un peu d’ail, piment et huile d’olive autant que de truffes).

De mémoire de spaghetto, même son origine a suscité la polémique. La légende la plus tenace -et la plus fausse- voulait que Marco Polo, de retour à Venise, ait rapporté ces longs tubes de Chine, les baptisant Spaghetti, du surnom d’un de ses marins. Balivernes: les spaghetti sont nés en Mésopotamie. «L’invention des pâtes date de 7000 à 9000 avant JC, quand les hommes ont planté du blé en Irak actuelle, affirme Pierre-Brice Lebrun, auteur du Petit traité des pâtes*. Les premières traces écrites de recettes remontent à environ 2000 avant JC, à Bergame, Florence… » Longtemos après, elles arrivent en France avec la florentine Catherine de Médicis, qui avait peur d’en manquer, suite à son mariage avec Henri II, en 1533.

 

De l’Italie à l’Asie, un plat de toutes les cultures

Plat populaire par excellence, cette longue pasta a l’amabilité de s’accorder à toutes les sauces. Les carbonara seraient ainsi issues de l’accommodation de restes. Toutes les cultures les ont assaisonnées à leur façon, avec les ingrédients locaux et de saison. «C’est une base sans limite, un terrain de jeu, constate William Ledeuil, chef de The Kitchen Gallerie, spécialiste des pâtes sèches inspirées d’Asie. On peut les cuisiner avec peu d’ingrédients -des poivres, un pistou d’herbes- ou les sophistiquer avec de la truffe. En Asie, ces «nouilles» sont à la farine de blé, de riz ou au sarrasin, comme les ramen et les Udon… On les consomme souvent dans un bouillon, le tom kha kaï, ou sautées dans des currys. » Faisant fi de la sacro-sainte huile d’olive, le chef les marie à des beurres de sarrasin ou d’oignons, des algues, de l’huile de sésame…

A Naples, on faisait sécher des pâtes d’un mètre de long sur des fils dans la rue, explique Ciro Cristiano”, chef italien chez Big Mama

Pourtant, le spaghetto moderne doit tout à l’Italie, qui l’a érigé en œuvre d’art. «A Naples, on faisait sécher des pâtes d’un mètre de long sur des fils dans la rue, explique Ciro Cristiano, chef italien chez Big Mama à Paris. Les paysans avaient toujours dans leur sacoche des spaghetti, du fromage pecorino et du poivre. C’est la base de la cuisine de rue: elles sont facile à transporter et à préparer.» Seraient-ils pour autant faciles à cuisiner? Piano, piano… les règles culinaires n’ont pas tardé à pimenter l’histoire. En 1837, le napolitain Ippolito Cavalcanti invente la cuisson «Al Dente». «Ca, c’est sacré!, estime Ciro. Mais les classes populaires du sud de l’Italie aiment les spaghetti très al dente tandis que les palais délicats du Nord les préfèrent fondants. Chacun estime avoir raison car nous avons peu de recettes écrites: chacun clame que les meilleures sont celles de sa mère!»

Gare à celui qui cuisine les penne à la Bolognaise

La "pasta" royale
Les fameuses Carbonara, dont la recette fait toujours polémique

Avec autant de recettes qu’il y a de mamas en Italie, les polémiques ont de beaux jours devant elles. Ainsi va la cuisine, perpétuelle recherche de ces Madeleines de Proust. Mais basta, l’affectif: quelques règles de base sont quand-même respectées, comme celle des «10-100-1000» (10g de sel pour 100g de pâtes et 1000g ou 1 litre d’eau). Tout italien sait aussi qu’il faut saler l’eau à l’ébullition et ne jamais y mettre d’huile. Autre norme reconnue: les spaghetti ne se marient pas au hasard. Gare à celui qui cuisine une Bolognaise avec des Penne, au nez d’un Italien! «Chaque recette correspond à une forme de pâte précise, explique Giovanni Passerini, élu Meilleur chef du Fooding 2017 et spécialiste des pâtes fraîches. La forme des spaghetti est parfaite pour un plat sans sauce, comme le classique «al pomodoro», mais aussi aux oursins, «alla vongole» (aux palourdes) ou «aglio, olio y peperoncini» (ail, piment, huile d’olive), une référence en Italie. Pour cela, il faut maîtriser la «mantecatura», méconnue en France.»

Cette technique fait toute la différence dans l’assiette. Il s’agit de terminer la cuisson dans une poêle, à la façon d’un risotto ou d’une émulsion, pour lier l’amidon des pâtes à son assaisonnement (voir recette). Ainsi, les chefs modernisent les recettes de base avec des ingrédients locaux, comme en Sicile, avec les spaghettis «alla sarde» (sardines, pignons, raisins…). Très industrialisées, parfois allergisantes ou supposées trop riches… L’histoire des spaghetti n’est pas sans heurts. C’est pourquoi les chefs insistent sur la qualité des matières premières. «On a beau savoir faire, si le blé n’est pas bon, on n’arrive à rien», lâche William Ledeuil, qui se fournit auprès de Roland Feuillas, un boulanger-philosophe qui cultive des variétés anciennes de blé. Le chef, auteur du livre «Pâtes autrement», dispense aussi ce savoir dans les écoles de cuisine, pour que les futurs cuisiniers prolongent cet art culinaire à la fois précis et libre. Pour que le spaghetto ne cède pas du terrain à sa rivale branchée: la linguine.

Charlotte Langrand


 

La recette de Giovanni Passerini*

 

Les pâtes aux oursins

 

Ingrédients (pour 4 personnes)

 

400 g de spaghettis ou spaghettonis, au moins des n° 12, 2 gousses d’ail
12 oursins violets de Galice ou 8 oursins verts d’Islande, 1 demi-botte de persil
4 cuillères à soupe d’huile d’olive vierge extra, 1 citron non traité

 

Recette

Ouvrir les oursins avec un ciseau, au-dessus d’une petite passoire pour récupérer l’eau qu’ils contiennent dans un bol. récupérer les langues d’oursins, les rincer et réserver. Ouvrir les gousses d’ail et ôter le germe. Les ciseler finement et les faire à peine dorer dans une grande poêle à bords hauts, avec l’huile d’olive. (on peut aussi mettre la gousse entière dans la poêle pour parfumer l’huile puis la retirer.) Faire chauffer l’eau dans une grande casserole, saler (10 g par litre) et plonger les pâtes à l’ébullition. au deux-tiers du temps de cuisson, sortir les pâtes, monter le feu de la poêle avec l’ail et l’huile et y mettre les pâtes, accompagnées d’un bon verre d’eau d’oursins. Elles doivent presque être recouvertes. Avec une spatule, tourner les pâtes dans la poêle avec énergie pour en faire sortir tout l’amidon. Après 2-3 minutes, si les pâtes ne sont pas encore cuites, ajouter de l’eau des oursins et recommencer. Ajouter zeste et jus de citron puis poudre de piment et langues d’oursins. Agiter avec une fourchette, comme pour une émulsion, même si les langues se cassent.
Parsemer de persil et servir tout de suite, pour éviter que l’oursin ne coagule.

*Passerini : 65, rue Traversière, Paris (75012).
Tél. : 01 43 42 27 56

 

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Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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