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Fromage: le Comté bon

Avec sa pâte cuite et son goût fruité, le Comté est abonné à toutes les tables. Mais il est plus divers qu'on ne le pense... Reportage dans un filière AOP exemplaire.

Nous croyons le connaître : il s’invite sur (presque) toutes les tables, depuis notre enfance. Nous pensons le cerner : nous crânons souvent, chez le fromager-crémier, sur la subtilités de son affinage… Le Comté, premier fromage AOP français (plus de 63.000 tonnes en 2016), est notre compagnon de table depuis toujours (les premières fruitières qui le produisent datent du XIIIE siècle). Sa croûte lisse et son goût agréable au palais lui valent une popularité incontestée que lui envient certainement ses cousins les roqueforts, maroilles et autres camemberts, bien plus clivants.

Pourtant, rares sont ceux qui le connaissent vraiment. Comme souvent avec les stars, les idées reçues circulent sur le compte de ce fromage au lait cru et à pâte cuite : on croit pêle-mêle qu’il renferme des cristaux de sel (alors que ce qui craque sous notre dent, c’est de la tyrosine, un acide-aminé qui se cristallise avec l’affinage) ; qu’il n’a jamais eu de trous (alors que la fermentation responsable de cette aération de la pâte, n’a disparu que récemment) ou que son grand âge fait sa valeur (alors qu’il existe de formidables Comtés jeunes).

La filière AOP compte 150 fruitières et treize affineurs homologués

Fromage : le Comté bonPire, on le croit consensuel, faisant fi de l’incroyable diversité de ses origines : « le public n’en est pas conscient, déplore Marc Janin, fromager-crémier et Meilleur Ouvrier de France à Champagnole (Jura). Il connait les temps d’affinage et veut du 18, 24 ou 36 mois, pensant que plus il est affiné, meilleur il est. C’est faux. L’âge joue, bien sûr, mais c’est le terroir qui est primordial. » Comme pour le vin, la richesse de la palette aromatique du Comté vient à la fois de la diversité des terroirs, des saisons et de l’affinage. Véritable miroir de la biodiversité des pairies, un Comté portera d’abord le goût spécifique de la fruitière qui l’a produit (il en existe plus de 150), à la manière d’un Beaufort, qui reflète aussi le goût reflète de ses alpages). Il sera riche et complexe s’il a été fait en été mais plus doux s’il est d’hiver. Enfin, son affinage cultive ses arômes et son caractère.

Un strict cahier des charges et une production collective

Si le Comté a atteint ce degré d’excellence, c’est grâce aux convictions des producteurs de la filière, depuis des générations. Et à leur entêtement salvateur. Pour le comprendre, il faut se rendre aux confins du Doubs, à la frontière de la Suisse, où le petit village de la Chapelle-des-Bois, ses 250 habitants et ses six mois d’hiver, fait figure de village gaulois : dans l’une des 149 fruitières du CIGC (Comité interprofessionnel de Gestion du Comté), on perpétue la tradition de fabrication artisanale de cet or jurassien (AOC en 1958 et AOP depuis 1996). Le CIGC veille au strict respect du cahier des charges, qui comporte la zone géographique de production, les deux races de vaches autorisées (Montbéliarde et Simmental), une alimentation sans OGM et qui impose un système d’agriculture non extensive favorisant la qualité plutôt que le rendement maximum. Socialement, l’organisation en coopératives empêche toute tentative de monopole. Ces conditions uniques sont indispensables pour obtenir le graal, souvent copié et usurpé : l’étiquette verte certifiant l’appellation. Chaque année enfin, une « Table du Comté »* s’installe dans une ville française, avec des chefs, des marchés et des bistrots au diapason.

« Notre exploitation familiale compte 72 vaches pour 173 hectares, précisent Laurent et Franck Courvoisier, producteurs de lait bio à la Chapelle-des-Bois. Nous sommes le premier maillon de la chaîne. La richesse de la filière Comté, c’est son collectif, il faut la préserver. » Matin et soir, ils livrent leur lait à Alexis Belpois, leur fromager, qui travaille selon un savoir-faire traditionnel, dans des cuves en cuivre, sans mécanisation. 13 à 20 meules de 40 kilos environ en sortent chaque jour, pour être acheminées vers l’un des 13 affineurs de la filière.

