Qui aurait dit qu’un jour, nos assiettes seraient envahies de tentacules ? Le poulpe, ce céphalopode à huit bras (octopus), visqueux et difforme, n’a pourtant pas brillé dans le passé pour sa réputation gastronomique… Les récits fantastiques ont longtemps nourri le mythe du monstre marin aux ventouses monumentales, pourfendeur de navires et dévoreur de matelots : cette pieuvre fantasmée peuple les contes scandinaves du 12e siècle sous le nom de « Kraken », les récits aventureux de Victor Hugo (« les travailleurs de la mer ») ou de Jules Verne (« 20.000 lieux sous les mers ») et elle est même devenue l’emblème de la mafia italienne.
Le poulpe, un animal marin intelligent et transformiste
Il faudra que le Commandant Cousteau décrive cet animal comme un compagnon de plongée idéal, curieux, inoffensif et doué de mémoire, pour qu’on le regarde d’un nouvel oeil. Le mollusque, cousin de la seiche et du calamar, est un intellectuel: il peut s’infiltrer partout grâce à sa peau élastique, prendre la forme d’autres poissons et changer de couleur; il est surtout doté d’un cerveau central et de 8 mini-cerveaux logés dans ses bras : « contrairement au poisson rouge, il a conscience qu’il est enfermé dans un aquarium ; observateur, il comprend comment ouvrir un bocal… », précise Jean-Pierre Montanay, passionné et auteur du livre « Poulpe », avec 80 recettes (Hachette Livre, 19,95€). Ce QI de compétition lui a même permis d’atteindre une renommée planétaire pendant la Coupe du Monde de football en 2010 : « Paul le poulpe » avait donné les pronostics exacts des matches de l’équipe nationale d’Allemagne.
Malgré son exploit improbable, le pauvre Paul a fini sa vie dans une assiette. Sa chair est aujourd’hui très plébiscitée : appréciée depuis toujours dans les pays méditerranéens ou dans le sud de la France, comme à Sète et sa célèbre tourte (la tielle), il a ensuite franchi la Loire et a même son festival, le MOW (Marseille Octopus Worldwide) : « Mais c’est surtout sa photogénie sur Instagram qui l’a fait connaître », précise Jean-Pierre Montanay.
Un plat gastronomique ou bistrotier
Pas snob, le poulpe promène ses ventouses dans tous les styles : en salade ou snacké, froid ou chaud, traditionnel ou revisité. Andréas Mavrommatis, chef de plusieurs restaurants grecs à Paris, le cuisine depuis 38 ans : dans son étoilé, il est grillé avec une pâte feuilletée aux olives, poivrons grillés et artichauts à la farigoule ; dans ses bistrots et ses boutiques, il se pavane en salade, avec du céleri ou des asperges. « En Grèce, on le trouve dans toutes les tavernes, poursuit-il. Il peut être à la fois gastronomique et bistrotier mais de nombreux restaurateurs en France choisissent la facilité et servent du poulpe d’Espagne, sous vide et prédécoupé, sans goût ni texture. »
L’animal ne souffre ni la médiocrité ni l’improvisation. « C’est un ingrédient génial aux multiples facettes, à condition de s’y connaître car il est difficile à cuisiner… d’ailleurs, on en trouve peu sur les marchés », constate Anne Etorre, passionnée et auteur du livre de recettes de chefs, « Le Poulpe, dix façons de le préparer » (éditions de l’Epure, 8€). Mieux vaut respecter quelques étapes incontournables, sous peine de se retrouver à mâcher l’équivalent d’un pneu (quand il n’est pas assez cuit) ou une chair molle (quand il l’est trop). Pour obtenir la texture idéale (fermeté extérieure/ fondant intérieur), il faut suivre le triptyque « nettoyage-attendrissement-cuisson ».
