Faites le test. Invitez vos amis autour d’une tomate-mozzarella de qualité «industrielle». Observez-les mâcher ce plat devenu aussi fade que répandu. Grimaces ou indifférence, vous saurez si vous côtoyez des gourmets ou de simples mangeurs.
La tomate est devenue l’emblème des contraires. Croquez dedans et vous expérimenterez soit le goût de l’insipide, soit celui de l’été qui éclate en bouche, selon qu’elle aura été nourrie par une main productiviste ou attentive. Sans rougir de ces contradictions, elle incarne aussi bien le fleuron de l’agro-alimentaire mondialisé que celui, opposé, du goût qui veut renaître.
Vite domestiquée, la tomate devient un modèle génétique…
Suite à son introduction en France, vers 1600, ce fruit éclatant originaire d’Amérique du Sud, faisait l’unanimité. Au 18e siècle, on lit dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert: «le fruit de tomate est d’un beau rouge, il contient une pulpe fine, légère et très succulente, d’un goût aigrelet relevé et fort agréable. On n’a jamais observé qu’il produisît de mauvais effets[].» La Bassin Méditerranéen devient sa terre de prédilection.
Mais qui aime bien, aime parfois mal: vite domestiquée, au début du 20e siècle, cette Solanacée devient un modèle génétique et l’industrie agro-alimentaire lui fait les yeux doux. Produites en masse, les tomates poussent partout et en toutes saisons. L’enquête édifiante menée par Jean-Baptiste Mallet sur cette industrie (L’empire de l’or rouge, Fayard), donnerait des nausées au plus fervent amateur de ketchup en tube.
Petits producteurs amoureux d’un produit caméléon
Pourtant, le joli goût herbacé de ce fruit estival n’a pas rendu les armes. Loin des dérives productivistes, réapparaissent des petits producteurs amoureux de ce produit-caméléon, qui passe volontiers pour un légume, du fait de sa large palette de saveurs, allant de l’acidité au sucré. «Les maraîchers retravaillent des variétés anciennes, constate la chef Anne-Sophie Pic. On ne se cantonne plus à un ou deux types, comme au temps de mon père.» Cet été, elle testera sa première récolte personnelle, plantée à partir de graines anciennes datant parfois de 1800.
Pierre Gayet, maraîcher du Domaine des Vernins à Dornes (Nièvre) aime explorer ces contrées rouges: chez lui, aucun hybride mais des plants patiemment glanés chez les grainetiers: « J’ai une passion pour leur extrême diversité mais ma vie entière ne suffira pas à tester les 14.000 espèces, déplore-t-il. Chaque année, j’en expérimente de nouvelles et je garde les meilleures.» Comme cette Cœur de Bœuf blanche et jaune, ces tomates-cerises petites comme des groseilles (les Zluta Kytis) ou les Blue Goldberries, qui se teintent en bleu sous l’effet des UV…
Ce sont de fausses variétés anciennes, des hybrides faites pour la grande distribution…”
Rémi Poulain, chef du restaurant Le Christine à Paris.
Dans l’assiette, les goûts sont variés et les couleurs joyeuses. Le maraîcher cultive une soixantaine de spécimen et une douzaine de tomates-cerises. Il se garde bien de faire pousser les très à la mode Noires de Crimée et autres green zebra… «Ce sont de fausses variétés anciennes, des hybrides faites pour la grande distribution, tranche Rémi Poulain, chef du restaurant Le Christine à Paris qui travaille les tomates de Pierre Gayet en carpaccio. On ne doit pas acheter de tomates hors saison. Si elles sont pleines d’eau et de pépins, c’est qu’elles ont été trop arrosées, pour obtenir du rendement. Alors qu’avec un bon produit, pas besoin de le transformer beaucoup.» Il suffit de manier les accords, avec le condiment ou l’huile d’olive parfaite, tout en soignant la découpe.
