a sardine a sûrement été créée pour sauver le dimanche soir des pauvres humains au frigo vide. Toujours blottie au fond du placard, serrée dans sa petite boîte en fer et ointe d’huile d’olive aux côtés de ses sœurs de cellule, on la délivre pour mieux l’allonger sur un lit de beurre demi-sel, étalé sur un bon pain grillé. L’opération n’a duré que quelques minutes, on mord déjà dans la tartine et miracle : c’est autant le goût racé de ce petit poisson bleu qui nous régale que la sensation d’avoir fait d’un rien, un festin.
En boite: des fins de mois difficiles aux grands millésimes
Petite ou dodue, en boîte ou grillée, marinée ou en rillettes… La sardine répond à toutes les envies, pourvu qu’on soit doux. La chair de ce petit poisson, qui tire son nom de la Sardaigne où il s’épanouissait autrefois en nombre, est fragile. « Mais la sardine peut se préparer à l’improviste et de façon infinie, s’émerveille Sonia Ezgulian, cuisinière et auteure de recettes. Elle est restée longtemps synonyme des fins de mois difficiles mais ensuite, on a vu arriver des boîtes soit sans arêtes soit millésimées soit avec des assaisonnements particuliers, allant jusqu’aux truffes… Il y a aussi d’extraordinaires petites sardines espagnoles… »
Populaire et accessible, elle séduit désormais tous les fourneaux. Le chef étoilé Romain Meder ne lui trouve pas moins de qualités qu’un « noble » turbot à la chair immaculée : il en fait un steak, en les mélangeant avec du pain imbibé de lait, des herbes, de l’ail et de l’oignon, du citron…
Des conserveries de sardines haut de gamme…
Avant de pavaner sur les tables, la Sardina Pilchardus se déplace en banc et en haute mer, comme tous les membres de la famille des poissons « bleus » (harengs, maquereaux…). On la trouve en abondance près des côtes atlantiques, en Bretagne, Loire-Atlantique ou Vendée, réputées pour leurs Conserveries : la Belliloise, la Quiberonnaise ou encore La Perle des Dieux, à Saint-Gilles-Croix-de-Vie.
Autant de maisons qui travaillent des sardines non congelées, emboîtées en pleine saison (du printemps à l’automne), quand elles sont au meilleur d’elles-mêmes. Si la sardine n’est pas une espèce menacée comme son cousin l’anchois, elle a connu la surpêche ; on s’abstient donc de la consommer en hiver. L’été, on choisit des spécimens pêchés de façon artisanale, à la bolinche, et on profite de ses vertus pour la santé (oméga-3, phosphore, vitamines B3 et B6).
Des sardines vieillies comme du vin
« Il est possible de faire vieillir ses boîtes de sardines, comme du vin, ajoute Sonia Ezgulian, qui possède une collection de boîtes, avec des millésimes datant de 1998. Il faut les vérifier souvent pour s’assurer qu’elles restent bien étanches et les retourner une fois par an pour que l’huile s’imbibe bien dans les filets. »
Le mordu de sardines fera ses boîtes lui-même. Il lui faudra placer les poissons frais, vidés, nettoyés et séchés dans un bocal hermétique avec des rondelles d’oignons, d’ail et de carottes, recouvrir d’une huile d’olive infusée au thym et aux clous de girofle et stériliser une heure en cocotte. Autre option, sur le pouce : « je vide un peu d’huile de la boîte, je rajoute des légumes en filaments, je recouvre de pâte feuilletée et je mets au four », poursuit Sonia, intarissable sur ce poisson « porte-bonheur » que sa grand-mère maraîchère échangeait en fin de marché contre ses derniers légumes.