Différentes méthodes pour l’attendrir: du massage au congélateur
Après l’avoir nettoyé jusque dans ses ventouses, l’attendrissement est une phase indispensable : certains lui cognent dessus au rouleau à pâtisserie, d’autres comme Anne Etorre le gratifient d’un très sensuel massage au gros sel mais le plus simple reste, pour casser ses fibres, de le passer 24 heures au congélateur. Vient ensuite la délicate cuisson : sous vide, à la vapeur ou au barbecue mais le plus savoureux est de le cuire (40 mn environ) dans un bouillon bien aromatisé de légumes, d’aromates ou d’épices. Il faut aussi « friser » le poulpe : le plonger 4 secondes dans l’eau frémissante (90°C) puis le ressortir quelques secondes et répéter l’opération plusieurs fois. « Mieux vaut le choisir assez gros, à partir de 2-3 kilos car cette « viande de la mer » doit avoir de la mâche », conclut Jean-Pierre Montanay.
A l’achat, on vérifiera qu’il y a deux rangées de ventouses parallèles, signe que c’est bien un « pulpus vulgaris », l’espèce répandue en Méditerranée et non un congénère asiatique, plus « dur ». « Plus il est gros, plus il sera croustillant, explique le chef étoilé Jean-Michel Carrette, des Terrasses à Tournus. Pour l’accompagner, je fais une mayonnaise à partir du bouillon de cuisson, montée en sauce pilpil à l’huile de pépins de raisin. » Il le prépare aussi avec des huîtres pochées ; brulé au chalumeau avec des endives rôties/oranges sanguines ou avec un bouquet d’asperges sauvages.
Snacké, en salade ou en ragout
Le chef Sébastien Chambru, de l’O des Vignes à Fuissé, a imaginé un « pâté-croulpe » à base de cochon et de tentacules. Maîtrisant la cuisson comme personne, Pierre Siewe, le chef du Garde-Temps à Paris (9e) le propose en salade avec de la grenade, du combawa et du sarrasin torréfié ; La famille Rostang vient d’ouvrir, à La Défense, un restaurant nommé Octopus où on retrouve le poulpe cru et émincé avec grenade, huile d’olive et pickles ; snacké avec une sauce vierge et citron confit ou bien, plus rare, en ragout fondant, avec des linguines à l’encre de seiche.
Avec autant de poulpes en cuisine, en reste-t-il encore dans la mer ? Même si la pêche est réglementée en Méditerranée, Le chef Juan Arbalez vient de l’enlever de sa carte : « Je veux inciter les gens à le consommer hors de sa période de reproduction, de mai à septembre ou de le manger plutôt congelé. Il y a aussi une saisonnalité en mer. » Il met désormais le cap sur les calamars ou les « poissons bleus » (sardines, maquereaux…) Le poulpe, un ancien monstre marin devenu une espèce à protéger.
Charlotte Langrand
La recette de poulpe de Tomy Gousset*
Salade de poulpe, fenouil et orange
Ingrédients pour 4 personnes
- 1 petit poulpe ou 4 tentacules sous vide
- 1 fenouil
- 2 oranges
- 1 citron jaune
- Huile de pépins de raisin
- Graines de fenouil
- Sel / poivre
- Moutarde de Dijon
- Maïzena : 2 cs
- Huile de tournesol
Recette
Laisser le poulpe frais au congélateur 24h.
Le pocher dans l’eau frémissante 30 min. Refroidir et égoutter, tailler en tronçons de 2cm. Les passer dans la Maïzena et assaisonner de sel.
Faire chauffer de l’huile à 180°c dans une friteuse. Passer les tronçons rapidement dedans et les égoutter sur du papier absorbant.
Nettoyer et laver le fenouil, le tailler en 4 et le passer à la mandoline très finement. Assaisonner avec du jus de citron et du sel. Bien mélanger.
Dans l’orange, tailler des suprêmes (16 en tout) en enlevant la peau. Presser le reste des oranges et garder le jus.
Mélanger sel, poivre, moutarde, jus d’orange et monter à l’huile de pépins de raisin. Dans un plat, disposer le fenouil au fond, ajouter la vinaigrette puis le poulpe et les suprêmes d’orange en alternance. Ajouter des graines de coriandre et servir.
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