Une meule de fromages reçoit plus de cent soins par an

Fromage : le Comté bon

Certaines prennent place parmi les 140.000 meules de l’impressionnant Fort des Rousses et ses kilomètres de caves en pierre voûtées, idéales pour le vieillissement des fromages, grâce à leurs conditions exceptionnelles hygrométriques, bactériologiques et de température. « Nous accompagnons le vivant, en organisant la fermentation par le développement des meilleures souches de microflore en surface, explique Jean-Charles Arnaud, le propriétaire des Comté Juraflore. Cela modifie les fromages en profondeur pour révéler leurs saveurs. Ils reçoivent des milliers de soins par an, connaissent 5 à 7 caves d’affinage différentes. » Sur leurs planches d’épicéa réglementaires, elles sont chouchoutées : retournées, frottées au gros sel et goutées régulièrement, pour estimer leur potentiel de vieillissement (de 4 à 36 mois, voire davantage).

En bout de chaîne, le consommateur réalise mal le chemin parcouru par sa tranche de Comté : « Je recherche le « goût Janin », celui de mes souvenirs d’enfance, explique le MOF Marc Janin. J’aime les textures beurrées et fondantes et les arômes de noix, noisettes, fruits sec, châtaignes… Il en faut pour tous les goûts : jeunes pour le petit-déjeuner ou fruités pour l’apéritif et le repas, hors d’âge pour une dégustation en copeaux. » Romuald Fassenet, le chef étoilé du Château Mont-Joly à Dole, en a toujours plusieurs sortes dans sa cuisine : « j’en mets à toutes les sauces, s’amuse-t-il. C’est notre symbole, comme la saucisse de Morteau ou le vin jaune. Il a du caractère : il nous ressemble ! » Les différents affinages permettent de jouer sur la puissance du goût dans une recette mais aussi sur la texture, en donnant du croustillant à une pâte à tarte, de la tenue à une viennoise… Oeuf poché, brioche au beurre, épinards, râpé de truffe noire et lait de Comté ; volaille, marjolaine et Comté jeune ; polenta à la semoule de gaude et Comté… Désormais, on regardera autrement notre prochain plateau de fromage.

Charlotte Langrand

*Du 3 au 7 octobre à Rennes. www.latableducomte.com

 


 

La recette de Romuald Fassenet*

 

Risotto au vieux Comté, citronnelle et lait aux deux Comté

 

Ingrédients pour 4 personnes

  • 250 g de riz rond Carnaroli
  • 100 g de vieux Comté
  • 60 g de Comté fruité
  • 20 cl de vin jaune
  • 20 cl de lait entier
  • 50 cl de bouillon de volaille à la citronnelle
  • 2 échalotes
  • 150 g de beurre
  • 1/2 botte de ciboulette ciselée
  • 2 cs huile de noisette
  • Sel, poivre

Recette

Dans une sauteuse, faites suer une échalote hachée dans l’huile de noisette, ajoutez le riz. Quand il est nacré, versez 10cl de vin jaune. Assaisonnez.

Laissez réduire. Versez une partie du bouillon à hauteur et laissez frémir entre 16 et 18mn en en ajoutant régulièrement, jusqu’à ce que le risotto soit légèrement croquant.

Dans une casserole, faites réduire 10cl de vin jaune avec l’autre échalote hachée puis ajoutez le beurre hors du feu pour obtenir un beurre pommade.

Intégrez au risotto 80g de Comté de 24 mois râpé et liez avec la ciboulette ciselée.

Faîtes infuser dans une casserole le lait avec 20g de Comté de 24 mois et celui de 14 mois. Mixez, passez au chinois, assaisonnez.

Dresser le risotto avec le lait mousseux, de la ciboulette et des herbes.

*chef étoilé du Château Mont-Joly à Dole

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Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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