Pour aimer une tomate non industrielle, il faut savoir la regarder (elle doit être rouge mais pas trop), la sentir (une odeur de feuille verte), la toucher (une peau souple, pas trop lisse) et l’entourer (ne jamais la conserver au frigo). Il faut aussi comprendre son rythme: «Elle fait la jonction entre le printemps, l’été puis l’automne, précise Armand Arnal, chef de la Chassagnette, à Arles, qui la voit s’épanouir dans son potager. Elle a un côté herbacé et minéral au printemps et plus sucré vers fin octobre, avec toujours cette trame acide évolutive. On réinvente les recettes en fonction de ces bascules de goûts successives. » Au Printemps, il la prépare confite ou en bouillon, puis l’été, ses tomates-ananas géantes sont servies tièdes et à partager. En automne, vient le temps des sauces.
Tomates vinaigrette ou tomates mozzarella?
Crue ou cuite, en entrée, plat et même en dessert, la tomate est incontournable dans la cuisine française. Même si l’Italie a imposé son mariage avec la très galvaudée mozzarella ou la très branchée burrata, la France affectionne sa recette, d’une merveilleuse simplicité: la tomate-vinaigrette, relevée d’herbes ou de moutarde. La «saucer» avec du pain est toujours une Madeleine de Proust et Romain Meder, chef au Plaza Athénée d’Alain Ducasse, l’a immortalisée dans une recette où chaque variété de tomate a sa propre vinaigrette, faite avec son propre jus. «Ce n’est pas un produit simple à travailler car elle contient beaucoup d’eau, estime-t-il. Mais il faut s’amuser avec ses pépins, son jus gélatineux, transformer sa peau en poudre d’assaisonnement… J’ai même fait une huile de feuilles de tomates, qu’il ne faut jamais manger crues car elles sont toxiques!»
Le chef réfléchit à des accords tomate-caviar, aime l’accompagner de framboises ou de poivrons. Anne-Sophie Pic lui associe la sauge, la verveine, les mandarines d’été corses. «C’est naturel de mélanger les produits de saison, poursuit Armand Arnal. On sert les tomates avec du jambon ou de la mozzarella, c’est une tragédie! Alors qu’une salade à la provençale, avec des œufs, un oignon frais, du persil plat, de l’ail, de la chapelure et un filet d’huile d’olive… C’est tellement bon.» Invitez à nouveau vos amis. Remplacez la mozzarella par un fromage de chèvre frais, le basilic par un pesto de persil. Et contemplez le sourire des gourmets.
Charlotte Langrand
La recette de tomates d’Anne-Sophie Pic*
“La tomate plurielle naturellement explosive,
consommé à la mandarine Murcott et à la sauge”
Ingrédients pour 4 personnes
Les tomates cerises :
- 8 tomates rouges « brun de muguet »
- 8 tomates noires « black Cherry »
- 4 tomates vertes « green grap »
- 4 tomates jaunes « mirabelle jaune
L’eau de tomates:
- 1 kg de tomates rouges
La marinade :
- 100 g de sucre
- 80 ml de vinaigre balsamique blanc
- 80 ml d’eau de tomates
- 1 mandarine Tangor Murcott
- 5 g de gingembre
- 1 g de fleur de sureau séché
- 2 g de sauge officinale
- Sel fin
Le consommé :
- 200 ml de marinade
- 80 g d’eau de tomates
- Sel fin
LA RECETTE
L’eau de tomates :
Lavez et mixez les tomates. Faites cuire dans une casserole 30 à 45 minutes pour clarifier cette eau. Filtrez dans un linge étamine et réserver.
La marinade (à faire 24 heures à l’avance):
Faites un caramel blond avec le sucre et un peu d’eau puis déglacez avec le vinaigre. Une fois le caramel dissout, ajoutez l’eau de tomates, mettez sur glace et ajoutez aussitôt la fleur de sureau, le zeste et le jus de la mandarine. Laissez infuser 4 heures. Une fois bien froid, ajoutez la sauge préalablement émincée et réservez.
Les tomates marinées :
Mondez les tomates-cerises et mettez-les à mariner pendant 4 heures environ. Une fois bien imprégnées, égouttez et conservez sur un papier absorbant.
Le consommé :
Récupérez la marinade des tomates et détendez avec l’eau de tomates. Rectifiez au besoin en ajoutant du jus de mandarine, de la sauge ou du sureau.
Montage :
Disposez harmonieusement les tomates-cerises dans une assiette. Versez le consommé de tomates au moment de servir.
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