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Un effet oeuf

Aliment familier par excellence, l’œuf se cuisine à toute température et se marie bien toute l’année. Pas seulement pour Pâques

« Le temps passe et les œufs durent. » Il fallait bien un trait d’esprit signé Daniel Prévost pour résumer toute la familiarité de l’œuf, incontournable depuis toujours. Souvenirs d’enfance au poulailler, mouillettes gourmandes trempées dans un jaune coulant, blancs montés en neige pour le gâteau dominical, coquilles vides peinturlurées à l’école… Sur le plan de la nostalgie, l’œuf est imbattable. Sur la table et aux fourneaux, son ovoïde parfait est aussi indispensable. Peu coûteux, il est l’ami des repas tardifs ou sur le pouce entre copains, des brunchs dominicaux comme des entrées, tendance régressive, dans les bistrots de chefs. On aurait donc tort de prendre de haut sa basse extraction ou de tergiverser sur qui, de lui ou de la poule, était là en premier : l’œuf se love partout, liquide ou solide, en cuisine et en pâtisserie, jouant les vedettes comme les figurants. « La troisième séquence de mes menus commence toujours par un œuf au lard, servi dans sa coquille et avec une mousse aérienne de saint-nectaire, explique Maxime Laurenson, le jeune étoilé auvergnat de Loiseau Rive Gauche, à Paris. On trouve l’œuf dans tous les terroirs, c’est un élément essentiel de la vie paysanne, un plat intemporel et régressif. »

Cuisson des oeufs : la règle du 3-6-9

Il fait l’objet d’une batterie de recettes impressionnante. À la coque, frit, Bénédicte, en neige, mollet, dur, parfait, en cocotte, mimosa, au plat, poché, meurette, mayonnaise, en omelette, brouillé et même à cheval… Il faut compter aussi avec les spécialités oubliées, datant de l’Antiquité ou bien d’Auguste Escoffier. L’auteur de la bible culinaire française ne plaisantait pas en matière d’omelette, et en délivrait une douzaine de recettes. Comme souvent en cuisine, les plats apparemment simples sont souvent difficiles à réaliser. Avec l’œuf, tout est question de température. Sa cuisson relève d’une attention de chimiste. On se fie généralement à la règle du 3-6-9 (minutes) pour l’obtenir à la coque, mollet ou dur. Une minute de trop et c’est raté. Le jaune de l’œuf au plat sera trop cuit, les brouillés attacheront au fond de la poêle et l’omelette sera sèche au lieu d’être baveuse.

leffet oeufDu savoir-faire et de la patience, même pour une omelette

« Il faut du savoir-faire pour une belle omelette, avec un beau rebondi, une couleur blond doré, une peau sans plis. Et les œufs pochés sont très compliqués, dit Jocelyn Herland, le chef du Meurice formé par Alain Ducasse. Pendant mon apprentissage, on testait les jeunes cuisiniers sur les œufs au plat : il fallait un jaune centré, chaud et coulant, bien assaisonné. Si on y arrivait, cela signifiait qu’on avait du potentiel. » Dans ce palace parisien, l’œuf sait aussi être gourmand dans son côté comfort food, façon Bénédicte (poché, avec saumon fumé ou bacon et nappé de sauce hollandaise), ou brouillé avec ses (trop) à la mode « toasts à l’avocat », raz-de-marée healthy venu de Californie.

 

Un oeuf trop “parfait”

Le coco a aussi eu son quart d’heure warholien : il y a deux ans, toutes les cantines tendance de la capitale ne juraient que par l’œuf cuit à basse température, dit « parfait ». On le trouvait en version carbonara chez Les  Affranchis, à l’oseille au Lucas Carton, aux lentilles chez Pierre Sang, etc. Élaborée dans le laboratoire du physicien Hervé This, un des inventeurs de la « gastronomie moléculaire », cette technique repose sur les températures de coagulation sensiblement différentes du blanc (à 62 °C) et du jaune (68 °C) : une cuisson autour de 65 °C pendant quarantecinq minutes donnerait donc un blanc onctueux, tandis que le jaune resterait chaud et coulant. Une technique sécurisante pour l’organisation d’un restaurant mais qui n’est pas toujours heureuse. Certains aimeraient même envoyer l’œuf parfait se faire cuire. « Il est souvent mal réalisé, s’exclame Mathieu Viannay, de la Mère Brazier, à Lyon. Je lui préfère mille fois l’œuf mollet, qui est plus difficile à faire. Mais au milieu d’une fricassée de mousserons ou de morilles, c’est génial ! »

Une recette historique, l’oeuf coque à la purée de truffes…

leffet oeufDans un palace comme au bistrot, l’œuf n’a pas de souci de classe. Versatile, cet aliment sans saison se marie bien toute l’année. « Il se prête à tout, apprécie le chef étoilé David Toutain. Il a de la texture, du coulant et apporte beaucoup de gras, c’est-à-dire de la gourmandise. Il sait enrober et valoriser les saveurs des autres éléments du plat, sans prendre le dessus. » Il fait donc des merveilles avec des produits de caractère, de terroir ou plus « nobles » : à Lyon, Mathieu Viannay rend ainsi hommage au plat de la légende Henri Faugeron, l’œuf coque à la purée de truffes, et, pour sa carte de printemps, il associera du caviar et de l’asperge au basique œuf mimosa.

Oeufs en chocolat : les chasses de Pâques sont ouvertes

L’œuf accompagne aussi la légèreté des végétaux. Chez Loiseau, le jaune confit aux petits pois et à l’agastache (une herbe très anisée) de Maxime Laurenson offre une prise directe avec la nature : « Mais il doit être frais et de très bonne qualité, car l’œuf est vivant, et l’environnement de la poule se ressent dans son goût », estime-t-il. Cette simplicité n’a pas son pareil : une bonne tartine toastée, un beurre demi-sel et un œuf frais à la coque suffisent amplement au bonheur des gastronomes. Mais, pour l’heure, la chasse est ouverte : en ce week-end de Pâques, dans les jardins ou à la maison, les enfants les traqueront jusqu’à l’indigestion. À l’origine, on offrait des œufs de poule peints pour célébrer la fin du carême. On les dévore aujourd’hui en chocolat.

Charlotte Langrand


La recette facile avec des oeufs

La recette de David Toutain*

Oeuf au plat au maïs et cumin

 

Ingrédients (pour 4 personnes)

4 œufs 6 cuillères à soupe de maïs (égoutté)
1/2 botte de ciboulette Graines de cumin
Sucre semoule Beurre demi-sel, fleur de sel

Recette

Clarifier les blancs des jaunes, en séparant le blanc des jaunes. Mettre dans le bol d’un mixer le maïs avec 2 blancs d’œufs et 4 cuillères à soupe d’eau. Assaisonner de sel, mixer puis réserver au frais. ciseler la ciboulette.

Monter les 2 blancs d’œufs restants avec une pincée de sel et de sucre, ajouter le maïs mixé et mélanger délicatement.

Déposer au fond d’une poêle anti-adhésive une noisette de beurre demi-sel et cuire les blancs dans des moules cylindriques. Placer le jaune en leur centre avec quelques graines de cumin puis cuire à feu doux.

Dresser sur une assiette de présentation et parsemer de ciboulette et de fleur de sel.

* Restaurant David Toutain, 29, rue Surcouf (Paris). 01 45 50 11 10.

 

Envie d’un autre plat de chef ?

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Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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