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C’est le monument de notre patrimoine charcutier. Un pâté en croûte de haut vol mythique en raison de sa rareté, de la complexité de sa recette et de l’histoire de son invention. C’est au XVIIIe siècle que Jean Anthelme Brillat-Savarin, magistrat et gastronome devenu célèbre pour ses livres culinaires (Physiologie du goût), l’aurait imaginée pour rendre hommage à sa mère, Aurore Récamier. À moins qu’une autre version, plus romantique, ne soit la bonne : l’un des employés de la belle Aurore, amoureux, aurait confectionné cette pièce magistrale pour mieux la courtiser.
Le Monument historique de la charcuterie
Qu’importe la légende, le résultat, lui, est aussi palpable qu’appétissant : un pâté en croûte en forme d’oreiller sculpté, une belle bête de 15 kilos dont la recette apparaît en 1892 dans le livre de Lucien Tendret, La Table au pays de Brillat-Savarin. Rares sont les charcutiers qui, de nos jours, osent s’y attaquer. On comprend pourquoi à la lecture de la recette, qui impose de cuisiner une dizaine de viandes, plusieurs farces, de la truffe et du foie gras, une pâte brisée… Un travail de plusieurs jours.
En France, Gilles Verot et son fils Nicolas font revivre le célèbre oreiller avec bonheur depuis trois ans. « La première fois, nous l’avons testé pour la célébration de notre collaboration avec le chef Daniel Boulud, à New York, raconte le charcutier stéphanois désormais installé à Paris. L’histoire de Brillat-Savarin et la recette étaient trop complexes pour des Américains, m a i s cela m’a donné envie de le faire pour les Français. »
Gilles Verot et son fils font revivre ce patrimoine
Quatre fois par an seulement, c’est comme un rendez-vous : Gilles et Nicolas Verot se préparent à revoir défiler les amoureux de pâté en croûte dans les boutiques de la maison. Ils se lancent dans un ballet à quatre mains pour confectionner ces monstres charcutiers qui réclament tant d’attention. Cinq jours entiers leur sont nécessaires : il y a l’arrivée des viandes, qu’il faut désosser, découper, mettre au sel et laisser reposer ; la fabrication de la pâte brisée ; la réalisation des farces de cochon et de veau ; le délicat montage (une bonne heure pour chaque pièce) ; le précieux décor de la pâte, inspiré du jardin du par terre du Midi, à Versailles. Et enfin la cuisson, de trois heures environ.
« C’est l’un des plus grands produits de la gastronomie française car il réunit à la fois les savoir-faire charcutier, cuisinier et pâtissier, estime Gilles Verot. Pendant mon apprentissage dans les années 1980 chez Reynon [la célèbre maison lyonnaise qui a remis l’oreiller au goût du jour avant-guerre], il était fabriqué dans une pièce à part. Je n’y ai jamais participé, cela ajoutait au mythe… » Paul Bocuse et la Mère Brazier ont eux aussi entretenu la tradition régionale. À Paris, l’hiver venu, le restaurant Kei propose parfois sa version, autour de cinq gibiers. Gilles Verot, lui, a établi sa recette en s’inspirant de celle de Brillat-Savarin, mais la composition évolue en fonction de la saison de la chasse.
Cinq jours de travail et un montage précis
Le montage est d’une telle précision que toutes les viandes sont présentes dans chaque tranche. Le mois dernier, entre deux couches de farce et de truffe, on y trouvait tout un bestiaire : canard colvert, biche, perdreau, faisan, pigeon, cochon du Perche, volaille des Landes, pintade, ris de veau, foie gras. On aurait tout aussi bien pu y ajouter du sanglier et du lièvre. Naguère, on y trouvait des bécasses, désormais interdites de chasse.
Précédée de tant de tradition gourmande, la dégustation d’un oreiller ne peut pas être anodine. On s’y rend, porté par l’excitation de la rareté et la peur d’être déçu. En bouche, ce morceau de chasse se révèle d’une douceur inattendue. Il est encore meilleur réchauffé quelques minutes au four, pour laisser chaque saveur ressortir et la truffe exploser au palais. On le dévore en entrée ou en plat, accompagné d’une poêlée de champignons (des cèpes, idéalement), arrosé par l’élégance d’un saint-joseph blanc ou le raffinement d’un Bourgogne. Un plaisir luxueux (à 88 euros le kilo, soit 22 euros les 250 grammes) à tester pour ressentir l’émotion de son concepteur, Gilles Verot : « Mon plus beau souvenir de l’oreiller, c’est toujours celui de la dernière fois. »
Charlotte langrand
* disponible les samedis 24 novembre et 26 janvier dans les boutiques Verot à Paris.
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