“Qu’est-ce qu’elle est bonne, ta tarte, Pierre ! » Le chef Cyril Lignac (le Bar des Prés, le Chardenoux…) se régale avec l’un de ses gâteaux préférés : la tarte Infiniment vanille du pâtissier Pierre Hermé. Ensemble, les deux complices du jury de l’émission “Le Meilleur Pâtissier – Les professionnels” reprennent du service pour une quatrième saison, qui débutera le 4 mai à 21 h 05 sur M6. Cette année, ils accueillent un nouveau juré : le chef doublement étoilé Jean-François Piège (Le Grand Restaurant, à Paris). L’ancien de Top Chef vient apporter son expertise de grand cuisinier dans un concours « réinventé » : dans un nouveau décor en verrière, des binômes de candidats (frères, amis, père-fils, couple) pâtisseront pour mener à bien leur projet commun (ouvrir une boutique, assurer la transmission familiale, etc.). Deux épreuves les attendent : la « vitrine », une ré-interprétation d’un gâteau classique en 30 exemplaires, et le « défi des chefs », la réalisation d’une pièce artistique sur un thème donné. Alors que le sucré et la pâtisserie triomphent, le prestigieux jury partage sa complicité et sa hâte de reprendre une activité normale après une année noire pour les restaurants.
C’était comment, de vous retrouver tous les trois dans une cuisine en activité ?
Cyril Lignac Au-delà du plaisir de manger des gâteaux, ça nous a nourris professionnellement. Cette émission, c’est de la transmission entre nous, aussi : on a discuté de vin et de cuisine avec Jean-François, Pierre nous a expliqué les pâtisseries japonaises…
Pierre Hermé Oui, et c’était formidable que Jean-François nous rejoigne.
Jean-François Piège La confiance entre nous est primordiale. J’ai commencé à faire de la télé en 2010 grâce à Cyril, qui m’a appelé un jour en me disant : « Viens avec nous sur Top Chef ! » Quand j’ai quitté le Crillon [en 2009],Pierre est le seul à m’avoir contacté pour me dire « si tu as besoin de quelque chose, je suis là ». Cette générosité naturelle se sent dans l’émission : la bienveillance et la bonne humeur règnent.
Avez-vous élevé le niveau d’exigence de l’émission pour satisfaire un public de plus en plus connaisseur ?
C.L. : Cette version du Meilleur Pâtissier ressemble davantage à un concours professionnel comme celui du CAP ou du meilleur ouvrier de France. Elle montre toutes les facettes du métier, tout en donnant des astuces aux amateurs passionnés qui nous regardent. Les candidats venant de grandes maisons, nous attendions donc un résultat de haut niveau, comme si nous allions chez un confrère. Mais, comme disait Paul Bocuse de la cuisine en général, on pourrait dire aussi : « Il n’y a qu’une seule pâtisserie… la bonne ! »Celle qui donne envie d’y revenir, avec un beau jeu de textures tout en n’étant pas trop sucrée.
J.-F.P. C’est un concours difficile où les candidats mettent en jeu leur image. Cette émission est une bouffée d’optimisme : on voit des gens qui ont envie d’entreprendre malgré les difficultés.
P.H. Le concours s’est recentré sur la complicité car chaque équipe a un projet commun, et ça change tout dans le travail. C’était touchant, certains nous ont bluffés. Car la pâtisserie, c’est d’abord le goût et l’émotion, pas seulement la technique. C’est ce que nous avons cherché à ressentir tout au long de l’émission.
Comment interprétez-vous l’engouement actuel pour le sucré et la pâtisserie ?
C.L. Aujourd’hui, la pâtisserie est une valeur refuge. Tu prends de la farine, des œufs, du sucre, du beurre, et tu obtiens comme par magie une mousse au chocolat ou un cake marbré. Peu importe la technique, c’est une activité valorisante et intergénérationnelle qui se partage et se transmet aux enfants. Ma mère faisait des gâteaux simples au yaourt ou des roses des sables… Ça fait plaisir à tout le monde et ça ne coûte pas cher !
P.H. On peut s’acheter sans se ruiner un macaron ou un petit gâteau de très bonne qualité chez un pâtissier. C’est plus difficile de s’offrir un grand repas dans un grand restaurant…
J.-F.P. Disons que la pâtisserie fait moins peur que la cuisine car elle est accessible tout de suite, dès qu’on entre dans une boutique. Pourtant, elle est plus technique, car il faut être très précis pour réussir une recette sucrée.
Autrefois moins considérés, les pâtissiers sont désormais aussi starifiés que les cuisiniers. Les deux métiers sont-ils si éloignés ?
C.L. Ce sont deux univers totalement différents. En pâtisserie, il n’y a pas vraiment de classification ni de compétition pour être dans un guide ; ça suffit pour en faire un artisanat à part, avec une réelle solidarité.
P.H. Il y a chez nous une fraternité professionnelle. Elle est pour moi extrêmement importante et naturelle. Les pâtissiers ne sont pas là pour se montrer ; ils sont là pour faire, et pour faire plaisir. Ils sont authentiques, ils ne jouent pas de rôle.
J.-F.P. Les cuisiniers se créent souvent des personnages, c’est vrai… Pendant le tournage, j’ai demandé la recette du biscuit soufflé à Pierre. Il n’a même pas réfléchi avant de me la donner. Un cuisinier m’aurait dit qu’il me l’enverrait plus tard, et je n’aurais probablement pas reçu la bonne recette !
On est donc plus libre, quand on est pâtissier ?
C.L. Oui ! Sans compétition, on est libre de faire des chocolats, des macarons, du pain, de grands ou de petits gâteaux… En cuisine, le guide Michelin impose des catégories : on doit faire ou ne pas faire de la street food, du bistrot, etc. Personne ne demande pourquoi Pierre, qui est le plus grand des pâtissiers en France, fait aussi du café. Il en a envie, il le fait, ça ne fait pas débat. Mais si un chef étoilé monte un resto de burgers, alors là, tout le monde commente l’affaire !
P.H. Par exemple, j’ai imaginé pour cet été une collection appelée Japonisme, inspirée du Japon. J’ai pu pousser ce choix à fond, je ne suis pas sûr que j’aurais pu le faire dans un restaurant.
La discipline s’est adaptée au goût de l’époque : moins de sucre, respect des saisons. Les gâteaux d’aujourd’hui sont-ils différents de ceux d’hier ?
J.-F.P. Pour mon dernier livre, j’ai repris toutes mes vieilles recettes, dont certaines datent de mon CAP pâtissier, en 1986. Il y avait une crème anglaise avec 250 grammes de sucre !
C.L. C’est pas vrai ? !
P.H. Moi, quand j’ai commencé la pâtisserie en 1976, c’était même 300 grammes ! Aujourd’hui, c’est plutôt 150. Avec mes équipes, nous avons entrepris un gros travail sur le sucre et sur les saisons qui aboutira peut-être à supprimer un jour l’Ispahan [un de ses gâteaux emblématiques, à la rose, aux framboises et aux litchis] durant les périodes où il n’y a pas de belles framboises fraîches. Ça nous limiterait à ne le faire qu’entre juin et septembre. Mais c’est intéressant de réfléchir à la façon de remplacer certains produits.
C.L. Moi, je ne commence pas les fraises avant juin. Mais chacun fait comme il peut, j’ai toujours eu un problème avec les diktats. Aujourd’hui, on met moins de sucre qu’avant, on beurre moins les viennoiseries, on leur donne moins de « tours ». On s’adapte à l’environnement, aux envies du public et aux nôtres aussi….
Pour lire la suite de l’interview, rendez-vous sur: le site du JDD