La sardine, l’autre star du barbecue
Mais les sardines ne chantent pas qu’au fond d’une boîte. Il semblerait qu’elles aient aussi été créées pour rassembler les humains, l’été dans un jardin, autour de cette grille fumante qu’on appelle barbecue… La sardine se marie alors avec le soleil, les cigales et le rosé. « Je me souviens de celui de ma grand-mère, dans le Sud, évoque Pierre Rigothier, chef du restaurant Lune, à Vayres (Gironde). On cueillait le romarin, qu’on posait directement sur la grille, puis on ajoutait les sardines avec juste un trait d’huile d’olive et de la fleur de sel, c’était magnifique. »
Aujourd’hui, le chef se ravitaille à Saint-Jean-de-Luz chez le mareyeur Dima. Pour ne pas blesser la chair, il la fait d’abord confire dans une huile d’olive chaude infusée au thym, laurier, ail et queues de basilic, avant de la passer rapidement sous le grill. » Dans l’assiette, les autres produits de saison lui font bonne escorte : brunoise de courgettes juste suées, pesto de basilic, tomates…
Il faut du caractère pour prétendre au statut d’accompagnant : avec son ventre argenté et son goût prononcé, la star capte toute la lumière : « J’évite de lui associer une pêche ou un radis, elle les effacerait », confirme Edouard Beaufils, chef du restaurant Bec, au Paradou. Il lui offre plutôt la profondeur d’un concentré de tomates maison très en relief, monté à l’huile d’olive et à la purée d’ail, et un pesto de basilic.
« Au BBQ, il ne faut pas trop la cuire, sinon elle se désagrège, prévient le chef Julien Gasperi, de la brasserie Riviera à Paris. Il faut préparer des braises bien chaudes et les griller trente secondes de chaque côté. » Au restaurant, il les prépare en escabèche, marinées dans un mélange sucre-vinaigre-jus et zestes d’orange et de citron. Ensuite, il les sert façon bruschetta, sur une grande tranche de pain passée au four à braises, avec une sauce chimichurri et quelques pointes d’aïoli.
Sardines en portefeuille ou en rillettes
Sans boîte ni BBQ, la sardine s’affiche souvent « en portefeuille ». Cette découpe de poissonniers est idéale pour les farcir (de brousse, de courgettes, de purée de pommes de terre épicée…), les rouler et les saisir à la poêle. Et que dire des rillettes de sardines ? Emiettées grossièrement dans du fromage frais, du jus de citron, des herbes et parfois de l’échalote, elles se conservent en bocal, se dégainent à l’apéritif ou s’emportent en pique-nique… Ce sera le moment parfait pour raconter cette légende toute marseillaise, qui veut qu’un jour, une sardine boucha l’entrée du Vieux Port ! En fait de sardine, un trois-mâts français, canardé par les Anglais en 1780, était venu s’échouer dans le chenal de la Cité Phocéenne… Il s’appelait « La Sartine ».
Charlotte Langrand
La tartelette de sardines aux fleurs de Sonia Ezgulian
Ingrédients pour 6 personnes
- 18 petites sardines de Méditerranée
- 200g pâte feuilletée pur beurre
- 20 cl crème fleurette
2 citrons verts - Quelques pétales de fleurs (souci, bourrache, ciboulette…) et brins d’estragon, de cerfeuil
- 1 c. à café de gingembre frais hâché
- 2 pincées de fleur de sel
- Sel fin
- Poivre du moulin
Recette
Dans la pâte feuilletée, découpez six disques de 8/9 cm de diamètre. Piquez-les à la fourchette et déposez-les entre deux feuilles de papier sulfurisé, sur une plaque à pâtisserie. Réservez au frais. Préchauffez le four à 180°C.
Râpez le zeste de citron vert et réservez. Levez, rincez et séchez les filets de sardines. Faites-les mariner 20mn dans le jus de citron vert, le sel et le poivre. Montez la crème en chantilly, assaisonnez de fleur de sel et de gingembre.
Posez un plat sur les disques de pâte (pour éviter qu’ils ne gonflent). Enfournez 15mn. Laissez refroidir sur grille.
Déposez un dôme de crème sur chaque disque, recouvrez des sardines égouttées. Assaisonnez (sel, poivre). Parsemez de zestes de citron, de brins d’estragon, de cerfeuil et de fleurs.